Tchèques et Turcs
L'accord entre l'Union européenne et la Turquie sur l'ouverture des négociations d'adhésion à l'UE a finalement été validé le 17 décembre dernier. Aucun lien, a priori, entre l'histoire de la Bohême et celle de la Turquie. A y regarder de plus près, on constate pourtant que leurs destins respectifs se sont souvent entrechoqués, toujours de manière indirecte. Si les Hongrois puis les Serbes furent en première ligne des guerres austro-turques, les Pays tchèques furent aussi concernés et participèrent à cette tranche d'histoire.
Etablis en Anatolie, les Turcs commençent leurs incursions en Europe à partir du XIVème siècle. Leur progression est rapide. En 1371, Mourad Ier bat les Serbes. 11 ans plus tard, il prend Sofia puis c'est le tour de Salonique. A la fin du XIVème siècle, l'Empire Ottoman s'est étendu à la Serbie et à la Bulgarie.
Face à cette déferlante, différentes combinaisons stratégiques sont utilisées par les puissances d'Europe centrale. Parmi celles-ci, figure l'union personnelle entre la Bohême, la Hongrie et la Pologne. On espérait ainsi créer des structures politiques et militaires capables de rivaliser avec celles de l'Empire ottoman. Un pré-OTAN à l'échelle régionale en somme, toute proportion gardée ! A partir de 1490, les Jagellons, dynastie polonaise, réunissent sous une même couronne la Bohême, la Lituanie, la Pologne et la Hongrie.L'idée d'une fédération défensive paraissait fondée. Elle se concrétisera vraiment sous le règne des Habsbourg, qui, à partir de 1527, rassemblent Autrichiens, Tchèques et Hongrois sous un sceptre commun. Mais dans ce nouveau contexte, les Tchèques ne jouent pas de rôle militaire direct. Dotée d'un sol riche et d'une proto-industrie développée, la Bohême est assignée au rôle de caisse financière de la monarchie. Le déficit, accentué par les dépenses militaires, est en effet une maladie chronique des Habsbourg.
L'occupation de Vienne en 1683, malgré l'onde de choc qu'elle provoque, représente le dernier soubresaut d'un Empire ottoman en déclin. En 1699, à l'issu d'une victoire décisive, Léopold Ier réintègre la Hongrie à la monarchie, après deux siècles d'occupation turque. Ce qu'on sait moins, c'est que cette victoire n'aurait pu être obtenue sans l'aide de la plus grande fortune de Bohême, le prince Ferdinand Schwarzenberg. Celui prêta à plusieurs reprises la coquette somme de 100 000 florins à l'Empereur. En 1717, Eugène de Savoie reconquiert Belgrade. Léopold Ier contrôle ainsi une clé stratégique pour les Balkans et l'Empire. Encore une fois, la monarchie avait dû, au préalable, exiger de lourds sacrifices de la Bohême. On leva ainsi un nouvel impôt turc, une taxe spéciale sur le clergé et une contribution sur les Juifs. Pour la petite histoire, la guerre austro-turque jouera un rôle méconnu dans la décision de Rodolphe II de déplacer sa cour à Prague. Contrairement à Ferdinand Ier qui, en 1520, quittait Prague pour se rapprocher des théâtres d'opération, Rodolphe II s'y installait afin de s'en éloigner.Les liens entre la Bohême et la Turquie n'auront pas été directs mais les fils de l'histoire ont tissé entre les deux pays un passé commun. Ceci explique peut-être que le débat soit si vif, dans les médias tchèques, sur l'adhésion de la Turquie à l'UE.