La fabuleuse odyssée d’un cosmonaute de Bohême

Jaroslav Kalfař, photo: Ondřej Tomšů

Les yeux du monde entier sont braqués sur Jakub Procházka, cosmonaute tchèque qui se charge d’une mission périlleuse et héroïque. Il est l’unique membre de l’équipage d’un vaisseau spatial lancé depuis un cosmodrome que l’Etat tchèque a fait construire dans un champ de pommes de terre. Un chapitre aussi surprenant que drôle de l’exploration spatiale peut commencer. Cette odyssée de l’espace est le sujet du roman Le cosmonaute de Bohême (Spaceman of Bohemia) du jeune écrivain tchéco-américain Jaroslav Kalfař (1988).

Un jeune Tchèque aux Etats-Unis

Jaroslav Kalfař,  photo: Zdeňka Kuchyňová
Affirmer que le livre de Jaroslav Kalfař, jeune romancier débutant, a fait sensation, n’a rien d’exagéré. Lorsque Jaroslav, alors âgé de quinze ans, quitte la République tchèque pour rendre visite à sa mère exilée en Floride, il est encore loin de se douter qu’il s’agit là d’un grand tournant dans sa vie ; un tournant qui lui permettra de finalement s’imposer dans le monde littéraire américain. Le jeune homme, qui ne parle pas anglais, ne peut pas savoir qu’il écrira un jour un bestseller dans la langue de son pays d’adoption. Ses débuts sont très difficiles mais il travaille dur, apprend la langue, entre à l’université, étudie la littérature et finit par écrire un livre qui surprend par son originalité. Les critiques américains le comparent aujourd’hui à Josef Škvorecký, Milan Kundera, Karel Čapek et décèlent même dans son roman certaines allusions à Franz Kafka. Jaroslav Kalfař, lui, affirme avoir écrit son livre entre autres pour faire mieux connaitre le peuple tchèque au reste du monde :

« Je voulais avant tout écrire un livre pour un public international. Je souhaitais présenter de nouveau les Tchèques parce qu’il me semble que le monde nous connait surtout à travers notre passé communiste et ne sait pas grand-chose de notre histoire antérieure. Je voulais donc présenter notre passé lointain, notre passé communiste et surtout notre présent, en somme notre pays tel qu’il est aujourd’hui et tel qu’il sera aussi peut-être à l’avenir. »

Un jeune astrophysicien lancé dans le cosmos

Jakub Procházka, personnage principal du roman, est un cosmonaute bien spécial qui ne ressemble pas plus à Gagarine qu’à Armstrong, Remek ou d’autres héros de l’espace. Astrophysicien doué, il est chargé d’explorer un mystérieux nuage de poussière cosmique qui s’est formé à proximité de la planète Vénus. Le jeune explorateur emporte cependant avec lui dans son voyage une profusion de sentiments, de liaisons et de souvenirs qui assaillissent son esprit tout au long de sa mission et le renvoient à son existence terrestre. Le lecteur de ces aventures cosmiques a ainsi le plaisir de découvrir simultanément la vie antérieure de ce jeune homme mal dans sa peau, son enfance difficile à la campagne tchèque, l’histoire compliquée de sa famille et le sentiment profond mais assez égoïste qu’il entretient pour sa femme Lenka. Un des grands thèmes du livre est la solitude ; la solitude du cosmonaute dans un espace infini mais aussi la solitude au sens plus général. Jaroslav Kalfař avoue :

Je pense que notre regard sur le présent est beaucoup influencé par notre histoire communiste.

« La solitude me fascine depuis l’enfance. Chacun perçoit la solitude de manière différente. Certains aiment la solitude et en ont même besoin pour vivre, tandis que d’autres ne savent pas rester seuls ne serait-ce qu’une journée. Je me suis donc demandé dans quelle situation un homme peut ressentir la plus grande solitude et j’en suis arrivé à la conclusion que cela devait être évidemment dans le cosmos, où il n’y a aucune autre présence humaine pas plus que d’autres éléments du confort de notre existence terrestre. »

Une profusion de thèmes et de genres

L’alternance des épisodes cosmiques et de la vie terrestre est un des éléments caractéristiques de la charpente de ce livre qui échappe à toute classification. L’écrivain promène le lecteur à travers des genres assez disparates, depuis la science-fiction à la fantasy en passant par les Mémoires d’une famille, le récit d’histoire récente et le roman d’amour. De même, le nombre de thèmes traités par ce jeune romancier est impressionnant. Il réfléchit tout à la fois sur l’existence humaine, l’exploration du cosmos, la vie, la mort, la faute et la vengeance. Il met en scène un extraterrestre, évoque les pages sombres de l’histoire de la famille de Jakub, décrit minutieusement les méandres psychologiques de la relation entre Jakub et sa femme Lenka. Curieusement, cette disparité des thèmes n’entraine pas de cacophonie dans une narration qui reste intense et captivante jusqu’à la fin. Un des autres thèmes importants du livre est le passé communiste des Tchèques. Le père de Jakub est un ancien agent de la StB, la police politique du régime communiste, et cela jette une ombre sur toute l’enfance de son fils. Pour Jaroslav Kalfař, le passé communiste est un thème toujours sensible :

'Cosmonaute de Bohême',  photo: Plus
« Je pense que notre regard sur le présent est beaucoup influencé par notre histoire communiste. Je rencontre souvent des Tchèques qui rappellent le passé communiste et en discutent. C’est aussi le cas de certains membres de ma propre famille. Je crois que cela dure toujours. »

La République tchèque vue par un romancier fantaisiste

La République tchèque est présentée dans le roman comme un pays petit, certes, mais ambitieux et souverain. Un pays qui dispose de technologies sophistiquées et ose se lancer dans la réalisation d’un audacieux programme spatial. Il s’agit évidemment d’une fiction qui mélange adroitement fantaisie, parabole, réalité et humour, mais l’auteur n’est pas d’accord avec ceux qui y verraient de l’ironie et du sarcasme :

« Je n’ai pas jeté sur tout cela un regard froid et ironique. J’ai imaginé un programme spatial en Tchéquie et la façon dont un tel programme pourrait fonctionner en pratique. Pour moi, ce cosmodrome dans un champ de pommes de terre n’est pas une allusion à notre petitesse, à notre insignifiance, simplement il m’a semblé amusant de situer un champ de pommes de terre si près de la colline de Petřín à Prague et d’imaginer que ce terrain puisse être acheté et exploité par l’Etat pour lancer une fusée spatiale. »

La leçon d’un extraterrestre

Jakub n’est cependant pas seul dans sa mission cosmique. Un jour, il se rend compte qu’une créature bizarre se trouve dans son vaisseau : un extraterrestre qui ressemble à une araignée monstrueuse. Après avoir surmonté sa répugnance vis-à-vis de cet intrus, Jakub se met à communiquer et à sympathiser avec ce petit monstre doté d’une grande intelligence. Il constate que l’extraterrestre, qu’il appellera Hanuš, cherche méthodiquement à connaitre et à comprendre la civilisation humaine. Les remarques de Hanuš sur les hommes et les aspects incompréhensibles et absurdes de leur civilisation comptent parmi les passages les plus amusants mais aussi les plus profonds du roman. Voici comment l’auteur explique la genèse du personnage de Hanuš :

« Il y avait beaucoup d’araignées dans la maison de mes grands-parents dans le village où j’ai grandi. Elles faisaient leurs toiles sous le plafond, puis nous regardaient et nous observaient. Ces araignées me semblaient très sages, très contemplatives. J’avais l’impression de voir des philosophes qui nous jugeaient. Et quand j’ai voulu imaginer un extraterrestre philosophe observant l’humanité, l’image d’une araignée m’est immédiatement venue à l’idée. »

Le patriotisme d’un Tchéco-américain

Jaroslav Kalfař,  photo: Ondřej Tomšů
Jaroslav Kalfař vit aujourd’hui aux Etats-Unis et n’envisage pas de les quitter. Il a écrit son premier roman en anglais et peut donc être considéré comme un écrivain de langue anglaise. Bien qu’il parle toujours très bien tchèque, il n’a pas traduit lui-même le roman dans sa langue maternelle et a préféré faire appel à une traductrice professionnelle :

« Je n’écris plus de textes littéraires en tchèque depuis treize ans. C’est pourquoi je me suis dit qu’il serait mieux de confier la traduction à un professionnel. (...) Je m’attendais à y trouver des passages qui ne me plairaient pas, je craignais de ne pas être d’accord avec la méthode de la traductrice, mais je dois dire que c’est merveilleux et que l’esprit de la version anglaise a été conservé aussi dans la traduction. »

Bien que le roman de Jaroslav Kalfař soit donc écrit en anglais, l’élément tchèque y est omniprésent. A une époque où le patriotisme n’est plus à la mode, le lecteur de ce texte pétillant trouve d’innombrables signes que l’auteur aime toujours son pays et qu’il est fier de son peuple. Le romancier ne rate aucune occasion d’introduire des allusions à l’histoire tchèque, brosse de courts portraits de grandes personnalités comme Charles IV, Jan Hus et Václav Havel, évoque les vieilles légendes tchèques. Bien sûr, il le fait à sa façon en mélangeant réalité et hyperbole, sérieux et humour et en évitant d’être trop didactique. « En écrivant ce livre, j’ai voulu relancer les Tchèques dans le monde, » affirme-il. A-t-il réussi ? Force est de constater qu’il n’a pas échoué. Et c’est le moins que l’on puisse dire, car son livre a d’ores et déjà été publié dans onze pays et traduit en neuf langues.