Tchèques et Turcs

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L'accord entre l'Union européenne et la Turquie sur l'ouverture des négociations d'adhésion à l'UE a finalement été validé le 17 décembre dernier. Aucun lien, a priori, entre l'histoire de la Bohême et celle de la Turquie. A y regarder de plus près, on constate pourtant que leurs destins respectifs se sont souvent entrechoqués, toujours de manière indirecte. Si les Hongrois puis les Serbes furent en première ligne des guerres austro-turques, les Pays tchèques furent aussi concernés et participèrent à cette tranche d'histoire.

LHorloge astronomique de la Vieille-Ville
Mais qu'est-ce qui peut bien transparaître dans la Prague d'aujourd'hui, voire d'hier, de l'histoire turque ? Rien... Si ce n'est le café - dit - "à la turque" et bien sûr l'automate de l'Horloge astronomique de la Vieille-Ville. Reconnaissable à son turban, il symbolise la peur et illustre bien la crainte suprême qu'inspirèrent, en Europe centrale, les conquérants venus d'Anatolie.

Le territoire de la Bohême resta à l'abri des invasions ottomanes. Mais la réputation des fantassins turques alimentait les inquiétudes. Par la rapidité de leurs incursions et leur maîtrise équestre, les Ottomans affichent, du Moyen-Age jusqu'au XVIIème siècle, une supériorité militaire indéniable face aux armées occidentales.

Léopold Ier
Si les Turcs n'ont jamais pénétré en Bohême, il faut tout de même rappeler qu'ils s'en rapprochèrent dangeureusement en 1683. Le 25 juin, le général Kara Mustapha entreprend, à la tête de 110 000 janissaires, le siège de Vienne. Le 14 juillet, il arrive devant la résidence impériale, désertée par Léopold Ier et sa cour. La réaction des alliés de l'Empereur sera rapide et le XVIIIème verra ensuite le déclin de l'Empire Ottoman, contraint d'abandonner ses territoires européens.

Mais n'oublions pas que, de 1541 à 1717, ils occupent la majorité du territoire hongrois et représentent ainsi une menace permanente pour les habitants de Bohême. La crainte des Ottomans était alimentée par une réputation - injustifiée - de cruauté, colportée par les récits populaires. Or il n'en était rien. Les Ottomans excellaient dans l'art politique et firent preuve, à l'égard des populations conquises, d'une grande tolérance religieuse. Chrétiens orthodoxes, catholiques romains ou protestants, aucune confession ne fut inquiétée sous occupation ottomane. Une situation qui tranchait nettement avec la politique de reconquête catholique, entreprise par les Habsbourg depuis le Concile de Trente. La peur du Turc se sera aussi nourrie d'une bonne dose de fantasme.

Etablis en Anatolie, les Turcs commençent leurs incursions en Europe à partir du XIVème siècle. Leur progression est rapide. En 1371, Mourad Ier bat les Serbes. 11 ans plus tard, il prend Sofia puis c'est le tour de Salonique. A la fin du XIVème siècle, l'Empire Ottoman s'est étendu à la Serbie et à la Bulgarie.

Face à cette déferlante, différentes combinaisons stratégiques sont utilisées par les puissances d'Europe centrale. Parmi celles-ci, figure l'union personnelle entre la Bohême, la Hongrie et la Pologne. On espérait ainsi créer des structures politiques et militaires capables de rivaliser avec celles de l'Empire ottoman. Un pré-OTAN à l'échelle régionale en somme, toute proportion gardée ! A partir de 1490, les Jagellons, dynastie polonaise, réunissent sous une même couronne la Bohême, la Lituanie, la Pologne et la Hongrie.

L'idée d'une fédération défensive paraissait fondée. Elle se concrétisera vraiment sous le règne des Habsbourg, qui, à partir de 1527, rassemblent Autrichiens, Tchèques et Hongrois sous un sceptre commun. Mais dans ce nouveau contexte, les Tchèques ne jouent pas de rôle militaire direct. Dotée d'un sol riche et d'une proto-industrie développée, la Bohême est assignée au rôle de caisse financière de la monarchie. Le déficit, accentué par les dépenses militaires, est en effet une maladie chronique des Habsbourg.

L'occupation de Vienne en 1683
L'occupation de Vienne en 1683, malgré l'onde de choc qu'elle provoque, représente le dernier soubresaut d'un Empire ottoman en déclin. En 1699, à l'issu d'une victoire décisive, Léopold Ier réintègre la Hongrie à la monarchie, après deux siècles d'occupation turque. Ce qu'on sait moins, c'est que cette victoire n'aurait pu être obtenue sans l'aide de la plus grande fortune de Bohême, le prince Ferdinand Schwarzenberg. Celui prêta à plusieurs reprises la coquette somme de 100 000 florins à l'Empereur. En 1717, Eugène de Savoie reconquiert Belgrade. Léopold Ier contrôle ainsi une clé stratégique pour les Balkans et l'Empire. Encore une fois, la monarchie avait dû, au préalable, exiger de lourds sacrifices de la Bohême. On leva ainsi un nouvel impôt turc, une taxe spéciale sur le clergé et une contribution sur les Juifs.

Pour la petite histoire, la guerre austro-turque jouera un rôle méconnu dans la décision de Rodolphe II de déplacer sa cour à Prague. Contrairement à Ferdinand Ier qui, en 1520, quittait Prague pour se rapprocher des théâtres d'opération, Rodolphe II s'y installait afin de s'en éloigner.

Les liens entre la Bohême et la Turquie n'auront pas été directs mais les fils de l'histoire ont tissé entre les deux pays un passé commun. Ceci explique peut-être que le débat soit si vif, dans les médias tchèques, sur l'adhésion de la Turquie à l'UE.