Klára Cibulová, comédienne en France

Klára Cibulová, photo: Archives de Klára Cibulová

Klára Cibulová est une jeune comédienne qui partage sa vie et sa carrière entre la République tchèque et la France. C’est à Avignon qu’elle a débarqué en 2009, un peu par hasard, sans connaître un seul mot de français. Klára Cibulová a pourtant réussi à passer son baccalauréat au Lycée Frédéric Mistral d’Avignon, avant d’intégrer le Conservatoire et l’Université à Nice et enfin la prestigieuse Ecole régionale d’Acteurs de Cannes (ERAC). Ses études lui ont permis de se produire sur plusieurs scènes françaises, de tourner pour la télévision et aussi de travailler dans le milieu scolaire. Au micro de Radio Prague, Klára Cibulová nous parle de ses expériences…

Klára Cibulová,  photo: Archives de Klára Cibulová
« Quand je suis arrivée en France, c’était un peu pour arrêter le théâtre, que je pratique depuis que j’ai cinq ans. A dix-sept ans, comme tous les membres de ma famille sont soit médecins soit avocats, je me suis posée la question de savoir si je voulais vraiment faire du théâtre et être comédienne. Je jouais des petits rôles au Théâtre national, et quand je voyais d’autres comédiens, je n’étais pas tout à fait convaincue de vouloir devenir comme eux. Je suis partie en France pendant un an, pour apprendre le français. Je m’étais dit que je ne ferais pas de théâtre, et que si jamais je voyais que ça me manquait, je continuerai là-dedans pleinement. Seulement, quand je suis arrivée à Avignon, j’ai vu le théâtre local et je me suis dit que je ne pouvais pas abandonner le théâtre, que je voulais devenir comédienne, ici, en France. C’était une force intérieure, une énergie qui me poussait vers l’avant. »

Quels sont vos souvenirs de vos débuts en France ? Vous aviez dix-sept ans et vous ne parliez pas français…

« Quand vous partez dans un pays étranger dont vous ne parlez pas la langue, vous essayez de l’apprendre. Du coup, vous parlez avec les gens qui sont assez gentils pour vous parler. Pendant deux ou trois ans, je n’ai rencontré que des gens qui ne m’intéressaient pas spécialement, mais qui me permettaient d’apprendre le français. On se sent un peu seul. En même temps, cela permet de rester ouvert et de rencontrer de nouvelles personnes. Les débuts étaient très compliqués car je ne pouvais exprimer tout ce que je ressentais, je ne pouvais pas exprimer la colère par exemple. J’ai commencé à être moi-même au bout de quatre ans. Pendant ces quatre ans, je me sentais comme en prison. Vous vous sentez étouffer, car vous ne pouvez pas vous exprimer complètement. En plus de cela, je faisais du théâtre. C’était donc compliqué. »

Justement, comment fait-on du théâtre dans une langue étrangère ?

Klára Cibulová,  photo: Archives de Klára Cibulová
« Maintenant je sais comment faire, mais je n’arrive pas à comprendre comment j’ai fait au début. Je ne comprenais rien. On allait au théâtre deux ou trois fois par mois, je voyais des spectacles mais je ne comprenais pas l’histoire, ni ce qui se passait. En plus de cela, il fallait écrire des comptes-rendus ! Je faisais également des études de philosophie. Je devais écrire des thèses en français alors que je ne parlais pas français, que je ne comprenais pas le texte. Cela m’a néanmoins permis d’avoir un univers complètement différent, notamment en tant que comédienne. Quand j’allais à des spectacles que je ne comprenais pas, je regardais la lumière, les corps, les sonorités. Ma vision a évolué. Même aujourd’hui, quand je vais au théâtre à Prague, il m’arrive de ne pas comprendre l’histoire. Par là, je ne veux pas dire comprendre intellectuellement : c’est que je ne l’écoute pas. Si le texte ne me convient pas, j’arrête d’écouter et j’écoute les corps, je regarde comment les comédiens bougent, la lumière, et je m’évade. »

Vous avez tourné dans une série télévisée policière, Duel au soleil, sur France 2. Pouvez-vous nous parler de cette expérience ?

Klára Cibulová dans la série 'Duel au soleil',  photo: YouTube
« C’était avec Gérard Darmon, un comédien assez connu. C’était une expérience extraordinaire. J’avais du mal au début en voyant tout l’argent mis dans un tournage. Nous habitions dans des hôtels avec des piscines. J’étais angoissée, car je n’étais pas habituée à cela et je me disais : ‘qu’est-ce que l’on pourrait faire avec tout cet argent !’ Je n’avais pas besoin de dormir dans des hôtels quatre ou cinq étoiles, de dîner dans des restaurants incroyables. Quand j’y repense, je me demande pourquoi je n’en ai pas plus profité, car ça n’a duré que quatre jours ! Je me rappelle que c’était une espèce de torture pendant le tournage. Quand j’ai joué avec Gérard Darmon, c’était génial. Il improvisait beaucoup. J’ai donc essayé de faire pareil. C’était extraordinaire. Je jouais un rôle de tueuse, ce n’était pas évident de défendre ce rôle. Je me demandais pourquoi elle faisait ce qu’elle faisait. Je me disais qu’elle avait des raisons, qu’elle se battait pour sa vie. Comprendre les combats des gens autour de moi et les raisons de leurs combats est très important pour moi. C’est mon thème de prédilection. »

C’était une fille de l’Est ?

« Oui, exactement. Une Ukrainienne je crois. Je pense l’avoir assez bien défendue. C’était un humain à part entière. Ce n’est pas toujours évident, que ce soit en France ou en République tchèque, de montrer que, même si vous avez d’autres origines, vous avez le droit d’être là. »

Une autre partie de votre travail artistique consiste à travailler avec des enfants. Vous avez travaillé en tant qu’étudiante avec des enfants provenant de milieux défavorisés, de quartiers difficiles. Comment avez-vous travaillé avec eux et qu’avez-vous essayé de leur apprendre, de leur transmettre ?

« En France, le métier de comédien est très lié avec le social. Si quelqu’un est comédien, s’il prépare un spectacle, il doit également faire des interventions, par exemple dans des écoles, et travailler avec des enfants. Depuis l’enfance, les enfants sont sensibilisés à la culture. En République tchèque, c’est un peu différent. »

C’est effectivement une autre approche qu’en République tchèque. On emmène les enfants au théâtre, mais les acteurs ne viennent pas dans les classes, même les débats avec le public adulte sont assez rares...

Averroes Junior,  photo: Olivier Quero
« Il ne s’agit pas de seulement montrer un spectacle aux enfants, mais de leur parler, de les écouter. La discussion est très importante. Dans ma formation de comédienne, nous avons eu cette possibilité de travailler en milieu scolaire dès la première année. Nous allions dans des collèges, des lycées. Nous avons travaillé avec des enfants ayant un handicap mental. Nous allions également dans des lycées professionnels. Nous voyions beaucoup de milieux sociaux différents…

Arrivés à Marseille pendant notre troisième année d’étude, nous avons aussi travaillé dans des lycées et dans des quartiers défavorisés. Nos interventions dépendaient du choix de thème des professeurs, de ce qu’ils voulaient travailler, comme la poésie ou l’écriture. Je pense qu’il est très important en milieu scolaire d’écouter. Ce n’est pas forcément lié à la culture. Il s’agit de l’humain, de créer l’humain, de lui permettre de s’exprimer, de parler, d’exister. Souvent, dans les classes, il y a des petits groupes. Beaucoup n’osent pas parler et sont mis à l’écart. On essaie d’ouvrir cela dans le collectif. Par exemple, j’ai vu un garçon très silencieux, toujours seul. Au début, il ne voulait pas parler, ne répondait pas. Quand nous avons commencé à travailler, nous avons appris qu’il faisait du rap. A la troisième séance, il s’est mis devant le tableau et a commencé à rapper. Sa voix sortait, avec une force incroyable. C’était lui qui composait ses textes. Cet exercice lui a permis d’exister dans cette classe, mais cela a également permis aux autres de le voir autrement. Ça, c’est incroyable ! Quand je travaille dans des classes où les élèves sont amis, ils apprennent également quelque chose de nouveau sur les autres. C’est très enrichissant. »

Comment avez-vous fait ? Avez-vous essayé de mettre en scène des extraits de pièce, de leur apprendre des techniques de théâtre ?

Averroes Junior,  photo: Olivier Quero
« Ce n’est pas un travail de comédienne ou un atelier de théâtre. Il s’agit de faire des exercices, de leur apprendre d’abord à respirer. Nous faisons aussi des exercices d’échauffement du corps, nous essayons de les sensibiliser à l’autre. L’un des exercices consiste à se mettre devant les autres et à dire comment l’on s’appelle. Tout simplement. Puis sortir. Ça a l’air d’un exercice bête, mais ce n’est pas le cas. Il faut arriver devant la classe, se poser, regarder les autres, comprendre que vous êtes regardé par les autres, ne pas avoir peur, ou si vous avez peur accepter cette peur, puis dire ‘je m’appelle untel’, mais en donnant du sens au mot. »

Faites-vous ce genre d’exercice aussi avec les enfants tchèques ?

« Oui. J’ai commencé à travailler avec l’Institut français de Prague, avec Hélène Buisson qui s’occupe de la section d’éducation. J’ai fait quelques interventions dans des ateliers à l’Institut. Lors d’un concours de poésie organisé dans les lycées bilingues de République tchèque, le premier prix du concours était un atelier avec moi. C’est le Lycée Pavel Tigrid d’Ostrava qui a gagné. J’y ai fait un atelier de trois heures avec les enfants. C’était extraordinaire et cela leur a beaucoup plu. Maintenant, on essaie, avec la professeure Klára Habboudji, de mettre en place un programme sur une durée d’un an. »

Etait-ce difficile pour vous au début ? Vous deviez être une jeune comédienne, devant des classes d’enfants. Comment cela s’est-il passé ?

Klára Cibulová,  photo: Archives de Klára Cibulová
« On a travaillé dans des quartiers défavorisés. En effet, c’était assez compliqué. En plus de cela, je suis une comédienne franco-tchèque, et j’ai un accent en français. Ce n’était donc pas évident en français. Ils ne me respectaient pas quand je parlais, ne me répondaient pas, se moquaient de mon accent. Je me rappelle une fois d’une fille qui ne voulait même pas se présenter et dire son prénom lors du premier cours. Elle ne voulait même pas nous parler. Incroyable ! Ce qui était bizarre, c’est qu’au bout d’un moment elle a commencé à adorer les deux garçons de ma classe qui m’accompagnaient. C’était une classe de trente élèves, avec vingt-quatre filles et six garçons. Les garçons étaient les plus silencieux. Ils avaient peur de ces filles. Elles portaient des gros joggings et essayaient de faire en sorte que leur comportement imite celui des hommes afin d’atteindre leur côté dominant, sans se rendre compte qu’on peut être une femme et être dans le rôle du dominant. A la troisième séquence, je me rappelle d’une fille qui ne voulait pas non plus parler ni dire son prénom. J’ai réussi à lui parler. Quand elle est sortie de la salle, elle m’a dit : ‘merci’. J’étais heureuse, non pas pour moi, mais parce qu’elle s'est rendu compte de ce que nous faisions. »

Le fait que vous soyez tchèque joue-t-il parfois un rôle ?

Klára Cibulová,  photo: Archives de Klára Cibulová
« Parfois, ça peut jouer un rôle. Par exemple, quand je travaillais avec des enfants qui se plaignaient de ne pas y arriver, je leur disais que, tout en n’étant pas française, j’arrivais à parler devant des élèves qui ne me respectaient pas. Je leur disais que c’était également difficile pour moi de parler, de m’exprimer. Je leur disais que je les comprenais, que ça allait aller. Ce qui m’a surpris, c’est que les milieux sociaux et culturels en France et en République tchèque sont très différents. Les enfants ont un rapport très différent aux adultes en République tchèque. Souvent, ils sont très polis, silencieux et ordonnés, ce qui ne m’est jamais arrivé en France, même dans des milieux privilégiés. Ils sont par contre tellement coincés que j’essaie de les ouvrir, de les rassurer, de leur dire de faire comme ils veulent sans craindre d’être jugés ou de mal faire. Ils essaient tellement de bien faire, de respecter les ordres… J’essaie de les ouvrir. »