Jan Palach, symbole du désespoir d’une génération
Le 16 janvier prochain, cela fera 40 ans, jour pour jour, que Jan Palach s’immola sur la place Venceslas à Prague, afin de protester contre la normalisation, suite à la répression du Printemps de Prague. Afin de mieux comprendre cet acte courageux et étonnant, nous revenons aujourd’hui sur le monde étudiant tchèque dans les années 1960.
C’était le 16 janvier 1969, la Radio tchécoslovaque, Československý rozhlas, annonçait l’auto immolation de Jan Palach. On le sait assez peu, mais Jan Palach faisait partie d’un groupe d’étudiants, réunis par un dégoût commun face à l’arrêt brutal du Printemps de Prague en août 1968 et à la normalisation imposée par Moscou.
Tous avaient décidé de s’immoler pour protester et faire réagir la nation. Il devait ainsi y avoir une torche numéro un, suivie d’une torche numéro deux, etc. Ces dénominations sont connues mais on sait moins qu’elles faisaient expressément partie du projet originel. Si Jan Palach est la première torche, il le devrait en fait à un tirage au sort décidé au sein du groupe. Avant de mourir, sur son lit d’hôpital, Jan Palach demandera aux autres membres de renoncer à s’immoler et s’il y aura encore d’autres torches, elles n’appartiennent à priori pas au groupe formé autour de Palach.
De janvier à avril 1969, il y a aura encore sept suicides politiques mais on compte également une trentaine de tentatives pour la même période ! Palach a fait des émules malgré lui. Le 25 février 1969, c’est au tour de Jan Zajíc de s’immoler sur la place Venceslas. Le jeune homme n’avait pas choisi la date par hasard puisqu’elle correspondait aux 21 ans du coup de Prague en 1948, jour pour jour. Profitons-en d’ailleurs pour rectifier une approximation aujourd’hui admise : Jan Zajíc est resté dans la mémoire collective comme la torche numéro deux mais il est en fait la troisième. Josef Hlavatý, ouvrier, se donne la mort par le feu à Plzen, le 20 janvier, quatre jours après Jan Palach.
Ces auto-immolations sont d’autant plus étonnantes qu’elles ne correspondent pas aux traditions tchèques ou européennes. Ceci étant dit, il ne faut pas oublier que l’histoire tchèque avait déjà produit des martyrs, décidés à se sacrifier pour la liberté de la nation. Citons les parachutistes Jan Kubiš et Josef Gabčík, qui éliminèrent Heydrich en 1942 ou, plus loin dans le passé, Jan Hus et Jan Népomucène, morts pour ne pas avoir voulu trahir leurs convictions religieuses.
Pour comprendre le geste de désespoir de Jan Palach, il faut garder à l’esprit que le Printemps de Prague durait en fait depuis le début des années 60 et que durant la décennie, la jeunesse tchèque avait eu le temps de prendre ses marques et de réintégrer d’une certaine manière les modes de vie occidentaux. Une révolution parallèle que les médias occidentaux n’ont généralement pas perçu à l’époque.Dans les années 60, la désaffection des jeunes vis-à-vis de l’idéologie officielle est flagrante. Le Parti n’a finalement pas réussi à les embrigader. De nombreux chercheurs et historiens anglais ont bien saisi le rôle de la musique rock, appelé ici Big Beat, dans la vie quotidienne des jeunes Tchèques durant la décennie. Ainsi Sabrina Ramet le reconnaît aussi dans son livre « La musique rock en Tchécoslovaquie », paru en 1994 aux éditions Westview press.
Déconnectés de l’idéologie officielle et branchés sur les radios occidentales, les jeunes Tchèques ont réintégré, par eux-mêmes, un mode de vie occidental et apolitique. Pour le régime, c’est un aveu d’échec sans appel. Nous en avons déjà parlé, à Prague durant les années 60, il y avait environ un concert par semaine et au début, certains voient, comme à Londres ou à New York, des réactions d’hystérie et des chaises qui volent ! Cette expérience aura duré environ sept ans, un temps assez long pour que la normalisation soit ressentie brutalement par la jeunesse. En ce sens, le suicide de Palach est emblématique du désespoir d’une génération.
Le monde de l’université a été marqué par l’occupation soviétique. Josef Macek publie ainsi un Livre noir rassemblant tous les documents qui condamnent l’invasion. D’après les rapports de la Sécurité d’Etat, l’émigration à la fin de 1969 comptait 70 % de moins de 35 ans et 38 % de diplômés des universités ou des lycées. « Avec l’URSS pour l’éternité ? D’accord, mais pas une seconde de plus ! », c’était une rengaine sarcastique qui courait à l‘époque, le « Il est interdire d’interdire ! » des étudiants pragois.
La normalisation touchera fortement le monde universitaire. L’Institut d’histoire, auteur du Livre Noir, doit fermer ses portes. De nombreux professeurs sont évincés et ne peuvent exercer, pour seule profession, que le métier de laveur de vitre ou d’ouvrier du chauffage dans un immeuble collectif... Les peines d’emprisonnement ne dépasseront pas six ans et on ne compte aucune condamnation à mort. En cela, l’ère du stalinisme est bien révolue... Mais il ne faut pas sous-estimer la reprise en main idéologique de l’université avec ses corollaires : la stagnation de la recherche et de la culture tchèques et le retour du dogme dans les amphithéâtres.
Mais dès cette époque, Jan Palach reçoit un hommage à la hauteur de son courage. Le 22 août 1969, l’astronome tchèque Luboš Kohoutek baptise un astéroïde découvert du nom de Palach. Il hisse ainsi le martyr au panthéon d’autres grands noms étoilés de l’histoire tchèque. L‘étudiant aura même eu la primauté sur ses aînés puisque les comètes Hus, Masaryk, Comenius ou encore Smetana seront ainsi nommées par Kohoutek dans les années 70 !