« Je dis aux Tchèques qu’il faut être solidaires tant que nous pouvons l’être »
Dans quelle mesure l’Afrique peut-elle être un partenaire pour la République tchèque ? C’est la question à laquelle se sont efforcés de répondre les participants à la conférence qui s’est tenue, jeudi dernier, à l’occasion de la Journée mondiale de l’Afrique, à Prague au ministère des Affaires étrangères, et qui était organisée en coopération avec les ambassades des pays africains en République tchèque. Parmi les invités figurait Houssaini Med Tajeddine, professeur de droit international à l’université Mohammed-V de Rabat. Spécialiste des relations internationales et fin connaisseur du continent africain, Houssaini Med Tajeddine est passé dans les studios de Radio Prague. Il nous a d’abord expliqué quel a été le contenu de son intervention à Prague dans le cadre du panel « La politique de bon voisinage : les questions politiques et de sécurité dans les relations entre l’Afrique et les régions voisines » :
« Durant mon intervention à la conférence, je me suis efforcé de présenter le modèle marocain concernant cette politique, car c’est un modèle basé d’abord sur une stratégie préventive. Cela signifie fournir un effort exceptionnel dans le cadre d’échanges d’informations avec les pays voisins, et surtout les pays européens, et aussi essayer de démanteler les cellules et les organisations terroristes avant qu’elles ne s’engagent dans leurs actes dans les régions concernées. »
« Pour illustrer mon propos, j’ai donné des chiffres : depuis le début du XXIe siècle, et surtout après les attentats de Casablanca en 2003 et de Marrakech en 2011, les services marocains ont pu démanteler quelque 250 cellules et organisations terroristes. »
Avez-vous trouvé oreille attentive à Prague ? Les Tchèques sont-ils bien informés sur la situation ?
« Les Tchèques sont bien informés de la menace du terrorisme. Il existe désormais un sentiment global en Europe, et donc y compris à Prague. J’y viens régulièrement – deux fois par an -, et je suis à chaque fois le témoin d’une discussion basée sur la logique et les intérêts communs des parties concernées. Cette fois, j’ai constaté que le public tchèque était un peu plus réservé en ce qui concerne le débat profond sur les relations et le droit internationaux. Je ne pense pas qu’il s’agisse là d’une négligence de ces sujets, mais peut-être plutôt d’une position de principe. »
« Le refus tchèque d’accueillir des réfugiés n’est pas justifié »
Dans quelle mesure, selon vous, un pays de la taille de la République tchèque devrait s’intéresser à l’Afrique ?
« La République tchèque fait partie de l’Union européenne. Or, celle-ci est basée sur des principes de solidarité et de politique commune. Je ne vois donc pas comment elle pourrait ne pas s’intéresser à ce qui se passe dans la région. Ces derniers temps, la République tchèque a commencé à jouer un rôle très positif dans l’organisation des conférences internationales relatives à l’Afrique. La célébration de la Journée mondiale le démontre. La République tchèque a les moyens pour jouer un rôle important, car dans l’équilibre des forces, il y a toujours un petit pays qui a la capacité de jouer le rôle de stabilisateur. Ce peut être là le rôle de la République tchèque entre les diverses composantes de l’Europe actuelle. »Les pays d’Europe centrale sont opposés à l’accueil des réfugiés. Que vous inspire la position de la République tchèque en la matière ?
« Je pense que c’est une position critiquable selon les normes et critères du droit international humanitaire. Il convient là de s’arrêter pour bien faire la distinction entre les migrants et les réfugiés. Selon le droit international, la migration est une volonté des personnes d’améliorer leur situation économique et sociale, et cela rentre dans un cadre contractuel. Ceux qui ne trouvent pas de travail ou ne sont pas acceptés dans un pays, sont tenus de rentrer dans leur pays d’origine. Les réfugiés, eux, représentent un cas humanitaire qui nécessite la coopération de toutes les composantes de la communauté internationale pour faire face à ce grand problème. Ceux qui viennent de Syrie ou d’Irak, où il y a des guerres civiles et où leur vie est menacée… Personnellement, j’ai beaucoup apprécié la position de l’Allemagne dans leur accueil. Certes, chaque pays a ses spécificités et peut imposer ses normes dans le cadre de la souveraineté nationale, mais il convient malgré tout de faire valoir la règle du droit international humanitaire. D’ailleurs, une répartition a été faite au sein de l’UE… »
Des quotas que la République tchèque n’accepte cependant pas…
« Je pense que ce refus n’est pas justifié. A partir du moment où l’on fait partie d’un groupe d’Etats qui sont solidaires économiquement et socialement, on se doit de tenir la même position dans le domaine humanitaire. »
« Le Maroc aussi souffre de cette migration, surtout illégale. Le flux des populations subsahariennes dure depuis quelques années déjà. Il y a ceux qui viennent pour s’installer définitivement au Maroc, il y a ceux qui veulent rejoindre l’Europe, mais le Maroc a adopté dernièrement une nouvelle politique qui consiste à régulariser le séjour d’un grand nombre de réfugiés. C’est une politique qui est d’ailleurs très appréciée par les Nations-Unies et par les pays voisins. Le Maroc est désormais considéré comme un des rares pays de la région qui se sont transformés de pays de transition en pays de séjour pour ces immigrés. Cette contribution se fait malgré les moyens très limités du Maroc qui est lui-même un pays en développement. »
« Oui, mais… »
C’est là un peu le discours du gouvernement tchèque, à savoir qu’il convient d’abord d’aider dans les pays les plus touchés par la crise migratoire.
« Oui, enfin, la République tchèque est un pays avancé qui a une forte industrie, un très faible taux de chômage et, plus généralement, des capacités plus importantes que le Maroc. J’espère néanmoins que le Maroc sera un pays émergent qui contribuera encore davantage dans le domaine particulier de l’aide aux réfugiés. Après, dire qu’il faut aider les pays concernés plutôt que d’accueillir les réfugiés… Qui sont les pays concernés ? Ce ne sont pas les pays du Maghreb ! Ce sont les pays d’origine des réfugiés. Et c’est là que l’aide internationale doit jouer un rôle déterminant. Personnellement, je préfère que l’UE contribue d’abord par de l’aide humanitaire, puis par une assistance au développement par des investissements. D’ailleurs, le Maroc n’a pas manqué son rôle dans ce domaine. C’est le premier investisseur en Afrique de l’Ouest et le deuxième, après l’Afrique du Sud, dans l’ensemble du continent. Le Maroc n’est pas seulement intéressé par l’exportation des phosphates pour les fertilisants, mais par les services en général, comme par exemple dans le domaine des télécommunications, des banques, des transports, etc. Le principe du Maroc est de renforcer la coopération Sud-Sud, qui sera presque une alternative à la coopération Nord-Sud, et aussi celle qui est basée sur le principe de gagnant-gagnant. C’est la voie qui permettra à l’Afrique de se développer. C’est l’élément principal pour combattre le chômage, et ainsi logiquement la migration illégale. »
Si vous étiez attablé avec un Tchèque, comment lui expliqueriez-vous votre vision de l’évolution de la situation en Afrique, un continent méconnu ou mal connu des Tchèques ?
« Je l’ai dit, je viens régulièrement à Prague depuis sept-huit ans, et j’ai donc déjà eu l’occasion de discuter avec des professeurs universitaires, des avocats ou des hommes d’affaires. Mon discours a toujours été le même, c’est-à-dire que nous sommes tous des êtres humains et que nos relations doivent être basées sur la solidarité. Je suis conscient que cette solidarité a ses limites, mais tant que nous avons la possibilité d’être solidaires, surtout dans le cas des réfugiés – je ne parle pas de l’immigration illégale -, il faut l’être. Et ce pas seulement entre pays européens, mais au sein de la communauté internationale dans son ensemble. »
Et quelles sont les réactions à votre discours ?
« Ils disent ‘Oui, mais…’ Ils admettent que le gouvernement doit faire un effort, surtout les professeurs universitaires, je dois dire, qui sont très attentifs à la chose. Mais les industriels, eux, disent qu’ils préfèrent aller investir dans ces pays pour aider les peuples et demandent des garanties. Je pense que c’est là un défi pour l’Organisation de l’unité africaine. »