La « fête » à Prague est-elle finie ?

Pavel Bém et Roman Janoušek

C’est l’affaire « Janoušek » qui a alimenté ces derniers jours et jusqu’à aujourd’hui la presse tchèque. L’ensemble des journaux se sont penchés sur les différents aspects des révélations des écoutes téléphoniques entre l’ancien maire de Prague Pavel Bém et le lobbyiste Roman Janoušek, publiées par le quotidien Mlada fronta Dnes, qui ont donné une preuve plus flagrante que jamais, de l’infiltration des pratiques clientélistes, voire mafieuses, dans le monde politique. Nous avons choisi quelques extraits des pages consacrées à ce scandale.

Pavel Bém
Maire de Prague entre 2002 et 2010, Pavel Bém était un des hommes politiques les plus populaires de l’époque. Celle-ci est décrite dans l’éditorial de ce lundi du quotidien économique Hospodářské noviny comme « une période où tout était possible ».

Les retranscriptions des écoutes téléphoniques entre Pavel Bém et Roman Janoušek en disent long sur l’influence de ce milliardaire sur la gestion de la ville de Prague. L’homme qui est présenté par certains comme un lobbyiste et par d’autres comme un ancien trafiquant de devises pour lequel la langue tchèque a l’expression péjorative de « vekslák », ou tout simplement comme le parrain numéro un de Prague, et dont les contacts et les liens couvraient toutes sortes de professions et de secteurs d’influence : police, entreprises publiques ou semi-publiques, police, ministère public.

Roman Janoušek
Pour illustrer ce constat, le journal évoque plusieurs commandes lucratives qui ont été offertes par la municipalité de Prague à des entreprises et à des hommes d’affaires attachés par des liens d’amitié, d’alliance ou de complicité à Janoušek – amateur de golf, de ski et de tennis, image oblige. Hospodářské noviny publie en outre les photos d’une quinzaine de grands managers proches de lui et qui dirigeaient des entreprises comme ČEZ (producteur et distributeur d'électricité), l’Aéroport de Prague ou les Chemins de fer tchèques (České dráhy).

Mirek Topolánek
L’auteur de l’article qui situe cette affaire dans un large contexte politique de l’époque signale cependant que « Bém et Janoušek ne représentent pas une exception, mais font partie intégrante du système qui domine la politique tchèque ». C’est ce que confirme d’ailleurs Mirek Topolánek, ex-Premier ministre (ODS), dans un entretien accordée au quotidien Mladá fronta Dnes, dans laquelle il prétend « que la situation est pire encore que l’on ne le croit, le règne du duo Bém-Janoušek ne constituant que la partie immergée de l’iceberg ». L’interconnexion du business, de la politique, de la police, du ministère public, des juges et des médias à Prague serait, selon ses dires, totale.

S’agissant de sa propre responsabilité politique, Mirek Topolánek, dont le mandat était en partie parallèle avec celui de Pavel Bém, prétend qu’« il était au-dessus de ses forces de faire quoi que ce soit pour changer la situation à Prague ». Et d’insister sur le fait que le problème ne concerne pas uniquement Prague et l’ODS, parti qu’il dirigeait, mais que celui-ci est beaucoup plus profond et plus complexe. L’heure est en revanche à l’optimisme pour l’actuel maire de Prague, Bohuslav Svoboda, symbole d’un parti ODS « nouveau », qui affirme dans les pages du même journal que la « fête à Prague est désormais finie ».

Selon une grande partie des commentaires, cette affaire risque cependant d’avoir des retombées désastreuses sur l’ensemble du Parti civique démocrate (ODS), « le parti de droite le plus ancien et le plus stable d’Europe centrale », selon Hospodářské noviny, qui fait remarquer que les conséquences de la récente ‘affaire du Gorille’ pour la droite en Slovaquie devraient lui servir d’avertissement.

Photo: Emin Ozkan / Stock.XCHNG
Dans l’édition de mardi du quotidien Lidové noviny, l’historien Petr Placák observe à ce sujet : « L’affaire Janoušek est un défi pour l’ODS. Mais à en juger d’après les réactions du chef de gouvernement Petr Nečas et d’autres membres de ce parti, il semble qu’ils ne se rendent pas compte de la gravité de cette affaire ». Dans un article intitulé « La démocratie attaquée », il s’interroge en outre sur le niveau culturel du type de personnes comme Roman Janoušek. Il l’illustre par quelques extraits des conversations téléphoniques retenues entre les personnes concernées, où il est question de « bottes de ski, de blousons en cuir chic, de frigo à vin ». Et de constater :

« On a vraiment du mal à croire que de tels types minables ont pu régner pendant de longues années à Prague, la dominer, et que tout le monde – médias nationaux, universités, établissements culturels – bref, le public et les citoyens, ait pu se faire pigeonner ».

L’auteur d’un commentaire publié dans la dernière édition de l’hebdomadaire Respekt a prêté pour sa part attention au cynisme ouvert et vulgaire avec lequel Pavel Bém et d’autres fonctionnaires de la municipalité ont procédé pour s’entendre sur des jobs lucratifs ou sur l’occupation de certaines fonctions.

« Le crépuscule des parrains », titre l’éditorial de Mladá fronta Dnes de ce mercredi, déjà cité. Une semaine après la publication par le journal des écoutes téléphoniques par lesquelles le scandale est arrivé, celui-ci estime que « le réseau politico-économique édifié dans l’espace des dix années écoulées par le ‘parrain’ Janoušek semble désormais se désintégrer ».


« Les piétons dans les villes tchèques commencent à réclamer leurs droits ». Ce nouveau phénomène de société est examiné dans la récente édition de l’hebdomadaire Respekt. En se référant aux données du dernier annuaire concernant les transports à Prague, il indique que « 20 % de la totalité des déplacements en ville se feraient à pied. » En dépit de ce constat, les piétons sont une catégorie très mal soignée.

Les personnes interrogées auxquelles le journal a donné la parole estiment que la marche leur permet de retrouver une certaine hygiène mentale, de se sentir en meilleure santé et d’être plus ponctuel qu’auparavant. L’hebdomadaire indique :

« De par leurs dispositions, les villes tchèques, à l’exception des agglomérations récentes, telles que les villes de Most, d’Ostrava et de Zlín, sont bien adaptées à la marche. C’est parce qu’elles ont été construites à l’époque où la marche constituait un moyen de transport répandu. Ainsi, la concentration d’édifices au centre des villes fait que pratiquement ‘tout est à portée de main’. »

« D’un autre côté, signale le journal, au cours des cinquante dernières années, l’aménagement de l’infrastructure des transports a nettement privilégié l’automobile, problème que les piétons affrontent maintenant à chaque pas. Aussi, le nombre de professionnels municipaux ayant en charge les problèmes de la circulation automobile est incomparablement supérieur à celui de professionnels qui s’occupent des zones piétonnes.»

Différentes activités civiques se présentant comme une des solutions, Respekt cite l’initiative de l’association Mères de Prague (Pražské matky) qui a récemment lancé un site (http://chodcisobe.cz/) qui permet, à l’instar des villes britanniques, une meilleure communication entre les piétons et les autorités. Il explique :

« Le principe est simple : les gens photographient les obstacles qui leur compliquent la vie (par exemple des trottoirs trop étroits ou le manque de passages pour piétons là où il en faudrait) et envoient les photos aux responsables qui ont le devoir de répondre et de présenter une solution... Jusqu’ici, l’ensemble des 57 maires des arrondissements de Prague ont bien voulu réagir ».

En conclusion, l’hebdomadaire Respekt cite une société internationale de consultation qui remarque :

« Prague doit transformer le concept de ses transports de fond en comble pour donner plus d’espace aux piétons et aux cyclistes. Dans le cas contraire, dans vingt ans, la capitale tchèque aura à affronter des bouchons suite à quoi les gens passeront dans les embouteillages trois fois plus de temps qu’aujourd’hui, soit près de cent heures par an. Dans une telle situation, on préférera volontiers la marche à l’automobile ».