Jan Kudrna : « L’UE devrait repenser ses domaines d’action »

Jan Kudrna, photo: CT24

Radio Prague vous propose ce mercredi, la troisième et la dernière interview réalisée avec les participants à la conférence intitulée « Comment aborder les projets d’approfondissement de l’intégration européenne ? » qui s’est tenue vendredi dernier à Prague. Après l’entretien avec l’ancien Premier ministre social-démocrate, Vladimír Špidla, la parole est donnée au spécialiste de droit constitutionnel, Jan Kudrna.

Jan Kudrna,  photo: CT24
La réflexion de Jan Kudrna, spécialiste de droit constitutionnel à la Faculté de droit à l’Université Charles, se concentre autour de deux thématiques. La première porte sur le choix des domaines précis de l’action européenne. La seconde s’interroge sur les forces de désintégration actuellement en cours.

Quand on discute sur la délimitation du champ d’action de l’Union européenne, Jan Kudrna fait remarquer qu’elle est inévitable. Cependant, il est, selon lui, plus simple de déterminer quels sont les domaines qui devraient être gérés au niveau communautaire, par rapport à ceux qui resteraient hors compétence européenne. L’énumération en est assez classique incluant la défense commune du territoire, la monnaie unique, la politique étrangère unique, et enfin de grands projets d’infrastructure. Jan Kudrna démontre que la réalité de tous les jours prouve qu’on est encore loin de cette vision idéale :

« La politique étrangère pour l’ensemble des Etats membres n’existe pratiquement pas. Les Etats postcoloniaux articulent leur diplomatie en fonction du passé et les autres ne disposent pas d’influence sur la scène internationale. Quant à la monnaie commune, elle dépend trop souvent des négociations de couloirs et on fait uniquement appel aux structures européennes pour en valider les conclusions. La défense commune, inexistante jusqu’à présent, pourrait pourtant être un élément d’intégration significatif parce que l’armée a des traits égalitaristes en mettant sur le même niveau des personnes provenant des différentes couches de la société. »

Photo: Commission européenne
Si un accord pourrait être trouvé, visant la nécessité d’une protection commune du territoire européen, il serait nettement plus problématique de rassembler la même coalition de forces européennes, autour d’un sujet relevant de la politique familiale, et Jan Kudrna en explique des raisons :

« L’Union européenne devrait renoncer, au moins pour plusieurs décennies, à communautariser les domaines qui ont trait à l’organisation de la famille, à la problématique des partenariats enregistrés, à l’adoption, à l’avortement, etc. Ce sont des terrains sur lesquels les Etats européens ont des traditions divergentes depuis des décennies ou même des siècles et arriver à un accord dans ces domaines se ferait au prix d’un lourd compromis politique. Un Etat, qui céderait dans une de ces questions sensibles, demanderait des concessions dans d’autres politiques et celles-ci pourraient le cas échéant mettre en danger la fonctionnalité de l’ensemble du système européen. »

Jan Kudrna détecte également de nombreux exemples de manque de solidarité entre les Etats européens qu’il attribue notamment aux forces de désintégration qui sont en cours :

Photo: Commission européenne
« Un des plus grands problèmes de l’intégration européenne, qui se trouve dans les fondements mêmes de l’UE, est que les règles ont été créées dans des périodes de stabilité et de croissance quand tout le monde voulait coopérer. Mais regardons par exemple le secteur de l’énergie. L’Allemagne vient de décider que son énergie proviendra des sources renouvelables, sans pour autant disposer de moyens pour transporter cette énergie du nord vers le sud du pays et donc l’Allemagne utilise les réseaux tchèques. A cause de cela nous sommes exposés à de possibles coupures d’électricité. En réaction, l’Etat va construire une infrastructure permettant de nous déconnecter du réseau allemand. Voici un exemple clair d’un manque de solidarité et un facteur de désintégration, puisque si les ennuis se produisent, ce n’est pas l’UE qui vient au secours mais l’Etat qui s’occupe de manière isolé de son problème. »

Ainsi la réflexion de Jan Kudrna nous invite à revisiter la notion de solidarité à l’échelle européenne et propose plutôt de faire moins, mais de le faire bien. Sans quoi même de bons projets d’intégration pourraient succomber à des forces de désintégration.