Jana Claverie : « 1968 et 1989 ont été les meilleurs moments pour présenter l’art tchèque à l’étranger »
Pour la 15e année consécutive, le ministère des Affaires étrangères a attribué les prix Gratias agit aux personnalités tchèques et étrangères qui ont contribué, dans leur vie, au rayonnement et à la bonne renommée de la République tchèque dans le monde. Parmi les lauréats de l’année 2011, récompensés vendredi dernier par le chef de la diplomatie tchèque Karel Schwarzenberg, figure Jana Claverie, une historienne de l’art franco-tchèque, spécialiste du XXe siècle.
Jana Claverie s’est exilée à Paris suite aux événements d’août 1968. Elle se souvient :
« Je travaillais à la Galerie Špála spécialisée dans l’art contemporain. Je travaillais aux côtés de Jindřich Chalupecký, un critique d’art réputé aussi en France. En 1968, les Russes sont venus à la galerie et il n’était pas question que nous continuions comme avant. On m’a même recommandé de partir, pour un certain temps, avant que la situation ne se stabilise. Je parlais un peu français, j’avais aussi présenté l’art français à la galerie, donc je ne suis pas allée dans un pays complètement inconnu. Il n’empêche que mes débuts en France ont été assez difficiles. »En France, le parcours professionnel de Jana Claverie est lié au Centre Georges Pompidou, où elle a organisé de nombreuses expositions d’artistes tchèques. Par son intermédiaire, plusieurs galeries européennes ont pu acheter des œuvres d’art tchèques. Le Centre Pompidou qui abrite aujourd’hui plus de 200 œuvres d’artistes tchèques, a réalisé ses premiers achats entre 1979 et 1981. Jana Claverie évoque la difficile collaboration avec les autorités communistes :
« Cela se passait assez mal. Nous avons monté ce projet avec une institution tchécoslovaque qui s’appelait Artcentrum et qui était chargée des exportations d’œuvres d’art à l’étranger. Nous leur avons donné une liste de plasticiens qui nous intéressaient, en leur disant que s’ils allaient supprimer un seul nom, l’achat ne se réalisera pas. Même s’il s’agissait uniquement d’artistes qui n’avaient pas le droit d’exposer en Tchécoslovaquie, les autorités ont quand même accepté, parce qu’elles avaient besoin d’argent. Deux ans après ce premier achat, nous avons organisé une grande exposition d’artistes concernés au Centre Pompidou. Entre-temps, certains d’entre eux ont émigré… Cette exposition-là a soulevé un tollé des autorités tchécoslovaques dirigé contre le Centre Pompidou, contre moi-même et aussi contre les artistes à Prague, qui ont été victimes de représailles. » Jana Claverie vit aujourd’hui à cheval entre Prague, Paris et la Dordogne, région où elle continue à promouvoir la culture tchèque, cette fois-ci par le biais du cinéma… Mais pour elle, les périodes de vifs échanges culturels entre les deux pays sont déjà passées :« Surtout après 1968, il y avait la possibilité de réaliser beaucoup de choses dans le domaine de la culture. Tout le monde était prêt à présenter des artistes, à traduire des livres… Seulement il fallait vite profiter de la situation, avant qu’il n’y ait d’autres événements qui éclipsent le Printemps de Prague. Ensuite, évidemment, l’intérêt pour la Tchécoslovaquie a disparu petit à petit. Pareil après 1989 : il a fallu à nouveau vite profiter de la révolution de velours, organiser des expositions, faire des traductions, montrer la République tchèque par tous les moyens. »
Photo: Barbora Kmentová