Karlovy Vary: un film marocain, de la religion et du quasi porno escargot
Après la Semaine de la critique au dernier festival de Cannes, le réalisateur marocain Alaa Eddine Aljem était à Karlovy Vary cette semaine pour présenter son film, Le miracle du Saint Inconnu, une comédie burlesque dans laquelle la cache d'un voleur est transformée en mausolée par des villageois. Rencontre avec le réalisateur et scénariste de ce long-métrage qui a bien plu aux festivaliers.
« Je suis très content d’être ici, je viens de Marrakech, dans le sud du Maroc, et je pensais avoir fui la chaleur pour venir ici mais je me rends compte qu’il fait encore plus chaud à Karlovy Vary. »
Vous avez présenté votre film hier, est ce que vous pouvez nous dire déjà un mot de votre long métrage ?
« Il s’appelle Le Miracle du Saint Inconnu, The Unknown Saint en anglais, c’est un film burlesque, une sorte de comédie sur le rapport à la foi et à l’argent. J’étais très surpris de voir la salle pleine hier, certaines personnes étaient même assises par terre et cela fait chaud au cœur de voir les salles remplies comme ça. »
Vous êtes resté pendant la projection et même après. Vous étiez à Cannes avec ce film. Avez-vous noté des différences dans la perception pendant le film, peut-être des rires à des moments différents et des réactions, des questions différentes ?
« A Cannes il n’y avait pas de questions-réponses, pas de débat afin d’avoir des questions directs du public. Mais je suis resté dans la salle pendant la projection et en effet le public ne rigole pas aux mêmes endroits ou pas avec la même intensité aux mêmes scènes, je peux sentir la tension de la salle et elle est très différente. Mais c’est très agréable de vivre ça et j’aime bien rester dans la salle quand le film passe, je ne regarde pas le film mais je regarde les gens. Demain une autre projection aura lieu dans une plus grande salle, je vais encore le voir mais surtout voir les gens. »
Vous n’avez pas eu l’occasion de voir une audience marocaine assister à la projection de ce film. Vous êtes impatient, vous avez un peu d’angoisse ?
« Pas d’angoisse, non. C’est le cours normal des choses : il faut une première mondiale et Cannes est le bon endroit pour commencer, ensuite un circuit de festivals importants et moins importants mais intéressants pour la vie du film, pour la visibilité qu’ils lui donnent. Nous cherchons la bonne date et le bon festival pour commencer au Maroc. Je suis impatient de voir les réactions des gens. Des extraits du film ont été mis en ligne à titre promotionnel et j’ai pu voir que les gens ont bien interagi avec, les réactions étaient positives. Je connais le public marocain et je pense que ça pourrait très bien lui plaire. »
Les sujets ne sont pas cependant pas tout à fait simples et faciles au Maroc. Dans cette comédie burlesque on retrouve des interdits de la société : l’alcool, le cannabis, le rapport de la société majoritaire avec la spiritualité. Ce n’est pas comme si on allait dans les salles marocaines avec une simple comédie ?
« En effet le film est construit sur deux degrés ; un premier degré de surface très léger avec une comédie, un récit facile à suivre, des intrigues a priori très abordables pour un public même pas du tout avisé. Derrière ça, on aborde des sujets que je dirais sensibles à aborder mais pas tabous. Le cannabis, l’alcool ne sont pas tabous dans le cinéma marocain. Ici ce n’est pas du tout le sujet mais les personnages usent de cela, avec humour. »Il y a aussi de l’érotisme, avec du quasi porno d’escargots… tiré d’une scène de Microcosmos...
« Voilà, il y a du porno animalier tiré d’une scène de Microcosmos : Le Peuple de l'herbe avec l’opéra de Carmen en bande son. Une scène que je trouvais très sensuelle et qui est rigolote dans le contexte du film. Il y a aussi des références au cinéma muet, du Buster Keaton du Charlie Chaplin jusqu'à des choses plus contemporaines comme Ruben Östlund ou Elia Suleiman, des références que le public pas très avisé ne verrait peut être pas mais cela ne l’empêche pas d’apprécier, je l’espère. »
Après Cannes et Karlovy Vary d’autres festivals vous attendent sur d’autres continents que l’Europe ?
« Oui, on a un petit tour du monde à faire. On sera encore dans pas mal de festivals assez importants pour au moins les 6-8 mois prochains avant la sortie du film. »
Est-ce qu'avant d’aller en République tchèque on se renseigne un peu et l’on voit que ça ne fait pas partie des pays les plus ouverts à l’immigration, musulmane en particulier, ou ce sont des choses qui n’intéressent pas vraiment un cinéaste qui vient présenter son film ?
« C’est la deuxième fois que je viens en République tchèque, la première fois était au festival de documentaires à Jihlava. Je suis venu à chaque fois sans aucun a priori et j’aime beaucoup venir sans lire sur le pays avant pour me faire un premier contact, une impression à se faire par soi-même que je trouve très important. Si je lis sur n’importe quel pays et que je trouve des choses négatives, je viendrais avec une vision déjà assez orientée et je ressentirai ces choses négatives. Bien évidemment je suis dans un cadre de festival donc je ne peux pas dire que je ressens comment est la République tchèque, mais le contact avec le public est très chaleureux, très naturel et très généreux. Je ne ressens aucune fermeture, aucune barrière culturelle. J’ai même l’impression que le film est bien reçu malgré le fait qu’il se passe dans une culture bien identifiée. »
Est-ce que la méconnaissance de l’islam dans la région ou le manque de contact avec des personnes de religion musulmane explique en partie les réactions différentes du public ? Est-ce qu'en France on ne rit pas parce qu’on connaît davantage ou parce que le sujet est plus sensible. Avez-vous perçu quelque chose comme ça ?
« Non, je ne pense pas du tout car on parle plus de spiritualité, de croyance et de foi que de religion dans ce film. Il n’y a pratiquement aucune référence à l’islam. »
Je pense par exemple la scène où le réceptionniste de l’hôtel est dans sa prière et fait attendre le client, qui a fait rire ici. A-t-elle fait rire de la même manière en France?
« Oui, de la même manière. Seule l’intensité du rire peut changer par moment. En France, les gens ont beaucoup rigolé, tant à la projection à Cannes qu’à la reprise à la Cinémathèque où il y avait une salle beaucoup plus grande. La structure même des scènes fait qu’aucune information ne passe par la compréhension de la culture, tout se fait sur la situation, les actions-réactions qui sont détachées de toute référence culturelle. Dans cette scène le comique vient de l’attente qui ne se termine pas. Le voleur découvre qu’il est dans un espace où la notion du temps n’est pas celle qu’il connaît. »« Dans le film via cette microsociété, il y a des questions qui sont soulevées sur notre rapport à la foi et à l’argent, une microsociété qui se retrouve à la croisée des chemins entre un mode de vie ancestral, traditionnel, avec ses croyances, et de l’autre côté une modernité inévitable qui arrive parfois à grande pente, de façon assez brusque. Comment se retrouve notre rapport à la foi et à la matière, faut-il rester fidèle à ces racines ou changer avec le temps ? Ces questions parlent du Maroc vu de ce prisme-là, mais ce n’est pas un film politique, c’est un film sur l’homme et la communauté, le rapport à la foi, le rapport à l’argent, à la matière, à la spiritualité, entre l’homme et le collectif et ce besoin qu’on a de croire en quelque chose ensemble pour aller de l’avant. Là, c’est un faux mausolée, un faux saint, mais au moins on a besoin d’un récit fondateur, aussi faux qu’il puisse être, pour aller de l’avant en tant que communauté sinon on n’est qu’un groupe d’individu dans un espace géographique. »
Dans quelle partie du désert marocain est d’ailleurs tourné votre film ?
« C’est un faux désert, en fait un petit désert à 45 minutes de Marrakech. Pour des questions logistiques c’était plus simple de tourner là-bas et aussi pour des questions visuelles car je trouve ce désert très beau. La chaleur est supportable, on peut tourner convenablement. J’ai tourné là-bas cinq fois : en 2007 il n’y avait rien, seulement une piste et un petit village. En 2008, la piste s’est agrandie, le petit village a commencé à installer l’électricité, il y avait des branchements par-ci par-là. En 2012, la piste commençait à être goudronnée et on trouvait de temps en temps des randonnées en jeep et en quad pour les touristes. Il suffit de tourner la caméra de deux centimètres et tu vois un hôtel, un bus de touristes allemands qui vient faire une tournée en quad… »
Des touristes allemands que vous avez utilisés dans votre film d’ailleurs !
« On en a récupéré deux, cela faisait partie de leur séjour dans l’hôtel : ils souhaitaient participer à une expérience de cinéma. L’hôtel a gagné de l’argent sur notre dos ! Cela illustre le propos du film : quelque chose de très beau, très authentique s’est perdu mais d’une façon quasi inévitable dans le monde aujourd’hui parce que les gens de là-bas ont besoin de vivre et il y a une activité économique générée par cette modernité-là et elle est inévitable. Ce serait égoïste de demander à ces gens de rester dans leur mode de vie authentique et ancestral, même s'il n’est pas commode, tout ça parce que moi comme cinéaste ça m’arrange… »