Karel Klostermann : « Je suis le fils des forêts de mon pays »
« Je suis le fils des forêts de mon pays ; j’aime cette nature rude avec toute la force de mon âme. » C’est ce qu’écrivait Karel Klostermann (1848-1923), un homme qui est entré dans l’histoire de la littérature tchèque comme le romancier du massif de la Šumava. Un siècle s’est déjà écoulé depuis la disparition de cet homme né dans un milieu allemand et devenu écrivain tchèque. Adorateur de la nature sauvage et mélancolique de la Šumava, il était cependant aussi un fin observateur des caractères et des types humains et une personnalité importante de la coexistence tchéco-allemande.
Une enfance au cœur de la Šumava
Ce sont les montagnes et les forêts de la Šumava, massif situé aux confins de la Bohême, de l’Autriche et de la Bavière, qui encadrent l’enfance de Karel Klostermann. Ce pays austère et brumeux où les pluies sont interminables et les hivers sont durs et longs, où la vie est difficile et où les gens gagnent péniblement leur pain, s’inscrit profondément dans la mémoire et dans le cœur du petit Karel. Le poète Ondřej Fibich qui est un connaisseur de la vie et de l’œuvre de l’écrivain, évoque l’enfance de ce garçon qui a eu très tôt la possibilité de connaître de près la vie des personnages de ses futurs romans :
« Le petit Karel a été élevé d’une façon assez rude sur les plans physique et psychique. Sa tante lui racontait des légendes effrayantes de la Šumava ce qui lui a donné une certaine résistance psychique et, d’autre part, il était obligé de partager le sort des autres habitants de la Šumava. Un jour, quand il descendait une rivière sur une plaque de glace pendant une crue printanière, il est tombé dans l’eau et ses vêtements ont gelé sur lui. Sa vie étant menacée par une pneumonie, sa mère s’est effondrée mais son père a dit. ‘S’il ne survit pas, c’est qu’il manque de résistance.’ C’est à cela que ressemblait la vie dans le massif de la Šumava. L’éducation du petit Karel était donc rude mais a donné de très bons résultats. »
Un fils digne de son père
Karel Klostermann est fils d’un médecin de campagne. Son père Josef est un homme qui se dévoue à son métier et à ses malades. L’exemple de ce philanthrope laissera une profonde empreinte dans l’âme et dans l’esprit de Karel qui veut d’abord suivre les traces de son père. Ondřej Fibich insiste sur l’impact du père sur la formation du futur romancier :
« Sans son père, Karel Klostermann aurait été nul. C’est dans son père et dans sa mère que prend source la grandeur de Klostermann. Ses parents étaient extrêmement charismatiques. J’en sais quelque chose parce que je prépare l’édition d’un livre sur le docteur Josef Klostermann, père de Karel, écrit par sa nièce Anna Jelinek et son épouse Charlotte Klostermann qui admirait beaucoup son mari. Dommage que Josef ait disparu si tôt laissant à sa femme cinq enfants que Karel devait aider à élever. »
La carrière littéraire d’un médecin raté
Conformément aux vœux de son père, Karel se lance donc d’abord dans des études de la médecine. Il s’inscrit comme lui à l’université de Vienne, mais il ne terminera jamais ses études. Ondřej Fibich explique les raisons de cet échec qui allait se révéler très profitable pour la littérature tchèque :
« Le chemin difficile du père Josef Klostermann d’une chaumière à l’université de Vienne était un chemin d’initiation comme souvent chez les grands hommes du XIXe siècle. Cependant Karel ne pouvait pas suivre son père dans sa vocation de médecin parce qu’il était d’une nature différente. Il souffrait de troubles de la vue et de malaises lorsqu’il voyait du sang. Pourtant, il voulait suivre l’exemple de son père, et il a réussi à le faire à sa façon. Il s’est mis à évoquer dans ses romans et contes les destinées des gens simples ce qui ressemblait beaucoup aux soins que son père dispensait souvent à titre gratuit à ses malades de la Šumava qui ne pouvaient pas se permettre de payer un médecin." »
Des personnages qui ont existé
Le jeune Karel devient d’abord précepteur dans une famille aisée, puis journaliste à Vienne pour finir comme professeur suppléant dans un lycée de la ville de Plzeň. Polyglotte, il maîtrise plusieurs langues et il enseigne l’allemand et le français. Il publie d’abord de courts textes qui sont cependant bien reçus par le public. Encouragé par ce succès, il se met à écrire des contes et signe aussi ses premiers romans.
La critique littéraire situera son œuvre à la marge entre le réalisme et le naturalisme mais dans le for intérieur de l’écrivain vibre encore une corde romantique. C’est un narrateur qui sait insuffler la vie à d’innombrables personnages de ses livres. Il dit modestement : « Je ne sais absolument inventer ni types, ni caractères, ni événements, c’est un don que je ne possède pas. Les personnages que je présente au lecteur, ont existé, et ce que je raconte dans mes romans et mes contes, s’est vraiment passé. Je n’ai fait que combiner et organiser cette matière pour en faire une espèce d’ensemble… »
Un romancier altruiste
De nombreux forestiers, bûcherons, gardes-chasse, verriers et paysans revivent sur les pages de ses romans mais parmi ses héros il y a aussi des braconniers, des contrebandiers et des escrocs. Ondřej Fibich ajoute :
« Karel Klostermann était sensible au sort des gens en difficulté et qui n’arrivaient pas à s’en sortir. Il lui arrivait souvent d’évoquer dans ses œuvres le vécu de personnages réels. Une fois, les réactions des lecteurs à son conte sur le sort de paysans dont les maisons avaient brûlé, lui ont permis de lancer une collecte pour les aider. Il était sensible aux problèmes des gens exclus de la grande histoire et il évoquait dans ses œuvres les événements de la petite histoire souvent plus importants que le sort de grandes personnalités historiques. »
Un écrivain allemand de langue tchèque
Né dans une famille où l’on parlait allemand, Karel Klostermann commence sa carrière littéraire comme un écrivain de langue allemande. Parfaitement bilingue, il peut écrire aussi certains textes en tchèque et c’est en écrivant en tchèque qu’il trouvera finalement sa véritable vocation. La décision de devenir écrivain tchèque lui apportera d’abord beaucoup de problèmes. Il se voit attaqué comme un renégat qui a trahi son peuple, mais cela ne le décourage pas et il devient progressivement un des auteurs tchèques les plus estimés et les plus lus de sa génération. Ondřej Fibich donne une explication possible à la décision de l’écrivain de choisir une langue qui n’était pas sa langue maternelle :
« Il a peu à peu quitté le milieu allemand dans lequel il avait été élevé pour se rapprocher du milieu tchèque. Dans la région montagneuse de la Šumava, cette attitude était probablement due au fait qu’il voulait soutenir la population minoritaire. Si les montagnards tchèques avaient été majoritaires dans la région, il se serait peut-être rapproché de la minorité allemande. »
Les deux visages de la nature
Quoi qu’il en soit, c’est dans le milieu tchèque que Karel Klostermann trouvera la majorité de ses lecteurs. Au cours de sa vie qui a duré 75 ans, il écrira quelque 300 textes en tchèque et allemand dont 160 contes tchèques et une cinquantaine de romans. C’est grâce à lui que le public tchèque de la fin du XIXe siècle découvre la Šumava, cette région vierge et inexplorée où la nature règne encore sur les vies des gens. Au fond, c’est la nature qui est le personnage principal de ses livres, cette nature omniprésente et omnipotente qui est cruelle et maternelle à la fois, qui afflige, tracasse et épuise les gens et en même temps les forme, les nourrit et les élève.