Je ne lis pas ! J’écoute
Aimez-vous lire ou préférez-vous écouter ? Tous ceux qui préfèrent l’écoute à la lecture disposent aujourd’hui d’un moyen qui leur permet d’assouvir confortablement leur appétit de la littérature. C’est le livre audio, c’est-à-dire le livre dont on a enregistré la lecture, qui devient de plus en plus populaire parmi les lecteurs. Les éditions Universum ont récemment publié un livre intitulé Nečtu ! Poslouchám (Je ne lis pas ! J’écoute) que ses auteurs Lukáš Vavrečka et Klára Smolíková présentent comme un guide du monde fabuleux des livres audio.
Les défenseurs et les détracteurs
Quand surgit un nouveau phénomène qui ébranle les habitudes, il a souvent le don de diviser le public. Il y en a qui l’acceptent avec plaisir, mais il y en a aussi qui le rejettent et insistent sur sa nocivité. C’est également un peu le cas du livre audio. Lukáš Vavrečka ne cache pas que l’ouvrage qu’il a écrit avec Klára Smolíková est, entre autres, une espèce de plaidoyer en faveur du livre audio et une tentative de le défendre contre ses détracteurs :
« Notre ouvrage est destiné non seulement aux amateurs des livres audio et de la lecture en haute voix en général, mais aussi à tous ceux qui se heurtent à ce genre de livre et sont obligés de se confronter avec ce phénomène. Pour beaucoup, c’est une situation nouvelle, et ils ne savent pas comment l’aborder. Notre ouvrage est destiné aux bibliothécaires qui voient augmenter les fonds des livres audio dans leurs bibliothèques, aux instituteurs qui peuvent utiliser et utilisent déjà le livre audio dans l’enseignement, aux parents dont les enfants ne lisent pas mais savent écouter et pour lesquels cela pourrait être une voie vers la lecture et la littérature. Et c’est aussi un ouvrage pour les gens qui aimeraient lire mais qui soit n’ont pas le temps, soit ont les yeux trop fatigués et ne veulent plus concentrer leur regard sur un texte. »
Un phénomène vieux comme la civilisation humaine
Il faut dire tout d’abord que le livre audio n’est pas un phénomène nouveau et que ce n’est qu’un aboutissement d’une longue évolution. Lukáš Vavrečka et Klára Smolíková retracent dans leur ouvrage cette évolution et démontrent que les récits transmis oralement sont aussi anciens que notre civilisation. En effet, les récits les plus anciens ont été racontés par leurs auteurs, et ce n’est que beaucoup plus tard qu’on commence à les conserver par l’écriture et à les lire. Un grand progrès dans ce domaine sera atteint à la suite de l’invention des moyens techniques qui permettront d’enregistrer la voix. Dans ce contexte, Lukáš Vavrečka tire de l’oubli un événement historique important :
« Vers la fin des années 1880, Emile Berliner a enregistré sur un disque une ballade de Friedrich Schiller. Il s’agit donc très probablement du premier livre audio. Et ce qui est le plus intéressant, c’est que c’est l’enregistrement le plus ancien qui s’est conservé jusqu’à nous. Nous pouvons donc dire que l’enregistrement du son le plus ancien est un livre audio. »
Résultat d’une longue évolution technologique
C’est la radio qui a largement contribué à la promotion de ce que nous pouvons appeler la « lecture sonore ». Dès la première moitié du XXe siècle, les auditeurs pouvaient écouter des pièces de théâtre radiophoniques mais aussi la lecture de contes et de romans divisés en épisodes et présentés sous forme de feuilleton. Nombre de ces émissions ont été enregistrées sur des disques ou, ensuite, sur des cassettes. C’est le disque compact, et plus tard les fichiers numériques en téléchargement, qui apportent dans les premières décennies du XXIe siècle une véritable révolution technologique dans ce domaine.
Désormais, un volumineux roman de mille pages peut être comprimé sur un disque ou téléchargé sur un téléphone portable, et cela ouvre de nouvelles perspectives au livre audio. Cependant, cela provoque aussi certaines inquiétudes et la mobilisation de ceux qui se montrent réticents à l’égard de ce nouveau moyen technique. Lukáš Vavrečka répertorie les arguments couramment avancés contre le livre audio :
« Nous avons entendu beaucoup d’opinions de gens estimant que l’écoute des livres audio n’est peut-être pas tout à fait inadmissible, mais qui préfèrent la lecture à l’écoute. Et nous avons constaté que beaucoup de ces arguments étaient basés sur des faits douteux et des opinions dépassées. On dit par exemple que l’écoute passive berce et endort, et qu’elle devrait être interdite au volant. D’autres réticents estiment que l’écoute des livres audio n’est bonne que pour les gens aveugles ou malvoyants. Et parfois on me dit : ‘Mais toi, tu vois bien, alors pourquoi tu écoutes?’ Il fallait démentir ces mythes et c’est ce que nous avons cherché à faire. »
Ecouter en travaillant, travailler en écoutant
Il n’est pas facile d’expliquer aux lecteurs qui souhaitent se concentrer entièrement sur leur lecture, qui cherchent à oublier le reste du monde et désirent plonger dans l’univers romanesque, qu’ils peuvent écouter un roman en faisant pratiquement tous les travaux ménagers et même en conduisant une voiture. L’argument selon lequel on peut gagner ainsi beaucoup de temps risque de leur sembler insuffisant. Lukáš Vavrečka insiste cependant sur cet aspect qui nous permettrait, à son avis, de connaître beaucoup plus d’œuvres littéraires :
« Un exemple : l’écoute d’un livre audio de 300 pages prend, disons, dix heures, mais pendant ce temps je lave la vaisselle, je prépare le dîner, je plie le linge et je réussis même à faire un saut à l’épicerie du coin pour acheter une bouteille de vin. Et pendant tout ce temps, je porte un casque et j’arrive à écouter plusieurs chapitres d’un livre. »
Les enfants et le livre audio
Lukáš Vavrečka va jusqu’à affirmer que de menus travaux ménagers faits machinalement maintiennent notre esprit en éveil et nous permettent parfois de mieux nous concentrer et de mieux saisir le texte que nous écoutons en travaillant. Et il plaide surtout pour une plus grande utilisation du livre audio dans l’éducation des enfants :
« On dit par exemple que si les enfants en bas âge écoutent trop ce qu’on leur lit, ils n’apprendront jamais bien à lire et que leur rapport avec les livres ne sera jamais suffisamment solide. Mais on oublie que les enfants apprennent à lire et développent leur intérêt pour la lecture grâce aux parents qui leur lisent des livres. Le livre audio a, en plus, l’avantage d’être interprété par des professionnels qui présentent les textes d’une façon dont les parents ne seraient pas capables, et arrivent ainsi à capter et à maintenir l’attention des enfants. »
Les frères jumeaux
Quoi qu’il en soit, l’existence et la popularité croissante du livre audio est désormais un fait avec lequel il faut compter. Lukáš Vavrečka constate que les bibliothèques publiques réservent au livre audio des sections spéciales, et les maisons d’éditions qui les enregistrent se multiplient. La lecture de livres audio devient une discipline artistique spéciale qui a ses vedettes et ses comparses. On se demande quelle est la meilleurs façon de présenter ce genre de lecture, s’il faut lire ces textes avec des accents dramatiques ou d’une voix plutôt neutre, s’il faut y ajouter de la musique. On s’interroge dans quelle mesure les interprètes peuvent intervenir dans les textes et s’il faut les lire à une, à deux ou à plusieurs voix. Désormais le livre audio est considéré comme le frère jumeau du livre imprimé.
Lukáš Vavrečka et Klára Smolíková avouent cependant aimer également beaucoup le livre classique. Pour présenter aux lecteurs le livre audio, ils ont d’ailleurs choisi la forme du livre imprimé, en espérant le publier prochainement aussi sous forme audio. C’est un paradoxe qui démontre que le livre imprimé et son frère audio sont voués à la coexistence, mais que cela ne les empêchera pas de se disputer les faveurs du public.