Kiruna, ville suédoise contrainte au mouvement, vue par une documentariste tchéco-suédoise

'Kiruna - A Brand New World', photo: Analog Vision

Née à Opočno dans une famille tchéco-suédoise, Greta Stocklassa est étudiante à la FAMU, l’Académie du film à Prague, et a réalisé en 2019 un documentaire sur la ville de Kiruna en Laponie, située au nord du cercle polaire. Kiruna est une ville minière dont le sol risque de s’effondrer, ce qui a poussé en 2009 la municipalité à décider de déplacer la partie menacée de la ville.

Greta Stocklassa,  photo: Archives de Greta Stocklassa

« J’ai vécu en Suède pendant très longtemps, pendant 8 ans. Je suis Suédoise en fait, et je me souviens qu’en 2007, tout le monde parlait de Kiruna. Et plus tard lorsque j’étais en deuxième année à la FAMU je cherchais un sujet à traiter et je me suis souvenu de Kiruna. Je suis donc allée là-bas et j’ai été impressionnée, j’ai vu plus qu’une ville devant se déplacer. C’est devenu un symbole pour moi. »

'Kiruna - A Brand New World',  photo: Analog Vision

Ce qui intéresse Greta et qu’elle essaie de montrer à travers ses films, est la réflexion autour du fait que chacun pense posséder la vérité. Elle aime montrer comment des collectifs, des communautés différentes travaillent et communiquent entre eux.  Cette confrontation d’idées est d’ailleurs perceptible lors de la scène où Timo, un des protagonistes et un des rares qui soient contre le déplacement de la ville, organise un débat à ce sujet. Il tente d’apporter des questionnements philosophiques.

'Kiruna - A Brand New World',  photo: Analog Vision

« C’est un moment important dans le film quand il réalise que ce n’est pas parce qu’il ressent les choses d’une certaine façon que c’est forcément la vérité, et qu’éventuellement il devrait s’écarter et écouter davantage la jeune génération qui peut-être souhaite ce changement. »

Timo est professeur dans un lycée, mais la réalisatrice a également choisi de filmer Maja, une lycéenne d’origine Sami, et Abdalrahman, un jeune yéménite en attente d’un permis de séjour.

« J’ai fait des recherches pendant longtemps, j’y suis restée deux ans. J’ai vécu avec une famille afin de mieux connaître la ville. Timo est une des premières personnes que j’ai rencontré et il a été très accueillant ;il m’a fait visiter Kiruna et rencontrer des gens très intéressants. A Kiruna, j’ai découvert un café des langues où des volontaires aident des migrants et des réfugiés à parler suédois. Je travaillais là-bas en tant que bénévole et c’est comme ça que j’ai rencontré  Abdalrahman. »

'Kiruna - A Brand New World',  photo: Analog Vision

Abdalrahman était à Kiruna depuis quelques mois seulement quand elle l’a rencontré. Il est le plus jeune au sein de son groupe d’amis et c’est une des raisons qui ont poussé Greta à le filmer. En effet, selon elle, les adolescents changent et évoluent très rapidement. Il était ainsi plus facile de montrer la transition avec lui qu’avec quelqu’un de plus âgé.

'Kiruna - A Brand New World',  photo: Analog Vision

Elle a également eu à cœur de rencontrer une personne sami en raison de son intérêt pour l’histoire des natifs de Laponie. On découvre ainsi le parcours de Maja, qui s’attache de plus en plus à la culture sami. Lier leurs histoires n’a pas toujours été tâche facile selon la réalisatrice.

« Le rythme du film est plutôt lent, avec de longues prises, et une ambiance calme et silencieuse. Mais nous voulions interrompre cela avec une musique forte. Je pense que cela vient de la manière dont nous percevions la ville qui était très paisible et silencieuse. Mais tout à coup on entendait des grosses explosions au milieu de la nuit qui nous rappellent qu’il y a une mine, qu’il y un trou sous nos pieds et que nous risquons de tomber dedans. »

L’orgue utilisé dans certaines scènes a pour but de créer un contraste avec les scènes silencieuses. Avec un appareil spécifique, ils ont également enregistré les ondes électromagnétiques des sons les entourant pour en faire de la musique.

'Kiruna - A Brand New World',  photo: Analog Vision

Greta a choisi de ne pas intervenir dans le documentaire. On ne voit ni interview, ni regard dirigé vers la caméra. La présence de la réalisatrice n’est signifiée à aucun moment. C’est un moyen pour elle de pousser le public à réfléchir par lui-même. Elle préfère raconter une histoire à travers des images et des situations, qu’avec des entretiens.

« J’ai décidé assez tôt que je voulais faire un documentaire d’observation car je ne viens pas de Kiruna mais de Stockholm, je suis venue pour observer et c’est la perspective la plus authentique selon moi et c’est comme ça que je procède. Quand vous regardez le film, vous voyez ce que je vois. Ce n’est pas la vérité mais simplement la perception que j’en aie. »

Le film, sorti en 2019, voyage depuis en  République tchèque et en Slovaquie. Après une première au festival Visions du Réel en Suisse l’année dernière, le documentaire a récemment été diffusé à Prague le 23 septembre, puis à Plzeň le 26.

« Je suis toujours en contact avec les protagonistes du film. La dernière fois que j’y étais remonte à deux ans et j’essaie de prendre des nouvelles. De ce que je sais, le Conseil municipal a changé, l’opposition a gagné, et ils demandent désormais davantage de choses à la compagnie minière qui finance uniquement les infrastructures que la mine met en danger. »

Egalement censé être diffusé à Kiruna, les habitants devront toutefois encore attendre en raison du Covid-19. Quant à Prague, le documentaire est actuellement diffusé au cinéma Kino Pilotů.