Journée hommage à Václav Havel au festival d'Avignon

Le festival Villeneuve-en-scène, une composante du festival d'Avignon qui se présente comme le festival des théâtres en itinérance a organisé pour sa 15ème édition deux journées en l'honneur de Václav Havel - deux journées qui se sont transformées en hommage à l'ancien président tchèque et ancien dissident suite à son décès en décembre dernier. Václav Havel avait, dans le projet de départ, promis d'être présent en Avignon. C'est donc sa veuve, Dagmar Havlová, son frère Ivan et une importante délégation de comédiens tchèques qui sont venus le représenter et assister notamment à la première représentation franco-tchèque de la pièce Cirkus Havel. Reportage depuis le festival d’Avignon.

Invité à plusieurs reprises dans le cadre du plus grand festival théâtre en France, Václav Havel, soit bloqué dans les prisons communistes, soit empêché par la maladie, n'aura jamais pu assister à la représentation d'une de ses pièces en Avignon. C'était pourtant en partie pour remédier à cette anomalie que le festival Villeneuve en scène avait entamé une collaboration étroite avec le président-dramaturge. Frédéric Poty est directeur artistique de Villeneuve-en-scène. Il raconte comment ce projet était né :

« L’idée nous est venue parce que Václav Havel nous avait fait l’immense honneur de nous accorder un bout de son amitié, un peu de son temps et avait surtout accepté d’être le parrain du festival ‘Villeneuve-en-scène’ suite à notre rencontre d’il y a trois ans avec Petry Oslzlý et Vladimir Morávek. A ce moment est née cette amitié, ce partage. Quand en décembre, nous nous sommes retrouvés au crématorium avec Petr Oslzlý et la famille Havel, on s’est dit que de tous les hommages organisés, il en manquait un ; il manquait l’hommage au dramaturge. On a donc voulu rendre hommage au dramaturge Václav Havel. D’autant plus qu’on avait imaginé, avec Václav Havel, en octobre 2012 de commémorer les 35 ans de la Charte 77. Suite à sa disparition, on a voulu que ce projet avec lui soit un projet avec et pour lui. »

Que s’est-il passé pendant ces deux jours d’hommage ? Qu’est-ce qui va rester jusqu’à la fin du festival ?

Film de Havel ’Sur le départ‘

« Il s’est passé énormément de choses. J’ai l’impression que ces deux jours ont duré une semaine. On a eu des débats très intéressants sur le contexte de la Charte 77, sur l’extension et les retombées actuelles d’un tel mouvement, on s’est demandé ce qu’était un théâtre politique, et si la poétique est politique. Nous avons eu des lectures, des projections de films et le spectacle ‘Cirkus Havel’, mis en scène par Vladimir Morávek, la troupe Husa na Provázku et les élèves de l’Ecole Nationale Supérieure d’Arts et Techniques du Théâtre (ENSATT) de Lyon, qui se poursuit au théâtre de Villeneuve-lès-Avignon jusqu’à la fin du festival, le 25 juillet. Un point très important, c’est la projection du seul et unique film de Havel ’Sur le départ‘ en présence des artistes qui jouent dans le film, son épouse Dagmar Havlová, Josef Abrhám, Jan Budař, Jiří Macháček. Au sein de la maison Jean Vilar, et en partenariat avec cette maison composée de l’association Jean Vilar et de la Bibliothèque nationale de France, nous avons souhaité présenter deux expositions de photographies en parallèle, c’est-à-dire que la même exposition est divisée en deux parties ; une partie à Villeneuve-lès-Avignon, l’autre à la maison Jean Vilar. Cette exposition est composée de deux fonds qui sont les photographies de Bohdan Holomíček, qui était l’ami de Havel, ce sont des photographies de l’intérieur de la dissidence qu’on a mises en parallèle avec le travail de l’Institut pour l’étude des régimes totalitaires avec des clichés de ‘Prague vue par l’objectif de la police secrète’ tirés des archives de la police secrète. On a souhaité confronter ces deux visions d’une même période. C’est un lieu de questionnement très intéressant. »

Un programme riche et complet au cœur duquel était la présentation très attendue de la première franco-tchèque de la pièce Cirkus Havel, mis en scène par Vladimír Morávek. Cirkus Havel est un montage scénique composé des textes de Vaclav Havel, comme une sorte de patchwork auquel ont été ajoutés des extraits du roman du polonais Mariusz Szczygiel, Gottland. C'est le dramaturge et ami intime de Václav Havel Petr Oslzlý qui présente la version internationale de la pièce :

« Ici pour cette version internationale, nous avons créé une abstraction de l'abstraction des œuvres de Havel que nous avions faite, pourrait-on dire. C'est une abstraction mais toutes ces images sont très métaphoriques, avec le grotesque que l'on trouve dans les œuvres de Havel. Nous avons ajouté de la musique de cette époque et des leitmotivs comme l'Hymne à la joie que Havel aimait beaucoup. Il disait cela ‘quand vous voulez vous souvenir de moi, chantez l'Hymne à la joie’. Nous avons préparé cette version à Brno, seuls, avec des répétitions intensives et des adaptations dramaturgiques. Nous sommes arrivés ensuite une semaine avant la représentation ici pour avoir des répétitions intensives avec 12 jeunes comédiens français. Je dois dire qu'ils sont très talentueux, ils appartiennent à l'ENSATT de Lyon. Nous avons répété 10 heures par jour sous ce chapiteau. »

Le résultat est un spectacle très visuel marqué également par des éléments sonores très puissants. Les langues des comédiens se mélangent, jouant ces extraits de Havel ou explicitant le contexte de ces extraits. A plusieurs reprises, on peut entendre également la voix du dramaturge tchèque.

Václav Havel

Parmi les nombreux admirateurs de Václav Havel présents pendant ces journées, Jean-Pierre Plazas, comédien et directeur artistique de la compagnie théâtrale Lux in Tenebris qui a monté plusieurs pièces de Havel en France depuis de nombreuses années, nous confie ses impressions :

« C’est tout d’abord une manière d’être encore avec un ami, un véritable ami, parce que je connaissais monsieur Václav Havel, c’est aussi un manière de poursuivre l’histoire Havel et enfin c’est une manière pour Marie-France Soulagnet, la metteur en scène, et pour moi, de témoigner de notre amitié pour ce grand homme. Ce que j’ai appris, c’est qu’on apprend toujours avec lui, c’était un esprit très riche qui disait de grandes choses, qui a rencontré beaucoup de personnes. Il y a de nombreuses couches de sentiments, de réflexions, de peines, de joies qu’on aime fouiller quand on aime quelqu’un ; on y prend un plaisir intense. Je viens de voir le film ‘Sur le départ’, et à ce propos je peux rappeler que Václav Havel nous avait envoyé la première traduction de la pièce ‘Sur le départ’ et nous avait demandé de la monter. »

Nous avons assisté à une représentation de « Cirkus Havel » qui est un spectacle utilisant divers textes de Havel. Dans le cadre de ce festival, il y a eu une coopération franco-tchèque, cela vous a-t-il inspiré, pensiez-vous mettre en œuvre un jour une coopération franco-tchèque dans un de vos spectacles ?

Cirkus Havel

« Le spectacle est magnifique, je le trouve très fort. Evidemment, il faut avoir des clefs de l’œuvre de monsieur Václav Havel pour tout comprendre, mais on n’est pas obligé non plus de tout comprendre. On peut aussi recevoir des images, une esthétique, du son, des mots, des phrases. C’était très beau, je félicite le metteur en scène Vladimir Morávek. Quand on a voulu monter ‘Sur le départ’, on voulait le faire avec trois nationalités différentes : avec des Tchèques, des Français et des Espagnols. En tentant cette expériences avec ces trois nationalités, on a eu des difficultés financières, c’est toujours le même problème. J’ai trouvé le spectacle très fort, superbe, j’ai d’ailleurs félicité les comédiens qui m’ont touché. J’espère que beaucoup de gens iront voir ce spectacle. »

La première de Cirkus Havel a en effet était très bien accueillie par le public avignonnais. Elle se jouera jusqu'au 25 juillet sous un des chapiteaux du site du festival Villeneuve-en-scène. Un succès qui donne envie à Frédéric Poty, directeur artistique du festival, de prolonger ces coopérations. Frédéric Poty :

« Je vais régulièrement en République tchèque, je suis très lié à Petr Oslzlý et à Vladimir Morávek. Je découvre régulièrement de nouveaux artistes et j’aimerais continuer les échanges dans cette voie. On a travaillé avec l’ENSATT, notamment pour que la promotion de l’ENSATT qui sortira dans deux ans s’appelle ‘Václav Havel’. Les anciennes promotions avaient des numéros, celle-ci sera la première à avoir un nom et c’est celui de Havel. Il y a des liens qui se tissent et j’essaie à mon niveau de créer le lien entre la JAMU et l’ENSATT, entre la République tchèque et Villeneuve-lès-Avignon.

La journée d'hommage à Vaclav Havel a aussi été marquée par le concert des Plastic People of the Universe, le groupe mythique de l'Underground tchèque dont le destin est étroitement lié avec l'ancien président tchèque et l'histoire de la Charte 77.