Josef Lada, le visiteur de Noël

Josef Lada, 'Près du sapin', 1955, photo: Galerie Tančící dům
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Il y a quelque chose de symbolique dans le fait que le peintre et écrivain Josef Lada soit né le 17 décembre 1887 et nous ait quittés le 14 décembre 1957. Venu au monde quelques jours avant Noël, il a attendu Noël pour le quitter aussi. Et c’est Noël à la campagne tchèque qui est devenu un des grands thèmes, sinon le thème majeur, de son œuvre picturale. Bien que 130 et 60 ans se soient écoulés respectivement depuis sa naissance et sa mort, Josef Lada reste pour beaucoup de Tchèques celui par qui Noël arrive, le visiteur de l’Avent, un symbole, l’incarnation des fêtes de fin d’année.

Les Noëls de son enfance

Josef Lada,  photo: Galerie Tančící dům
Tous les Tchèques connaissent les dessins de Josef Lada représentant des scènes de la vie à la campagne, des villages et bourgs tchèques ensevelis sous la neige, les coutumes des petites gens célébrant modestement et humblement les plus belles fêtes de l’année ou encore de joyeux enfants profitant des charmes de l’hiver pour s’adonner au plaisir de la luge ou construire des bonhommes de neige. Ces dessins reproduits sur des centaines de milliers de cartes postales ont accompagné et accompagnent encore chaque année les vœux de santé et de bonheur. Il est évident que Noël était une période cruciale pour Josef Lada, une période gravée profondément dans sa mémoire et devenue une source intarissable d’inspiration. Confirmation en est apportée avec ces mots qu’il avait prononcés il y a bien longtemps de cela à la radio pour évoquer le charme de cette période de paix et d’espoir :

« La poésie de Noël à la campagne tchèque me subjuguait quand j’étais petit garçon. Elle a laissé en moi un sentiment ineffaçable. Je n’oublierai jamais l’étincelante blancheur de la neige, les cris de joie des enfants faisant de la luge, ces crépuscules où le soleil d’un rose chaud se noyait dans la nuit bleue et qui se terminaient par l’appel mélancolique du cor du veilleur et l’aboiement strident d’un chien dans le village s’assoupissant. »

La fausse naïveté d’un observateur attentif

L'exposition de Josef Lada,  photo: Eva Turečková
Le style des dessins et des peintures de Josef Lada est très simple. Il peut même sembler un peu gauche, mais c’est précisément dans cette fausse naïveté que réside le charme particulier de son art. La ligne épaisse de ces dessins s’apparente à l’art du peuple, mais un observateur attentif découvrira peu à peu combien de maîtrise et de virtuosité artistique se cache sous cette gaucherie apparente. Des moyens astucieux ont permis au peintre d’évoquer à sa façon le monde de son enfance passée à la campagne, un monde qu’il nous présente sous un angle idéalisé et transformé par ses souvenirs. Non, Josef Lada n’est pas un peintre réaliste. Les Noëls de son enfance étaient sans doute bien moins idylliques que ce que laissent penser ses dessins. Mais le rôle du souvenir n’est-il pas justement d’embellir le passé pour nous faire oublier les vicissitudes de la vie ? Quelle que soit la réponse à cette question, Josef Lada ne s’est jamais lassé d’idéaliser et d’embellir les Noëls de son enfance :

Josef Lada,  'Près du sapin',  1955,  photo: Galerie Tančící dům
« Dans ma plus tendre enfance déjà, je considérais Noël comme la plus belle fête de l’année. Je n’espérais pas recevoir d’étrennes, je n’ai d’ailleurs jamais rien trouvé sous le sapin de Noël, mais je me réjouissais de l’arrivée de ces fêtes pour la belle atmosphère qu’elles portaient avec elles. J’ai tâché de saisir ce charme particulier dans mes dessins. C’est à vous de juger si j’y suis ou pas parvenu. »

Le monde vu d’un seul œil

Le village de Hrusice,  photo: Denisa Tomanová
C’est le village de Hrusice, situé par très loin de Prague, qui est la patrie de Josef Lada. Sa petite enfance est marquée par un accident qui ne le prédisposait nullement à une carrière de peintre. Il n’a que six mois quand il tombe sur un couteau, perd un œil et avec lui aussi probablement la vision plastique du monde, la profondeur de la vision. D’aucuns verront dans ses troubles de la vision le secret de son style et de l’originalité de ses dessins. Fils d’un cordonnier, Josef Lada envisage d’abord une carrière de peintre en bâtiment ou de décors de théâtre, mais très vite il s’impose comme un caricaturiste sagace et un illustrateur pertinent. Son amitié avec Jaroslav Hašek, le futur auteur des Aventures du brave soldat Chveïk, marquera profondément sa vie et son œuvre. Il illustrera le célèbre roman de son ami de 1 339 dessins. Le dessinateur se lance également dans l’écriture et deviendra un écrivain prolifique, un des plus grands auteurs tchèques de livres pour enfants. Sa fille Alena évoquera beaucoup plus tard les débuts littéraires de son père et la naissance d’un des personnages les plus populaires de ses livres, le chat Mikeš :

Le chat Mikeš,  photo: CC BY-SA 3.0
« Les enfants me demandent toujours si mon père avait vraiment un chat qui s’appelait Mikeš. Cela a été son premier livre et la première histoire qu’il nous a racontée. Nous lui demandions toujours : ‘Papa, raconte-nous quelque chose.’ C’est ainsi qu’il a commencé à nous raconter qu’il avait un petit chat auquel il avait appris à parler. Ma sœur et moi étions habituées à croire chaque mot qu’il disait. Il ne nous est même jamais venu à l’idée qu’un chat ne puisse pas parler. Il ne faisait aucun doute que le chat de notre papa savait parler. Et ce chat avait plusieurs camarades, plusieurs animaux auxquels il avait appris à parler, et ainsi de suite. Finalement, mon père a raconté les aventures du chat Mikeš dans quatre livres, un ouvrage en quatre tomes que l’on lit aux enfants aujourd’hui encore. »

Le chat Mikeš et les autres

'De ruseé marraine renarde',  photo: Albatros
Les animaux sont des sujets fréquents des livres et des tableaux de Josef Lada. Celui-ci s’amuse à les humaniser, à leur donner des facultés et des faiblesses humaines, et ses animaux sont adorés par les petits lecteurs. Un épisode témoigne de la profondeur de la sympathie du jeune public pour les héros de leurs lectures. Dans un des livres le mettant en scène, le chat Mikeš, animal espiègle, brise un pot de crème avant de s’enfuir de la maison par peur d’être puni. Après avoir écrit et publié cet épisode, Josef Lada a reçu d’innombrables lettres de ses petits lecteurs déçus qui lui reprochaient d’avoir chassé ce pauvre petit chat pour l’abandonner à un monde hostile et dangereux. L’auteur a alors eu bien de la peine à expliquer à son public que, sans cet épisode, l’histoire de Mikeš serait déjà finie et que le chat devait partir à la découverte du monde pour y vivre de nouvelles aventures.

Le secret d’un art et d’un style

'Mikeš',  photo: Albatros
La liste des œuvres écrites par Josef Lada est impressionnante. Presque tous ses livres sont illustrés par l’auteur lui-même, ce qui rehausse leur attrait pour le jeune public et leur donne un caractère particulier et inimitable. Les héros de ses récits pleins de fantaisie et d’humour sont entrés depuis longtemps dans notre mémoire collective. Plusieurs générations de lecteurs ont sympathisé avec ces petits héros et se sont amusés à la lecture des contes et récits sur les aventures drôles et rocambolesques du chat Mikeš, du cochon Pašík, du bouc Bobeš et de la renarde rusée. Plusieurs générations se sont aussi posé la question de savoir quel était le secret de ce dessinateur devenu écrivain populaire, de ce narrateur qui savait raconter des histoires aussi par son dessin, et dans quoi réside le charme de son art et de son style. Même pour le petit-fils de Josef Lada qui a hérité des tableaux, les droits d’auteurs et même le nom de son illustre grand père, la réponse n’est pas aisée :

L'exposition de Josef Lada,  photo: Eva Turečková
« C’est une question très compliquée. Je pense qu’il a saisi par son art quelque chose de général, quelque chose qui plaît aux gens et que tout le monde peut accepter. Toutes ses illustrations pour les livres d’enfants, tous ses tableaux évoquant les quatre saisons sont réalisés avec une telle précision et sont tellement captivants que chacun y trouve quelque chose. Chacun y voit un peu de son enfance, de son village, de la nature qui était différente et qui n’existe plus. Ce sont toutes ces choses qui font que son œuvre est toujours aussi populaire et aussi appréciée. »