La Bohême aussi a été marquée par l’avancée ottomane

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Les Turcs n’ont jamais envahi les terres tchèques. Et pourtant, les guerres austro-turques qui durent tout au long de l’époque moderne n’auront pas été sans influence sur le cours de l’histoire tchèque. Elles lui auront notamment assigné le rôle de caisse financière de la monarchie, la Bohême-Moravie faisant partie des plus riches pays de l’Empire.

La genèse de la domination autrichienne sur les terres de Bohême-Moravie prend peut-être, indirectement, sa source dans le conflit avec l’Empire ottoman. Elu en 1516 au trône de Bohême, le jeune roi polonais Louis de Jagellon est vaincu en 1526 par Soliman le Magnifique dans le sud de la Hongrie. Ce faisant, il laisse les trônes de Hongrie et de Bohême vacants. Pour les Habsbourg, aux ambitions sans mesure apparente avec ses possibilités, c’est une aubaine, qu’elle transformera en réalité.

Ferdinand de Habsbourg réussit à établir les droits de sa famille sur la couronne de Bohême. Le conflit avec les Turcs va en faire rapidement la condition financière sine qua non de la reconquête.

La chute de Belgrade face aux Ottomans en 1523 avait fortement touché les finances, déjà instables, de la monarchie autrichienne. La Bohême n’est pas immédiatement touchée puisque le tout nouvel « impôt turc », une taxe d’un demi pour cent sur le capital mobilier et immobilier, ne concerne que la Basse-Autriche.

Mais les dépenses militaires des Habsbourg s’élèvent à 630 000 florins et aboutissent rapidement à des finances déficitaires. D’autant plus qu’aux dépenses liées aux effectifs mêmes, s’ajoute un tribut que doit payer l’Autriche au sultan pour qu’il se tienne tranquille. En 1542, lors d’une réunion des Etats généraux, les différentes parties de l’empire sont divisées selon leur richesse et leur contribution à apporter. La Bohême-Moravie se verra assigner les deux tiers des contributions tandis que l’Autriche devra régler le troisième tiers ! La vocation des terres tchèques comme Trésor de l’empire a commencé...

Les Autrichiens ont, il est vrai, fort à faire. Avec ses 15 000 janissaires, ses 50 000 spahis et ses unités valaques et tatares, l’armée turque s’impose comme la première puissance militaire en Europe, tant par sa taille que par la pertinence de sa stratégie, basée sur l’extrême mobilité de ses troupes. Sans compter l’administration nettement supérieure des Turcs et aussi leur rapport avec les peuples conquis. Tolérants envers les religions autres que l’Islam, ils sauront se faire, parmi les royaumes chrétiens, de précieux alliés dans leur guerre contre les Autrichiens. Ce sera le cas du royaume de Transylvanie.

Ferdinand de Habsbourg
Les Habsbourg ne peuvent être que poussés à lorgner sur les riches terres de Bohême, bien conscients que l’ennemi ne pourra être vaincu avec les seules ressources autrichiennes. Dès lors que les ordres de Bohême acceptent, en 1526, d’élire Ferdinand de Habsbourg comme roi, ils s’engagent indirectement dans les grands conflits de l’époque.

Géographie oblige, les Tchèques ne fourniront pas le bras armé mais bien la manne financière de la lutte contre les Turcs. On comptera bien quelques mercenaires tchèques lors des conflits opposants les coalisés à la Porte. Mais alors que les soldats de la frontière militaire sont hongrois, allemands ou croates, l’argent, qui est comme on le sait le nerf de la guerre, provient des caisses de Bohême-Moravie et d’Autriche. Les razzias turques, qui voyaient la mise en esclavage des captifs, constituaient une menace réelle aux yeux de la Diète de Bohême et pour elle, la contribution à la défense de la Chrétienté occidentale passait aussi par celle de ses intérêts propres.

Menace d’autant plus réelle que l’expansion turque en Europe est continue depuis la conquête des Balkans dans les années 1370. Dès 1541, ils occupent plus des deux tiers de la Hongrie et campent ainsi pour longtemps à environ 200 km de Vienne. La Bohême n’est pas loin !

De même que les droits politiques des nations historiques sous les Habsbourg restaient forts sous la Renaissance, la contribution financière allait plus ou moins de soi pour les nobles tchèques. Il ne faut pas s’imaginer que les Habsbourg n’avaient qu’à lever le doigt pour obtenir des subsides. Chaque contribution financière était discutée, parfois longuement, par les diètes nationales.

Les paysans, quant à eux, ont dû supporter beaucoup plus difficilement les augmentations fiscales, régulières du XVIème au XVIIIème siècle. Instauré en 1567 en Bohême, l’impôt direct sur les tenures paysannes doublera d’ailleurs au siècle suivant.

Si l’image du Turc a été plus un mirage qu’une réalité pour les Tchèques, le poids économique des conflits austro-ottomans a nettement pesé sur la Bohême. Peut-être même ont-ils favorisé ce qui a été sa vocation financière sous les Habsbourg.