Karel Klostermann, un écrivain qui a choisi d’être tchèque
La Šumava (le Böhmerwald) à la frontière entre la Bohême, l’Autriche et l’Allemagne est un massif montagneux d’une beauté envoûtante et mélancolique. Parmi ceux qui sont tombés sous le charme de la Šumava, il y a le romancier Karel Klostermann (1848-1923). Les monts, les forêts et les montagnards de cette région austère sont devenus une source d’inspiration pour la majorité de ses romans et de ses contes. Karel Klostermann est né le 15 février 1848, il y a donc juste 170 ans.
Jeunes années
La première étape de l’existence de celui qui devait devenir écrivain tchèque a été marquée par des incertitudes et des hésitations. Le professeur de l’Université Charles de Prague Martin C. Putna évoque quelques particularités de sa vie et de son œuvre :« Klostermann n’est pas né en Bohême mais en Autriche et ses premiers livres ont été écrits en allemand. Ce n’est que dans l’étape postérieure de sa vie qu’il a décidé de traiter le thème de la Šumava en tchèque. On voit donc qu’au tournant des XIXe et XXe siècles les écrivains et les simples gens avaient encore la possibilité de choisir la langue et la nation tchèques ou la langue et la nation allemandes. Et Karel Klostermann a choisi d’être écrivain tchèque. »
C’est le village de Haag am Hausruck en Haute-Autriche qui est la patrie de Karl Faustin Klostermann. Son père est médecin de langue allemande et sa mère provient d’une famille de verriers tchèques. Un an après sa naissance, sa famille déménage pour s’installer dans la ville de Sušice en Bohême, considérée comme la porte du massif de Šumava. Bien que la famille déménage plusieurs fois par la suite, le garçon restera sensible à l’appel de cette chaîne des montagnes à l’horizon qui deviendront pour lui le synonyme des vacances. Václav Sklenář, qui est président de l’Association Karel Klostermann, rappelle que c’était Srní, en allemand Rehberg, un petit village perdu dans les montagnes, qui a été le théâtre de la vie du petit vacancier et aussi la source de ces premières inspirations :
« Petit, Karel Klostermann se rendaient déjà à Srní. Dès l’âge de sept ans, il passait ses vacances dans la maison de sa tante qui s’appelait Theresia Schulhauser. La maison existe encore mais elle a été remaniée. On l’appelait Maison de pierre et c’est dans cette bâtisse que la tante tenait un magasin où elle vendait les articles dont les paysans et les bûcherons avaient besoin, y compris de la bière et de l’eau-de-vie. Le petit Karel écoutait les bûcherons raconter leurs histoires qui se sont gravées dans sa mémoire et il les a utilisés plus tard dans ses romans. »Entre la médecine et la littérature
Après le baccalauréat au lycée de la ville de Písek, le jeune Karel obéit au désir de son père et va étudier la médecine à Vienne mais il n’est pas un étudiant brillant, ce qui est sans doute dû au fait que ce genre d’études ne l’intéresse pas particulièrement. C’est sa myopie qui est présentée finalement comme la raison de sa décision de mettre fin à ses études, mais curieusement ce handicap ne l’empêchera pas d’étudier par la suite les langues pour devenir un véritable polyglotte et professeur de français au lycée allemand de la ville de Plzeň. Et ce n’est qu’à ce moment-là, autour de 1890, qu’il se lance sérieusement dans l’écriture. Le professeur quadragénaire, qui jusqu’ici n’a écrit que des articles pour les journaux et des contes en allemand, signe les premiers de sa série de romans tchèques qu’il situe dans le massif de la Šumava. Martin C. Putna remarque :
« Vous avez l’impression que les personnages des romans de Karel Klostermann ne sont qu’un petit peuple de nains qui grimpent et courent sur l’immense corps de l’unique personnage véritable, du personnage principal de ces romans qu’est la Šumava. Elle apparait dans ces livres comme une espèce de déesse. Mais il faut dire que ce n’est pas du tout une bonne déesse. Chez Klostermann, la Šumava est une divinité effrayante et irrationnelle, un massif où l’on s’égare. »L’auteur qui se veut absolument authentique
Doué d’une mémoire prodigieuse, le romancier se souvient d’innombrables histoires entendues jadis lors de ses séjours dans les montagnes et leur donne une forme littéraire. Il tient beaucoup à l’authenticité de ces récits et se présente modestement comme quelqu’un qui ne fait que traduire dans une langue littéraire les récits des autres. Il dit à propos de lui-même : « Je ne sais absolument inventer ni types, ni caractères, ni événements, c’est un don que je ne possède pas. Les personnages que je présente au lecteur, ont existé, et ce que je raconte dans mes romans et mes contes, s’est vraiment passé. Je n’ai fait que combiner et organiser cette matière pour en faire une espèce d’ensemble… » Malgré cette modestie, qui n’est sans doute pas feinte, les romans de cet écrivain « sans don » portent la marque d’un véritable créateur et son style évocateur fera rêver plusieurs générations de lecteurs. Pour présenter le romancier Klostermann, Václav Sklenář choisit un de ces livres qui est probablement son œuvre majeure :« Le roman qui a sans doute contribué le plus à sa renommée littéraire est Ze světa lesních samot (Dans la solitude de la forêt). Le lecteur de ce livre peut se faire une image de la forêt vierge qui n’existe plus. Il devient témoin de la vie des gens de ce temps-là qui est extrêmement difficile, il se rend compte de ce qui les attendait par exemple quand ils se blessaient. Et on se rend compte que c’était une époque très dure et combien belle et agréable est la période dans laquelle nous vivons aujourd’hui. »
Narrateur, chroniqueur et paysagiste
Toute une pléiade de montagnards, bûcherons, forestiers, garde-chasses, braconniers, paysans et verriers animent les récits que Karel Klostermann a situés dans les montagnes et les forêts de la Šumava. Aujourd’hui encore ses récits sont considérés comme une précieuse source d’informations sur la vie dans cette région. Botaniste passionné, l’écrivain prête aussi beaucoup d’attention aux descriptions de la nature sauvage et brosse par sa plume de véritables portraits de la forêt, des images qui sont autant réalistes que poétiques. Dans d’autres romans et contes, il amène le lecteur entre autres dans la communauté des immigrés tchèques à Vienne ou dans une région marécageuse de Bohême de Sud où il situe un de ses romans les plus célèbres Mlhy na blatech (Brumes sur les marécages).La réconciliation entre Tchèques et Allemands
Parallèlement, Karel Klostermann joue un rôle important dans la société de la région. Fils d’Allemand, il devient écrivain et patriote tchèque et son choix provoque d’abord la désapprobation et la méfiance dans les milieux de langue allemande et même au lycée allemand où il enseigne. Il réussit pourtant à surmonter toutes ces difficultés sans amertume et sans un brin de chauvinisme. Au contraire, ses activités et son œuvre littéraire sont comme un appel à la tolérance, à la coexistence amicale des Tchèques et des Allemands dans une nature qui est belle, certes, mais aussi violente et redoutable et où la vie est extrêmement rude. Ce rôle de conciliateur est apprécié et reconnu aujourd’hui des deux côtés de la frontière. L’Association Karel Klostermann, qui est active dans la région, est composée de sections tchèque et allemande et parmi ses activités il y a entre autres la publication d’œuvres du romancier et leur traduction en allemand. Václav Sklenář, président de l’Association, souligne le rôle d’intermédiaire qu’a joué et joue encore le poète de la Šumava :
« Quand nous préparions une plaque commémorative de Karel Klostermann pour l’ancien cimetière du village de Srní, je me demandais ce qu’il fallait y écrire. Et nous avons eu l’idée de citer le poète Adolf Heyduk qui a dit : ‘Karel Klostermann, apôtre de la réconciliation entre Tchèques et Allemands’. J’apprécie beaucoup que nos amis de langue allemande ont installé la même plaque commémorative dans le village de Sankt Oswald en Haute-Autriche où Karel se rendait très probablement avec son père. Ce geste confirme que Karel Klostermann est vraiment devenu apôtre de la réconciliation entre Tchèques et Allemands. »