Josef Lada, maître du plaisir
Demandez à un Tchèque de vous donner le nom d'un peintre, dont il connaît depuis sa toute petite enfance les tableaux, dessins et illustrations. Demandez-lui qui est le peintre "le plus tchèque" peut-être, adoré par des dizaines de générations, par les intellectuels comme par les ouvriers. Posez-lui la question de savoir, quel artiste a su le mieux rendre l'atmosphère des fêtes, des coutumes et traditions tchèques, de la vie à la campagne. Josef Lada, va-t-il vous répondre à 99 pour cent. Sans le monde chaleureux de Lada, le Noël tchèque est inimaginable : en décembre, on peut trouver dans chaque papeterie de très jolies cartes de voeux, portant son dessin au verso. A l'approche des plus belles fêtes de l'année, le moment est venu de dresser son portrait...
"Notre maison n'avait qu'une seule pièce. On y a faisait la cuisine, tous les six membres de notre famille y dormaient, mon père y exerçait son métier de cordonnier. De temps en temps, il a même accueilli, pour une nuit ou deux, un sans-abri. Ces gens-là savaient raconter des histoires captivantes. Quand j'étais petit, j'ai beaucoup aimé les écouter, même si, assez souvent, c'étaient des histoires un peu tristes"... Voilà le début des Souvenirs de mon enfance, écrits et illustrés par Josef Lada. C'est justement le milieu dans lequel il a grandi, les gens, les animaux, les contes, la vie quotidienne à la campagne, qui marqueront toute son oeuvre. Les sujets de ses dessins coloriés sont archiconnus parmi les Tchèques : à Noël, le village est couvert de neige... le veilleur annonce l'heure... une famille pauvre s'arrête devant une maison et regarde par la fenêtre le beau sapin décoré, illuminé... une autre famille est rassemblée autour du sapin, les petits installés au coin du feu, écoutant la grand-mère raconter des histoires. On y voit saint Nicolas, les rois mages, le carnaval, les enfants qui font des bonshommes de neige, de la luge, qui patinent. Au printemps, ils se baignent dans un ruisseau, pêchent l'écrevisse et gardent des oies, les fillettes tressent des couronnes. En été, il est temps de ramasser des champignons et cueillir des fruits de bois, en automne, les petits vachers se chauffent près du feu et grillent des pommes de terre. La nuit, un ondin fume tranquillement sa pipe au bord de son étang. Une fée fixe le ciel plein d'étoiles, alors qu'au bistrot du village, une bagarre vient d'éclater...
Dans ses images idylliques, féeriques, pittoresques et gaies, Josef Lada a immortalisé le village de la fin du 19ème siècle : de vieilles maisons au toit de chaume, des églises, des ruisseaux, des collines, des bois... On y reconnaît le village natal de Lada, Hrusice, situé non loin de Prague, sa source d'inspiration la plus importante. En 1901, le fils du cordonnier, amoureux du crayon et du papier, quitte Hrusice et arrive à Prague, pour apprendre le métier de relieur. Quelques années plus tard, il réussit, après avoir échoué deux fois, au concours d'entrée à l'Ecole supérieure des Arts et des Métiers. Or, la peinture académique ne lui disant rien, le jeune Lada abandonne les études aussitôt et décide de poursuivre sa propre voie, celle d'un autodidacte, de créer son propre style, indépendant des courants artistiques de l'époque. Bref, de peindre en accord avec son coeur. Et il a du succès. D'abord comme caricaturiste dans les journaux, ensuite comme illustrateur.
Dans le domaine de l'illustration, notamment des livres pour enfants, Lada devient imbattable. Plus tard, il se met aussi à l'écriture. Son livre des plus célèbres s'appelle Mikes. Qui est-ce ? Un petit chat noir extraordinaire qui sait parler. Mikes, un petit gamin Pepik, les autres enfants du village, le cochon Pasik et le bouc Bobes, ils vivent tous ensemble un tas d'histoires amusantes. Rien d'étonnant, l'action se déroule à Hrusice et Pepik est le fils du cordonnier... La veille de la Première Guerre mondiale, Lada illustre les Aventures du brave soldat Chveik, roman satirique mondialement connu, écrit par son ami Jaroslav Hasek. Les illustrations de Lada, le visage qu'il a donné à Chveik, devenu "héros national" pour les Tchèques, ont eu un succès énorme. Porté à l'écran, Chveik, ainsi que les autres personnages du roman, ressemblent tous aux dessins de Lada, qu'il s'agisse d'un film d'animation ou joué par les acteurs. Josef Lada devient fameux aussi comme scénographe, comme auteur des dessins animés, des décors et costumes de cinéma. Ses dessins sont adorés par tout le monde, par les enfants et leurs parents, mais aussi par ses collègues de renom : "Mais cet homme travaille avec la forme aussi librement que moi!", aurait dit Pablo Picasso...
A vrai dire, la vie de Josef Lada n'était pas toujours rose. D'un côté le succès, mais de l'autre côté... Agé de quelques mois seulement, il a perdu un oeil. Le peintre n'a jamais parlé de cet handicap, qui a dû pourtant le gêner dans son travail. Le petit Josef, nous l'avons déjà dit, a grandi dans un milieu pauvre. Il avait un frère et trois soeurs, ses parents étaient malades. En février 1945, sa fille Eva meurt lors d'un bombardement de Prague. D'ailleurs, sa soeur aînée, Alena, devient illustrateur comme son papa. Josef Lada disparaît le 14 décembre 1957, trois jours avant son 70ème anniversaire... Malgré des moments difficiles, Josef Lada n'a jamais perdu la joie de vivre. Mieux encore, il a réussi à la communiquer à des millions de gens. En apercevant quelques-uns seulement de ses dessins, vous vous rangerez certainement parmi eux.