La Bibliothèque de Vyšší Brod, temple de la foi et de la sagesse
Les visiteurs de Český Krumlov, ville de Bohême du Sud figurant sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, ne devraient pas négliger d’autres sites charmants de la région. Dans la petite ville proche de Vyšší Brod se trouve en effet une des plus importantes et plus belles bibliothèques monacales de République tchèque. Miraculeusement préservée des vicissitudes de l’histoire, la bibliothèque est un lieu privilégié qui illustre la spiritualité, la mission et les ambitions de l’ordre cistercien.
Vyšší Brod, en allemand Hohenfurt, est une bourgade située au pied du massif de la Šumava en Bohême du Sud. Elle se trouve tout près de la frontière autrichienne dans une contrée romantique éloignée de grandes agglomérations. La vie dans cette région n’est cependant pas facile. Les hivers y sont longs et rudes, les étés souvent maussades. Le paysage exhale pourtant un charme irrésistible. Les maisons de la ville sont disséminées sur les deux rives de la Vltava. La tour blanche de l’église du couvent couronne le panorama de cette petite ville pittoresque qui semble sortir d’une légende ou d’un conte de fées. On a parfois le sentiment que le temps s’est arrêté dans cette bourgade qui invite au recueillement, à la médiation et à la prière.
Un village existait ici déjà au XIIe siècle. Les habitants de ce bourg veillaient alors sur un gué sur la Vltava et sur le chemin des marchands reliant les pays de la couronne tchèque à la vallée du Danube. En 1259, le seigneur du domaine, Vok Ier de Rožmberk, a fondé dans ces parages un couvent de cisterciens auquel il a fait don du village. Selon une légende, Vok de Rožmberk fonde le couvent pour remercier Dieu de lui avoir sauvé la vie. En traversant le gué de la Vltava en crue, il faillit périr dans le courant, et au moment de la plus grande détresse, il se promet de construire un couvent au bord de la rivière, à l’endroit où se trouve une petite chapelle. Miraculeusement sauvé, il tiendra sa promesse, et le couvent dont il sera le fondateur sera placé sous la protection du roi Přemysl Otokar II.
Le couvent existe donc depuis sept siècles et le visiteur y trouve encore aujourd’hui de nombreux vestiges du premier gothique, style de l’époque de sa fondation, mais aussi l’architecture du gothique rayonnant dans les édifices construits plus tard.
Au XXe siècle, le couvent a probablement subi les épreuves les plus difficiles de son histoire. Les moines sont d’abord chassés par les nazis allemands puis par les communistes, et ce n’est qu’après la chute du communisme en 1989 qu’une petite communauté des frères cisterciens se réinstalle à Vyšší Brod. Aujourd’hui, les cisterciens y mènent une vie monastique tout en s’occupant des monuments historiques qui ont été restitués à leur ordre. La bibliothèque est probablement la partie la plus précieuse du couvent. Par la richesse de ses fonds, elle est la troisième bibliothèque monastique de République tchèque. L’abbé Jan Justin Berka rappelle que l’état actuel de la bibliothèque est dû à la continuité historique de l’existence de ce couvent cistercien :
« Notre couvent n’a été supprimé ni par les hussites, ni pendant la Guerre de Trente ans, ni par les réformes désastreuses de l’empereur Joseph II, et les moines n’ont été chassés pour la première fois de Vyšší Brod qu’en 1941. Cette longue continuité de la présence de l’ordre religieux dans ces lieux a sauvé la bibliothèque. Même pendant la Deuxième Guerre mondiale et ensuite sous le régime communiste, il y a toujours eu ici, Dieu en soit loué, une section de la bibliothèque scientifique de la ville de České Budějovice, et la bibliothèque monacale a ainsi pu être préservée jusqu’à nos jours. C’était un heureux concours de circonstances. »La bibliothèque, telle que nous la connaissons aujourd’hui, date du XVIIIe siècle, mais l’abbé Jan Justin Berka, administrateur du couvent, constate que les livres qu’elle abrite sont encore plus anciens. L’administrateur rappelle qu’une bibliothèque existe dans ces lieux depuis le XIIIe siècle et que la décoration, qui est l’œuvre d’artistes baroques, ne l’orne donc que depuis le début de la dernière étape de son existence :
« Les moines ont fondé la bibliothèque lorsqu’ils ont apporté les premiers livres du couvent de Hilering. Dans la bibliothèque, il y a 70 000 volumes dont 1 800 manuscrits. 203 manuscrits sont écrits sur le parchemin, le reste est sur le papyrus. Il y a également 600 incunables, c’est-à-dire premières impressions. Il s’agit des livres très précieux. Et puis nous avons aussi des livres plus récents, du XVIIe au XXe siècles. »
Les livres sont abrités dans deux grandes salles et une galerie. Les rayons richement ornés de volutes baroques se trouvent sous les voûtes de la Salle philosophale et de la Salle théologique. La riche ornementation et les plafonds des deux salles couverts de fresques démontrent que les cisterciens n’étaient pas seulement épris de sagesse mais aussi de beauté. Le père Jan Justin Berka présente les collections réunies dans la Salle philosophale :« Il y a une grande collection de bibles en quarante langues et â coté il y a des livres de philosophie. Ils sont classés à l’ancienne. Il y a la section de la logique, celle des mathématiques, celle de l’astronomie, etc. Et dans le couloir des bibliothécaires qui débouche sur cette salle, il y a des livres sur d’autres thèmes. »
Ce ne se sont pas que des livres que le visiteur trouve à Vyšší Brod. Dans la galerie du Couvent sont également exposées de nombreuses œuvres d’art baroque, et notamment une belle collection de toiles de František Xaver Palko, un des meilleurs peintres d’Europe centrale du XVIIIe siècle. Le couvent abrite aussi de précieux objets de culte et la Madone de Vyšší Brod, chef d’œuvre de la peinture gothique créé en 1420. Jan Justin Berka explique que l’ordre des cisterciens a toujours soutenu les arts :
« En 1838, l’abée Valentin a installé ici la première galerie d’art publique dans la région. Notre mission est de multiplier le bien que Dieu a déposé dans l’homme et donc de soutenir aussi les arts. Pour cette raison, notre ordre soutenait et continue à soutenir les arts. Notre mission est en premier lieu de chercher Dieu – Querere Deum – et c’est le point de départ de toutes nos activités. C’est pourquoi ont été créées des bibliothèques dans des couvents. Dieu a parlé, et c’est donc par la parole qu’il s’est fait connaître à l’homme. C’est par la parole que Dieu entretient le contact avec l’homme et vice-versa. C’est la raison de l’existence des bibliothèques monacales. »Dans l’enceinte du Couvent de Vyšší Brod se trouve également le Musée de la Poste, qui abrite une importante exposition de l’histoire de la poste et des techniques de communication en Bohême, en Moravie et en Silésie de 1526 jusqu’à aujourd’hui. Dans le musée il y a également une des plus importantes collections de carrosses et de calèches de République tchèque et de bureaux de postes rénovés des XIXe et XXe siècles. Des sentiers touristiques dans les environs de la ville permettent aux visiteurs de découvrir les beautés naturelles de cette contrée et de trouver les endroits où s’ouvrent de belles vues de la ville et du monastère. C’est du haut des collines environnantes qu’ils peuvent contempler le couvent et la ville de Vyšší Brod, où la foi, la sagesse et l’art ont trouvé refuge.