Jarmila Loukotkova, romancière qui nous a rappelé la grandeur de François Villon

L’Antiquité et la France médiévale – c’était deux grands amours de la romancière tchèque, Jarmila Loukotkova. L’histoire, discipline considérée par beaucoup comme bien rébarbative et grise, reprenait entre ses mains les couleurs de la vie. Touchés par sa plume, personnages, événements, villes et paysages renaissaient de leurs cendres et lui offraient un terrain fertile pour le déploiement formidable de sa fantaisie. Et les lecteurs se laissaient, et se laissent encore bien volontiers séduire par ses descriptions suggestives. Bien que la vie de Jarmila Loukotkova soit limitée par les dates 1923 et 2007, ses livres continuent à vivre et à nous prouver que l’histoire remodelée par la fantaisie peut devenir une aventure passionnante.

Jarmila Loukotkova
C’est par le roman « Il n’y pas de peuple romain » que Jarmila Loukotkova est entrée dans la littérature en 1949. Cette évocation haute en couleurs de la vie de Pétrone, célèbre poète et « arbiter elegantiarum » de la Rome de l’empereur Néron, signale au lecteur tchèque la naissance d’une grande narratrice. Depuis l’enfance, elle est irrésistiblement attirée par l’Antiquité. Plus tard, elle cherchera à expliquer son engouement en partie par l’influence exercée sur elle par son grand-oncle, Frantisek Loukotka, auteur de plusieurs manuels de grec et de latin et probablement le dernier poète tchèque de langue latine. La passion de Jarmila se nourrit cependant aussi d’autres traits de la civilisation gréco-romaine :

« Mon destin dans ce sens s’est accompli grâce à la pièce ‘Jules Caesar’ de Shakespeare que j’ai vue au Théâtre national. J’ai été ravi par cette oeuvre et, après le spectacle, je revenais à la maison comme si je marchais sur les étoiles. Et depuis ce temps-là, l’Antiquité m’accompagne dans la vie. Elle me donne beaucoup et non seulement à moi. Je pense qu’elle a beaucoup à donner aux gens de la fin du XXe siècle et leur donne, entre autres, les valeurs éternelles – amitié, fidélité, sagesse. »


La vocation d’écrivain vient à Jarmila Loukotkova très tôt. Elle se manifeste pratiquement dès que Jarmila apprend à lire et à écrire. Au lycée, elle écrit des romans dans le style de la Bibliothèque rose qu’elle finira par brûler. A 17 ans, elle rédige son premier recueil de contes intitulé « Jasmin » qui est déjà inspiré par l’Antiquité. Après le succès du roman « Il n’y a pas de peuple romain », elle récidive avec une vaste fresque sur la révolte de Spartacus et avec d’autres romans basés sur l’histoire de la Rome antique. Elle ne reste cependant pas reléguée dans ce seul domaine et se lance dans une évocation du Moyen Age français qui lui servira de fond pour un grand roman sur la vie du poète maudit François Villon:

« De l’Antiquité, mon chemin m’a mené vers Villon. J’ai fait sa connaissance au lycée dans les leçons de français. Je l’ai lu d’abord en tchèque, parce que le français ancien qui était la langue de ce poète, est aujourd’hui difficile à comprendre même pour les Français, et il posait donc d’autant plus de problèmes aux lycéens tchèques. La poésie de Villon m’a envoûté et ravi par son contenu mais aussi par son atmosphère, par sa profonde vérité humaine. Sa poésie est, je dirais, une synthèse de la tragédie et de l’ironie corrosive. C’est grâce à un professeur de lycée, Frantisek Pelikan, que j’ai connu les versions originales en langue française de cette poésie. Un jour, il m’a donné un petit livre et c’était ‘Le Grand testament’ de François Villon en français. J’étais émue et gênée et je lui ai dit : ‘Un jour, j’en ferais quelque chose, M. le professeur.’ Je pense que j’avais tenu cette promesse. J’ai non seulement traduit en tchèque toute l’oeuvre de François Villon c’est à dire un peu plus de 3200 vers, mais j’ai aussi écrit un roman sur lui intitulé « Et pourtant, le poète chante ». Ce roman est mon plus grand succès littéraire, il est paru en cinq éditions et presque en 250 000 exemplaires et on le lit toujours. »


La France médiévale et le personnage sulfureux de Gilles de Retz inspirera à Jarmila Loukotkova encore le roman « Dieu ou Diable ». Exploratrice passionnée des puits profonds de l’histoire, Jarmila Loukotkova n’en est pas moins une écrivaine de son temps et écrit plusieurs romans contemporains qui lui permettent de s’interroger sur la vie et la psychologie de la femme moderne. Parfois, elle fait des excursions dans le domaine policier et ne dédaigne même pas d’écrire des romans d’aventures.

Une partie de la critique lui reproche de donner un caractère trop romantique à ses évocations des personnages et des époques historiques. Mais on ne peut pas nier la force de sa narration, sa capacité d’édifier une intrigue qui tient le lecteur en haleine, sa riche palette qui lui permet de donner les couleurs de la vie à ses fresques historiques. On sent que la littérature était pour Jarmila Loukotkova, non seulement un art et une vocation, mais aussi un refuge contre les avatars de sa vie privée plutôt décevante, contre ses échecs amoureux. Pour plusieurs générations de lecteurs tchèques, elle restera surtout l’auteur du roman « Et pourtant, le poète chante »qui donnera à beaucoup de lecteurs l’envie de connaître d’avantage l’oeuvre de François Villon et son temps.

« Le roman m’a donné beaucoup de travail. J’ai du beaucoup étudier notamment les réalités du Moyen Age. J’ai mis trois ans à l’écrire. J’ai commencé quand j’étais enceinte, et je l’ai terminé quand ma fille avait deux ans. Le roman donne une image complexe de François Villon, des bons et des mauvais traits de son caractère, et il dépeint aussi son époque qui était pleine de contradictions. Lors de la première parution du roman, j’avais 34 ans. C’étaient les plus belles années de ma vie, période où la femme est déjà mûre mais reste encore jeune, le moment où la beauté féminine est la plus épanouie et la plus odorante. Et, pour moi, ces années étaient en plus couronnées par le succès dans mon travail, bien que ma vie privée ait laissé toujours à désirer. Néanmoins, il n’y a pas de succès artistiques sans pertes personnelles, et il faut peut-être qu’il y ait un grain de sel dans chaque vie et dans chaque bonheur, afin qu’on sente que la vie ne manque pas de caractère et de saveur. »