Un regard en arrière
Cette fois-ci nous allons jeter un regard en arrière. Voici la dernière Rencontre littéraire de l’année et je profite de cette occasion pour faire un petit bilan. Je vous propose donc aujourd’hui une sélection d’extraits des entretiens avec les personnalités ayant défilé au cours de l’année 2009 devant le micro de Radio Prague et que je vous ai présentées dans cette rubrique.
Revenons donc tout d’abord au mois de mars lorsque j’ai interviewé Roger Errera, conseiller d’Etat honoraire et ancien membre du Comité des droits de l’homme de l’ONU, venu assister aux obsèques de son ami Jan Vladislav, poète qui n’avait pas courbé l’échine devant le régime totalitaire et qui, après un exil de vingt-deux ans en France, était revenu dans son pays pour y passer le reste de sa vie. Roger Errera a évoqué au micro de Radio Prague, entre autres, sa première rencontre avec Jan Vladislav en 1973 à Prague. En ce temps-là, Roger Errera faisait partie avec quelques amis d’un groupe qui s’efforçait d’aider les dissidents tchèques:
«L’amitié a été immédiate, de part et d’autre, de 1973 à 1977 ma femme et moi, nous avons passé chaque Noël à Prague et j’ai eu le privilège en janvier 1977, quelques jours avant la publication de la Charte 77 d’être présent dans l’appartement de Jan Vladislav, rue Bělohorská, où se trouvaient Václav Havel, Ludvík Vaculík, Pavel Landovský, le professeur Jan Patočka à la veille de cet événement considérable. Il s’en suivit une correspondance des deux côtés, des envois de livres, de journaux de notre part. Et lorsque Jan a pris la décision tragique de quitter son pays, nous avons été plusieurs à l’accueillir à Paris pour faciliter autant qu’il était possible sa vie dans ce pays qui était nouveau pour lui, même s’il le connaissait, bien entendu, depuis longtemps.»Parmi les personnalités invitées au salon «Le monde du livre», au mois de mai, figurait l’écrivain et cinéaste français Christophe Donner, auteur qui explore souvent dans ses œuvres les situations de sa propre vie et qui ne recule pas devant les sujets tabous. Devant le micro de Radio Prague il n’a pas nié être un homme intransigeant qui sait défendre passionnément ses opinions et provoquer la polémique:
«C’est plus fort que moi, effectivement. Il faut que je râle, mais ce n’est pas que je râle tellement. Je suis obsédé, tracassé par un sens de la vérité, un sens de la justice qui me fatigue et me met dans des situations périlleuses. J’arrive à en faire commerce. Heureusement, grâce au commerce j’arrive à rester social. C’est un problème pas tellement sur le plan des opinions politiques, parce que je crois qu’aujourd’hui en France il n’y plus d’opinions politiques qui soient vraiment dangereuses si ce n’est les opinions vraiment odieuses du genre antisémite ou raciste. C’est des choses qui ne me concernent pas tellement, je crois, donc je suis un peu à l’abri de ça. Sinon je ne vois pas trop les opinions qui sont dangereuses, non. C’est plutôt au niveau de l’intimité que c’est pénible. Je rencontre des gens, je vois les gens dans leurs situations sociales et familiales et comme je suis écrivain, je raconte, j’écris ce que je vois, comment je les vois et c’est ça qui fait les problèmes. Je ne suis pas le seul écrivain dans ce cas là, évidemment, mais j’ai la fâcheuse habitude de mettre les gens en cause comme ça et curieusement ça déclanche des choses pénibles. Voilà.»
Vous partagez votre création entre les œuvres pour enfants et les œuvres pour adultes. Pourquoi écrivez-vous tellement pour les enfants ? Que voulez-vous leur dire ?
«Au départ c’était une éditrice, Geneviève Brissac, qui m’avait commandé des livres pour enfants au vu de ce que j’écrivais pour les adultes. Parce que c’est vrai que j’ai commencé à écrire sur mon enfance. Elle avait trouvé qu’il y avait quelque chose d’intéressant (j’ai commencé assez jeune) dans la manière dont je parlais des enfants. Et donc elle m’a fait écrire des livres pour enfants, des contes, qui me sont très agréables à écrire bien que j’en écrive moins maintenant. Ils me sont agréables pour contrebalancer justement ce côté cruel, intransigeant, vindicatif, ce côté autobiographique, à l’os, si on peut dire, c’est à dire une véracité cruelle. Et avec le récit pour enfants je faisais plus attention à mon lecteur. Quand j’écris pour les enfants, je prend des précautions que je ne prends pas quand j’écris pour les adultes que j’estime assez solides (j’ai tord d’ailleurs) pour recevoir les écrits que je leur envoie à la figure. Mes contes pour les enfants sont beaucoup plus moraux, très moraux, je me rattrape un peu de tout le mal que je fais aux adultes. »
La cérémonie de remise de la Médaille de Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres à Mme Jarmila Najbrtová-Lorencová a été l’occasion d’inviter à Prague M. Lucien Chamard-Bois, ancien diplomate qui a vécu et travaillé dans la capitale tchèque. Il a partagé avec nous entre autres son souvenir de la réouverture de la Bibliothèque de l’Institut français de Prague dans les années 1960. Interrogé sur la manière avec laquelle le public de Prague a réagi à la réouverture de la Bibliothèque française, il a dit:
«Peut-être un peu timidement au départ, quand même, car on n’osait peut-être pas tellement franchir la porte de l’Institut, rue Štěpánská, peut-être en raison de difficultés politiques qui existaient encore. Mais je crois que le public a réagi très bien et très vite on a vu apparaître des lecteurs dans cette nouvelle bibliothèque. Il y a une double direction d’abord, c’était une condition de la réouverture, une direction tchèque et française. La direction tchèque a été assurée pendant tout mon séjour pragois par un garçon remarquable, Josef Petráš, et se faisait appeler Pierre parce qu’il aimait beaucoup se prénom français. Quant aux directeurs français qui se sont succédés, j’en ai connu trois. J’ai connu M. Friand qui n’est pas resté très longtemps, je crois, puis M. Deshusses qui a fait ensuite une carrière diplomatique et puis, quand je suis parti, venait d’apparaître comme directeur Mr. Jean-Paul Daulny. Celui qui restait vraiment en permanence, c’était Pierre Petráš. Il était assisté d’une charmante personne, Mme Najbrtová que j’ai le plaisir de rencontrer hier et à qui ont a remis, peut-être un peu tardivement, une décoration qu’elle méritait bien pour un travail humble mais extrêmement efficace qu’elle a pu accomplir pendant cette période. Voilà, c’est tout ce qu’il y avait comme personnel. Nous avions une très bonne entente. Je crois qu’il n’y a pas eu d’à coups, il n’y a jamais eu de coups d’éclats. Tout se passait très bien, nous nous entendions très bien.»
En septembre, nous vous avons proposé une interview avec notre ancien collègue Omar Mounir sur son roman historique consacré à Bou Hmara, homme qui s’était révolté, à la charnière des XIXe et XXe siècles, contre le sultan du Maroc et s’était déclaré prétendant légitime au trône. Omar Mounir a parlé au micro aussi de sa conception du roman historique:
«Le roman historique se présente comme un complément de l’histoire parce qu’il arrive un moment où l’historien s’arrête laissant derrière lui les zones d’ombre et c’est la littérature qui peut les remplir par un travail de restauration comme quelqu’un qui restaure un tableau pour lui donner un sens. Je pense, en tout cas c’est ma déontologie personnelle, que l’écrivain ne doit s’aventurer dans le domaine de la fiction que dans la mesure où il respecte les faits historiques et se contente d’apporter un simple éclairage qui ne déforme en rien le fond du texte historique. Et s’il a l’intention vraiment de gambader dans le monde imaginaire, il ne faudrait pas que le livre soit présenté comme un roman historique et que le lecteur soit par conséquent trompé.»
C’est grâce au dernier concours de Radio Prague que nous avons eu le plaisir d’accueillir dans nos studios, en novembre, Claire Le Bris-Cep, la fille de l’écrivain tchèque Jan Čep. La fille de l’écrivain vit avec sa famille en France mais ne perd pas le contact avec la patrie de son père. Nous avons profité de cette rencontre pour évoquer la vie, la personnalité et l’œuvre de Jan Čep. A cette occasion, Claire Le Bris-Cep nous a raconté aussi un épisode de la vie de son père:
«Un jour, ce n’était pas très longtemps après les événements de 1948, Graham Green était à Prague. Ils étaient amis et ils sont donc sortis ensemble le soir, et finalement ça s’est prolongé. Ils sont retournés boire une bière ou dans une ‘vinárna’ (bar à vin), et ça s’est prolongé très tard dans la nuit. Et quand mon père est rentré chez lui, sa concierge lui a dit : ‘Ecoutez, heureusement que vous n’êtes pas rentré plus tôt, parce que la police vous a attendu à votre table, chez vous, jusqu’à trois heures du matin.’ Et lui, il est rentré à quatre heures. Voilà, Graham Green a sauvé, en quelque sorte, la vie à mon père. En tout cas, il a sauvé mon père de la prison cette fois-là.»
Quel est votre plus beau souvenir de votre père ? Est-ce que vous en avez?
«Oui, j’en ai plusieurs mais pas beaucoup. C’est des petites touches. Par exemple, un été nous étions en vacances à Banyuls et, un soir, nous sommes allés boire un verre. C’était sur le port et on était bien, et lui aussi. Il riait ce qui était quand même assez rare, en tout cas devant nous. Voilà, de petites touches comme ça. Ou alors des soirées avec des amis tchèques à lui qui venaient et étaient tous là. Quelquefois ils chantaient et pleuraient, mais quelquefois ils chantaient et riaient. Je crois que mon plus beau souvenir avec mon père est quand je le voyais rire. Et ce n’était pas très souvent.»
C’était donc quelques fragments des Rencontres littéraires de Radio Prague de l’année 2009. Merci d’avoir été fidèles à cette rubrique. J`espère en toute modestie que vous continuerez à l’écouter aussi en 2010.