Jan Čep, un écrivain entre l’angoisse et l’émerveillement (IIe partie)
C’est grâce à sa participation au dernier concours de Radio Prague que nous avons pu accueillir dans nos studios Claire Le Bris-Cep, fille de l’écrivain et essayiste Jan Čep. Nous n’avons pas laissé échapper cette occasion d’évoquer avec elle la vie et l’œuvre de son père, homme profond, discret et éprouvé par le sort. L’écrivain catholique Jan Čep, né en 1902, s’échappe, en 1948, de la Tchécoslovaquie communiste et s’établit en France, mais il ne s’habituera jamais à l’exil. Pourtant, c’est en France qu’il fait la connaissance de sa future femme, Primerose, et c’est en France qu’il devient père. Il n’a cependant pas beaucoup de temps pour goûter aux plaisirs de la vie de famille, car il est frappé par une grave maladie qui assombrira la fin de son existence. Dans la seconde partie de l’entretien accordé à Radio Prague, Claire Le Bris-Cep, parle de ce père pas comme les autres qu’elle devait perdre trop tôt. Elle se souvient de ses angoisses mais aussi de ses moments de bonheur qui étaient peut-être rares, mais intenses.
Votre père vous a-t-il parlé de littérature en général? Est-ce qu’il y avait, dans l’ensemble des ses œuvres, des contes ou des recueils de contes qu’il préférait?
«Non, il ne nous en parlait pas beaucoup parce que ces œuvres n’étaient pas traduites en français, il savait que nous ne pouvions pas vraiment les lire. Il ne nous parlait pas de ses œuvres à lui.»
Jan Čep constate dans sa biographie: «En France et surtout à Paris les gens ont d’autres soucis et n’entendraient pas ma voix étouffée et ma mélodie probablement trop discrète.» N’a-t-il jamais essayé de s’imposer dans la vie littéraire française ?
«Si, je crois qu’il essayé. Ma mère était la fille de Charles du Bos qui était un critique littéraire quand même assez connu à son époque, donc elle avait quelques contacts dans les milieux littéraires français. Je sais qu’elle a souvent essayé d’intercéder, mais cela n’a jamais vraiment marché. C’est vrai, mon père était très déçu. C’est pour ça qu’il a finalement accepté, pour vivre, ce travail à Radio Free Europe. Pour lui c’était très difficile. Je me souviens qu’il attendait toujours le dernier moment pour faire ses papiers. S’il fallait qu’il aille enregistrer le lundi, le dimanche soir son papier n’était pas fait, et donc quelques fois cela mettait un peu de tension dans la maison. Pour lui c’était, à la fois, quand même une reconnaissance d’avoir ce travail à Radio Free Europe mais, en même temps, c’était une contrainte terrible et il aurait préféré bien sûr pouvoir publier ses œuvres à lui, mais cela n’a pas pu se faire. Ce n’était peut-être pas la bonne époque. Je ne sais pas.»Est-ce que donc ce travail pour Radio Europe Libre et la rédaction de ses souvenirs étaient suffisants pour assouvir son besoin de création littéraire ?
« Ecoutez, certainement pas. Il compensait en lisant beaucoup. Je l’ai toujours vu lisant plusieurs livres en même temps. Justement, après sa maladie, cela aussi a été une torture pour lui, parce qu’il pouvait lire mais cela le fatiguait très rapidement. Donc il lisait beaucoup moins qu’avant et c’était très difficile pour lui. » Trois traits fondamentaux se détachent dans l’œuvre de Jan Čep - angoisse, patrie et émerveillement. Il a intitulé ses souvenirs « Ma sœur l’angoisse ».
Est-ce vrai que l’angoisse ne le quittait jamais? Comment pouvait vivre-il avec cela?
«Ecoutez, vraiment j’ai toujours vu mon père comme quelqu’un de très angoissé. Je ne sais comment il pouvait vivre avec ça et surtout après sa maladie. Je me souviens que certains soirs j’allais lui souhaiter bonne nuit et il me disait : ‘Ma petite fille, j’espère que je serai encore là demain.’ Son angoisse la plus terrible, c’était celle de mourir.»
Est-ce que cet émerveillement dont il parle et qui est une autre facette de sa vie, cet émerveillement qui lui permettait, comme il dit, « de découvrir le monde avec des yeux d’enfant, comme une apparition, comme un don », se manifestait aussi dans la vie de tous les jours?
«Franchement je n’ai pas énormément de souvenirs de ça. Ma mère m’a dit que pour lui, la naissance de mon frère et la mienne, nous sommes jumeaux, était effectivement un émerveillement. Il ne pensait pas que cette joie lui serait donnée un jour. Mais il est vrai que dans la vie de tous les jours je ne l’ai pas beaucoup vu.»
Quel est votre plus beau souvenir de votre père ? Est-ce que vous en avez ?
«Oui, j’en ai plusieurs mais pas beaucoup. C’est des petites touches. Par exemple, un été nous étions en vacances à Banyuls et, un soir, nous sommes allés boire un verre. C’était sur le port et on était bien, et lui aussi. Il riait ce qui était quand même assez rare, en tout cas devant nous. Voilà, de petites touches comme ça. Ou alors des soirées avec des amis tchèques à lui qui venaient et étaient tous là. Quelquefois ils chantaient et pleuraient, mais quelquefois ils chantaient et riaient. Je crois que mon plus beau souvenir avec mon père est quand je le voyais rire. Et ce n’était pas très souvent.»
Que considérez-vous comme le plus précieux dans la création littéraire de votre père?
«Malheureusement, comme je vous ai dit, je ne parle pas assez bien tchèque pour être capable de lire son œuvre. J’ai lu en français ‘Les Tziganes’ que j’ai beaucoup aimé. Son autobiographie (Ma sœur l’angoisse) m’a beaucoup émue. Enormément. Je ne suis donc pas capable de vous dire quelle partie de son œuvre est la plus précieuse pour moi puisque, malheureusement, je n’en connais qu’un tout petit fragment.»
C’est donc quand même « Ma sœur l’angoisse » qui vous a donné la plus forte impression…
«Oui, parce que ça mêle les souvenirs que je n’ai pas partagés avec certains moments et souvenirs qui sont également les miens, donc forcément, ça fait partie de moi-même aussi.»