Mange ta grenouille : le théâtre français s’installe au studio Alta
Du 10 au 13 mai prochain, le festival du théâtre français à Prague, Mange ta grenouille, fait la part belle à plusieurs créations théâtrales venues de l’Hexagone. Mises en scène par des réalisateurs tchèques, les pièces sont présentées sous forme de spectacle complet ou sous forme d’esquisses scéniques. Débat, concert, installation sonore et ateliers franco-tchèques viennent compléter le tableau de cette quatrième édition.
« Le festival Mange ta grenouille est une institution qui s’est créée de façon organique depuis la première édition, avec beaucoup d’enthousiasme. C’est sûr qu’avec les années qui passent, on s’organise un peu différemment. On a donc une structure un peu différente. Pour cette édition, ce qui s’est cristallisé au bout de quatre ans, ce sont trois lignes dramaturgiques que nous avons nommées ‘entrée’, ‘dégustation’ et ‘banquet’. Ces trois lignes principales s’efforcent d’atteindre à la fois le public professionnel, mais aussi un public plus large que seulement les spectateurs de théâtre. Ça, c’est la ligne ‘dégustation’, où on essaye d’attirer le public sur la collaboration interdisciplinaire ou sur des projections de cinéma, des installations sonores, des concerts etc. Enfin, il y a le ‘banquet’ qui, le soir, présente les nouvelles pièces contemporaines, en nouvelle traduction tchèque, ainsi qu’un spectacle français qu’on amène à Prague. »
On ne peut évidemment pas parler de tous les événements du festival qui se déroulera du 10 au 13 mai au studio Alta, dans le quartier de Holešovice. Mais évoquons certains temps forts. Vous proposez au public praguois de découvrir notamment Buffet à vif, une pièce de Pierre Meunier créé pour le programme In du festival d’Avignon. Parlez-nous de cette pièce.
« Buffet à vif est une pièce assez spécifique parce que c’est une pièce sans paroles. Il n’y a donc aucune barrière de la langue. D’ailleurs toute la programmation du festival est entièrement traduite du tchèque au français et du français au tchèque, pour qu’elle soit accessible à tous. Cette pièce est une sorte de performances chorégraphique, un peu clownesque, assez folle, qui se passe entre un chorégraphe, un metteur en scène-performer, une scénographe et un grand buffet ancien. Je ne veux pas en dire plus, car il y a beaucoup de surprises dans ce spectacle. Nous l’avons surtout choisi pour son côté interdisciplinaire. Nous aimons vraiment quand les disciplines se croisent. Ici, l’influence scénographique se voit beaucoup. Ensuite, nous pensions que c’est quelque chose qui peut bien parler au public tchèque notamment par son sujet sur la tradition. Cette pièce traite en effet beaucoup des traditions, des choses qui ne changent pas et que l’on pourrait briser, ou pas. »C’est particulièrement intéressant, pour nous, à Radio Prague, vous accueillez cette année Laureline Le Bris-Cep, une jeune auteure qui se trouve être la petite-fille de l’écrivain et traducteur tchèque Jan Čep, qui a émigré en France en 1948, après le Coup de Prague.
« C’est une situation curieuse car nous avions choisi le texte en ignorant totalement que Laureline Le Bris-Cep était la petite-fille de Jan Cep. C’était une jolie surprise ! Mais nous avons choisi le texte pour le contenu de la pièce et sa qualité formelle… C’est un monodrame qui s’appelle Pourtant personne n’est mort. Il traite d’un homme âgé d’une cinquantaine d’années, de la solitude, des regrets qu’on peut avoir quand on arrive vers la fin de sa vie. C’est une pièce que nous avons proposée à l’acteur tchèque David Prachař puisqu’on savait qu’il avait une relation assez forte avec l’écriture de Jan Čep. On s’est dit que ça pouvait faire un beau lien. Et en plus, c’est un rôle qui aurait pu être écrit pour un homme comme lui. Ce sera présenté dimanche 13 mai au festival. »
Laureline Le Bris-Cep n’a pas connu son grand-père, puisqu’il est mort en 1973 et qu’elle n’a que 27 ans. Mais savez-vous ce qu’il représente pour elle, ce que représente la République tchèque pour elle ? Elle sera d’ailleurs présente au festival…
« Effectivement, elle a été très touchée d’apprendre que sa pièce avait été retenue et sans que l’on connaisse son lien ! Elle est très touchée de pouvoir venir. Pour elle, la République tchèque a toujours été un pays auquel elle se sent liée, mais sans avoir eu l’occasion de connaître la culture de plus près. Donc elle se réjouit de pouvoir revenir à Prague et elle essaye de renouer avec sa famille ici. »
Mange ta grenouille, ce sont évidemment des pièces de théâtre jouées mais pas uniquement, ce sont aussi des lectures scéniques...
« Les lectures scéniques ont lieu tous les soirs. En fait ce ne sont pas exactement des lectures, on les appelle plutôt esquisses scéniques ou lectures-spectacles. On essaye toujours de choisir des metteurs en scène qui ont l’intention de monter peut-être la pièce plus tard. Donc il y a toujours une scénographie et une mise en espace assez fortes. On essaye de mettre assez de temps de répétition à leur disposition afin qu’ils puissent aboutir à une vraie proposition d’interprétation. On considère que c’est très difficile d’entendre une pièce à sec et qu’il est important de sentir déjà l’interprétation avec le son, les images, la mise en espace… Tous les ans, on choisit des pièces très différentes, une pièce plutôt classique, plus ouverte au large public, comme celle de Laureline cette année ou celle de Damien Gabriac, Box-office. Damien Gabriac travaille souvent avec le metteur en scène français Thomas Joly. C’est une pièce très parodique, très drôle qui traite du milieu du cinéma. Ensuite, il y a une pièce expérimentale de Gwendoline Soublin, Pig Boy, qui est en trois parties. Cette pièce est très étonnante. Elle parle du milieu de l’agriculture et de l’élevage des porcs, un sujet assez original. On pourrait aussi mentionner Les aventures d’Auren, le petit serial-killer. C’est une pièce jeune public de Joseph Danan. On choisit une pièce jeune public tous les ans parce qu’on considère qu’en France, l’écriture pour le jeune public est très développée et traite souvent de sujets qu’on n’aurait pas imaginé pour les enfants. Là, ça traite notamment des pulsions de meurtre d’un petit garçon… »Vous organisez également un débat sur le thème du traitement dramaturgique de traumatismes personnels. Le principe du théâtre antique fonctionnait sur le principe de la catharsis, pour le public, qui en regardant la pièce jouée sur scène, pouvait d’une certaine façon se libérer de certaines souffrances intimes. Là, vous posez la question inverse, à savoir est-ce que l’écriture théâtrale peut aussi être une forme de thérapie ?
« Tout à fait. Tous les ans, le sujet de discussion provient un peu des thématiques auxquelles on est confrontés dans l’appel à textes, car on reçoit autour de 120 pièces par an. A chaque fois, il y a un sujet qui ressort. L’an dernier, on avait choisi la terreur car de nombreuses pièces traitaient des attentats. Cette année, beaucoup de pièces traitaient du vécu, des abus sexuels… Du coup, on veut se poser la question de savoir à quel point, à quel moment ça devient vraiment l’art, et à quel moment c’est un journal intime ? La frontière est en effet assez ténue… Cela nous paraissait intéressant de se poser cette question. Présenter des témoignages non-transformés au public, quelles réactions cela suscite-t-il chez lui ? Aujourd’hui, il est courant dans les créations collectives que les acteurs soient amenés dans le cadre d’improvisations à traiter de sujets personnels. Finalement, on rentre tout le temps dans nos histoires personnelles. Que faut-il, pour pouvoir le retransformer dans l’écriture et la forme scénique, afin que cela devienne consommable par le public extérieur, sans que l’on se sente voyeurs ? On va aussi inviter un spécialiste issu du domaine de la psychologie. Donc pas seulement les metteurs en scène tchèques, les écrivains français, mais aussi un psychologue. Car il y a en effet beaucoup de questions autour de la ‘drama-therapy’, les constellations familiales et tous les moments où on se sert du théâtre pour pouvoir traiter son traumatisme. »
Rappelons pour finir, que Mange ta grenouille a fait un bébé têtard, puisqu’il y a quelques semaines s’est déroulée à Paris la première édition de Fais un saut à Prague, le festival du théâtre tchèque à Paris… Comment s’est passée cette première édition ?
« Ce bébé têtard s’est en fait pas mal débrouillé dans ses premières journées de vie ! Le festival s’est très bien passé. On était même étonnés des réactions chaleureuses qui ont émergé par rapport à cette première édition. La culture tchèque n’est pas très connue à Paris ou en France. Mais on a eu des réactions très positives, on a accueilli des publics très différents. C’était très agréable et en même temps très naturel. C’est une initiative que l’on a eue à partir de nos besoins : on s’est rendu compte que si on avait envie de créer une plateforme de rencontre entre artistes français et tchèques, ce serait plus pratique d’avoir un point de chute dans l’autre pays aussi. C’est donc quelque chose qui nous a même étonnés de voir à quel point ce point de chute a fonctionné dès la première édition. Il y avait des artistes qui étaient présents lors des éditions passées de Mange ta grenouille, et qui sont venus pour le festival tchèque à Paris. Je pense qu’il y a eu un vrai échange. Et notamment avec le lieu, Ani Gras qui nous a suivis dès le début et qui a coproduit ce festival ainsi qu’avec la mairie d’Arcueil. Nous avons tout de suite noué des relations très fortes et je pense qu’on va continuer. Nous avons déjà une deuxième édition de prévue pour le mois de septembre 2019. »