Josef Váchal, l’homme qui a marié l’art et la magie
130 ans se sont écoulés depuis la naissance de Josef Váchal, artiste universel qui n’a jamais cessé de s’interroger sur l’au-delà et pour lequel la communication avec l’Autre monde est devenue une intarissable source d’inspiration. Pour abattre le mur séparant le monde physique de l’Outre-monde, Josef Váchal utilisait toute une série de méthodes artistiques et même la magie. Il était à la fois peintre, graveur, sculpteur, imprimeur, typographe et relieur, mais aussi écrivain, poète et penseur très original. Comme cela arrive souvent aux novateurs de son genre, Josef Váchal a vécu dans le dénuement et a fini ses jours presque oublié. Aujourd’hui, les collectionneurs d’art s’arrachent ses œuvres, et ses tableaux sont exposés dans les plus grandes galeries tchèques.
Le rapport de Josef Váchal vis-à-vis de l’au-delà évolue cependant perpétuellement. Il ne cesse de s’interroger sur le monde astral qui, selon les sciences occultes, est parallèle au monde physique dans lequel nous vivons, tout en parvenant à dominer sa peur et à trouver une attitude plus assurée face à ce monde inconnu. Il se met alors à chercher les principes de la magie idéale et réunit les résultats de ses recherches dans « La magie parfaite de l’avenir », un livre dans lequel il marie la magie à la théorie artistique. Marie Rakušanová constate que, plus tard, l’intérêt de Josef Váchal pour la magie s’est manifesté d’une façon encore plus intéressante :
« Váchal s’est toujours intéressé au rôle du signe dans la magie. Dans ce domaine, le rôle du signe est un peu différent de sa fonction dans d’autres systèmes de communication. Dans la magie, le signe est une matérialisation du surnaturel. Nous avons par exemple un sceau magique, et ce sceau-même est un démon. Váchal était fasciné par cette théorie et l’appliquait dans sa création. Cette conception du signe se manifestait aussi dans son rapport vis-à-vis de sa propre écriture. Il taillait les caractères de son écriture dans le bois ou les coulait dans le plomb dans des circonstances très pittoresques. Et tout cela correspondait à sa conception du signe dans la pratique de la magie. »Toutes ses interrogation profondes, ses plongées dans les mystères de la vie et de la mort, trouvent des reflets dans les œuvres de Josef Váchal, dans ses peintures à l’huile, ses gravures, ses sculptures, ses fresques, ses projets de mobilier et aussi, bien sûr, dans ses écrits. Josef Váchal n’est pas cependant qu’un médium sensible aux vibrations de l’au-delà. Tout en s’interrogeant sur ces phénomènes mystérieux, il jette souvent sur eux un regard amusé et ironique. Il théâtralise les sciences occultes, les profane et son sarcasme n’épargne pas plus les sphères astrales que lui-même.
Josef Váchal est également l’auteur et l’illustrateur de nombreux livres. En 1924, il imprime et relie dans son atelier un ouvrage intitulé « Le Roman sanglant » et sous-titré « Etude culturelle et historico-littéraire ». Ce texte inspiré du roman noir, c’est-à-dire le mauvais genre littéraire auquel Vachal prête un intérêt très spécial, est rempli de sang, de situations et de caractères improbables et de coups de théâtre sensationnels. Le sujet du roman est extrêmement touffu et labyrinthique, et l’auteur le narre avec force pathos et une fausse naïveté. Il déploie toutes les facettes de son humour corrosif tournant en dérision les personnages principaux, mais aussi les jésuites, les francs-maçons, les communistes, l’art moderne, etc. Membre de « Societas docta », association scientifique fondée pour étudier « Le Roman sanglant », Jindřich Spitzer évoque les circonstances très particulières de la création de cette œuvre provocatrice :« Váchal a fait la composition typographique de ce roman sans manuscrit. C’est pourquoi je ne dis pas qu’il l’a écrit, mais qu’il l’a composé. Il est tout simplement venu à la casse d’imprimerie, s’est mis à réfléchir, à sortir et à aligner des caractères typographiques, et c’est de cette façon qu’il a composé et créé seize exemplaires de son livre. Une fois imprimé le seizième exemplaire, il a détruit la composition et redistribué les caractères. Cela a fait de ce livre une espèce de relique. Il n’existe aujourd’hui que quelques exemplaires de cet ouvrage, je ne peux pas dire combien, peut-être deux, peut-être plus … »
« Le Roman sanglant » n’est d’abord connu que de quelques personnes, des rares spécialistes, connaisseurs et admirateurs de Josef Váchal. Ce n’est que vers la fin des années 1960 que l’historienne de l’art Marcela Mrázová-Schusterová procède à une réédition du roman. Toutefois, le texte, qui comprend une remarque critique sur les communistes, ne peut être reproduit dans son intégralité. Il ne le sera qu’en 1990, devenant le premier livre publié par Paseka, une nouvelle maison d’édition fondée par les amateurs de l’œuvre de Josef Váchal et dont le nom est celui d’un des personnages du « Roman sanglant ». Traduit en français par Myriam Prongué et sorti en 2007 aux éditions Engouletemps, le livre est désormais aussi disponible pour les lecteurs francophones. Vers la fin de sa vie, Josef Váchal, déçu par l’incompréhension du grand public, se retire peu-à-peu du monde et mène une existence de plus en plus modeste. Finalement, il quitte définitivement Prague pour se réfugier à la campagne dans le village de Studeňany, en Bohême de l’Est. Il trouve un dernier foyer dans la ferme familiale de la compagne de sa vie Anna Macková, peintre elle aussi. Josef Váchal y vit dans la misère dans l’attente d’une fin qui surviendra en 1969. L’hiver, il grelotte dans une maison qui n’est pas chauffée. Au monde extérieur, qui lui est de plus en plus indifférent, il préfère la compagnie de ses chiens. Pour autant, il ne cesse de créer. Marie Rakušanová résume cette dernière étape de sa vie et de son œuvre :« Les années passées à Studeňany sont marquées par l’esprit d’expérimentation. La magie tourne en réalité quotidienne. L’artiste essaie d’utiliser divers matériaux, mais, en même temps, il revient aux thèmes ésotériques d’une manière relativement conservatrice. Josef Váchal crée des cycles d’œuvres sur ‘l’autre rive’, réimprime les livres créés au début de sa carrière, etc. Jusqu’au dernier jour de sa vie, son penchant pour la magie ne l’aura donc jamais quitté. »