Jan Křížek : l’artiste qui avait trouvé la réponse
La Galerie nationale à Prague expose jusqu’à la fin du mois de septembre, des sculptures et des peintures de Jan Křížek. Le projet titré « Jan Křížek et le Paris des années 1950 » met en relation l’œuvre de ce sculpteur tchèque avec la production artistique française de l’époque. Associé aux expositions de l’art brut organisées par Jean Dubuffet, Jan Křížek a également mené une correspondance abondante avec André Breton au sujet du surréalisme. Historienne d’art et commissaire de l’exposition, Anna Pravdová, s’est exprimée au micro de Radio Prague sur la vie artistique de Jan Křížek ainsi que sur le contenu de l’exposition.
Qu’est ce qui fait de l’œuvre de Jan Křížek une œuvre unique ?
« Je dirais que c’est surtout son authenticité, parce que, pendant la guerre, alors qu’il n’avait pas encore terminé ses études à l’Académie des beaux-arts, Křížek essayait déjà de se “débarrasser” de ce qu’il avait pu acquérir à l’Académie et de retourner aux origines de l’art – car il pensait que l’art était en train de vivre sa période de déclin et qu’après la guerre, une nouvelle période allait commencer et qu’il fallait être prêt pour un nouveau départ. Il était persuadé que tous les débuts étaient pareils, et qu’il fallait donc essayer de s’y préparer en revenant aux origines de l’art. Il s’est beaucoup intéressé à l’art grec archaïque, à tous les arts primitifs... mais sans les copier. Il a cherché en lui ce que ces artistes de l’Antiquité ont pu utiliser dans leur création. Il a essayé de le trouver en lui et, à travers cela, de s’exprimer de manière authentique et très spontanée, sans avoir recours aux canons académiques. Mais en même temps, c’est quelqu’un qui connaît le contexte, qui connaît l’art. Ce n’est pas un véritable artiste d’art brut comme on le décrit souvent. Il sait très bien ce qu’il fait. Il est “conscient” même si, consciemment, il essaie beaucoup de travailler avec son inconscient. Dans des échanges de correspondance avec André Breton, ils discutent tous deux de ce qu’est la création automatique, et Křížek se montre encore plus radical qu’André Breton, dans certaines formulations, dans certaines velléités de faire un travail vraiment automatique, en disant “je ne veux pas être seulement cette électricité conductrice”, comme le décrit André Breton dans La création automatique, mais “je veux être cette énergie même”. Je dirais que c’est ce caractère authentique qui rend son œuvre unique, mais aussi sa position en marge, entre le surréalisme, l’art brut, l’abstraction lyrique du Paris des années 1950, l’expressivité d’Auguste Rodin, on remarque aussi une certaine influence de l’art baroque tchèque. Sa position est en marge de beaucoup de courants, mais en même temps on ne peut placer son oeuvre dans aucun de ces courants, car elle est unique. Mais on peut y déceler des proximités avec tous ces courants. »Vous avez mentionné sa correspondance avec André Breton. Les visisteurs peuvent retrouver dans le cadre de cette exposition, certaines de ses lettres et les lire en français. Dans l’une de ses lettres, Jan Křížek explique qu’il arrête la création artistique mais qu’il la continuera visuellement dans sa tête. Il mentionne qu’il a trouvé la réponse à ses problèmes. Qu’est-ce qui était au coeur de sa recherche ?
« Il ne l’a jamais vraiment formulé. Bien sûr je me suis posée la question, beaucoup de gens se sont sans doute posés la question, mais on ne peut pas avoir de réponse claire. Je pense qu’à travers son oeuvre, il essayait de régler un problème d’ordre spirituel, personnel. L’unique sujet de son oeuvre, c’est la figure humaine, et en particulier la figure féminine. Parfois, c’est une forme indéfinissable, on ne sait pas si c’est une femme ou un homme – c’est peut-être sans importance –, mais c’est toujours un Homme dans un environnement très abstrait, entouré de formes, de signes, de couleurs. Je pense qu’il s’est beaucoup interrogé sur la position de l’Homme dans l’univers, sur la relation entre l’Homme et les énergies de la nature, les énergies cosmiques. Je pense que c’est ce qui était au cœur de son travail. »On va descendre dans l’exposition pour essayer de décrire une de ses sculptures...
« Peut-être que je mentionnerai celle qu’il a décidé d’offrir à Charles Estienne, parce qu’il l’a faite en Bretagne, où il a séjourné grâce à Charles Estienne qui l’a mis en contact avec le peintre Pierre Jaouën. C’était important pour Křížek, parce qu’il travaillait à Paris dans une chambre de bonne où il ne pouvait pas utiliser ses matériaux préférés, qu’étaient la pierre et le bois, et où il ne pouvait pas faire de sculptures de grand format. Il faisait donc de petites sculptures en terre cuite. Charles Estienne le savait et lui a permis à deux reprises de travailler d’abord dans sa maison à Gordes, puis chez Pierre Jaouën en Bretagne au bord de la mer. Mais Křížek étant de nature très nerveuse, il ne pouvait pas se concentrer chez Pierre Jaouën. Il a donc finalement fait ses sculptures chez les parents de Pierre Jaouën, dans une maison dans les terres entourée d’un mur en pierre. Křížek était bien isolé et pouvait ainsi se concentrer. Là, il a fait quelques sculptures en pierre et quelques sculptures en bois de grand format.Une de ces sculptures en bois, qui fait 1,80 mètre je crois, est aujourd’hui au Musée des beaux-arts de Brest. C’est une sculpture de femme. Certaines personnes m’ont dit que l’artiste avait sans doute été inspiré par Anne-Yvonne Jaouën, la sœur de Pierre Jaouën, qui vivait dans cette maison et qui a donc passé l’été avec Křížek et son épouse. Cette sculpture représente une femme à la manière propre de Křížek, qui n’est pas du tout académique, mais qui suggère le corps féminin par quelques traits, en mettant l’accent sur certains éléments importants. C’est à la fois très expresssif, très singulier, il n’y a rien de trop dans cette représentation. Křížek travaille de manière très “sobre”: tout ce qui doit y être y est, mais rien de plus. C’est une très belle sculpture, il faut la voir, elle est difficile à décrire. »
Il y a aussi un grand sourire sur son visage...
« Oui, c’est vrai, et c’est important de le dire parce que les gens qui connaissent les conditions dans lesquelles Křížek vivait et qui connaissent son histoire sont souvent très surpris par l’optimisme que dégage son œuvre. »L’exposition intitulée « Jan Křížek et le Paris des années 1950 » se trouve au manège du Palais Wallenstein (Valdštějnská jízdárna), à la Galerie nationale. Elle est sera ouverte tous les jours sauf les lundis jusqu’au 29 septembre 2013.