La guerre en Ukraine met à mal les relations tchéco-slovaques
Les relations tchéco-slovaques traversent-elles leur plus grave crise depuis la fin de la Tchéocoslovaquie ? En raison de positions diamiétralement opposées sur la guerre en Ukraine, le gouvernement de Petr Fiala a décidé de suspendre les consultations régulières avec le gouvernement de Robert Fico.
Trop, c’est trop. La poignée de mains, samedi dernier, entre le chef de la diplomatie slovaque, Juraj Blanár, et son homologue russe Sergueï Lavrov a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. La Tchéquie tient désormais à prendre ses distances avec sa cousine slovaque. Et jamais peut-être depuis la partition de l’État commun, il y a trente-et-un ans, les relations entre Prague et Bratislava ne sont apparues aussi froides.
Huit jours après la tenue à Prague d’un sommet du groupe de Visegrád qu’il aurait déjà préféré annuler tant la perspective de devoir s’entretenir et de poser pour la postérité avec ses homologues slovaque et hongrois l’incommodait, Petr Fiala et son cabinet ont donc décidé de suspendre les consultations avec le gouvernement de Robert Fico. Prévue la semaine prochaine, la prochaine rencontre a été renvoyée aux calendes grecques, comme l’a annoncé Petr Fiala à l’issue du Conseil des ministres, mercredi :
« Nous sommes convaincus qu’il n’est pas nécessaire, actuellement, que se tienne la réunion de nos deux gouvernements. Il est impossible d'ignorer les divergences fondamentales d'opinion sur des questions clés de politique étrangère. Nous avons informé le gouvernement slovaque de notre décision et de notre volonté de remettre cette rencontre à plus tard. »
Globalement, au-delà même de la composition du nouveau gouvernement national-populiste formé par Robert Fico à l’automne dernier avec le soutien du parti d’extrême droite prorusse SNS (Parti national slovaque), la politique étrangère désormais menée par Bratislava, qui tend à un rapprochement avec la Russie de Vladimir Poutine, est considérée d’un très mauvais œil à Prague où, au contraire, le soutien, notamment militaire, à l’Ukraine reste considéré comme une priorité absolue.
Dès mercredi soir, dans une vidéo publiée sur Facebook, Robert Fico a réagi à la décision du gouvernement tchèque. Assurant que celui-ci serait toujours le bienvenu à Bratislava, il a estimé que « des visions du monde différentes » n’avaient « rien à voir avec la cohabitation tchéco-slovaque » :
« Monsieur le président du gouvernement tchèque, monsieur Fiala, les relations entre nos citoyens, entre Tchèques et Slovaques, sont exceptionnelles, historiquement éprouvées et empreintes de confiance réciproque. Elles sont pleines d’amitié, de liens familiaux et de compréhension. Le gouvernement slovaque ne remettra jamais en cause ces relations profondes entre Slovaques et Tchèques. Nous prenons acte du fait que la garniture gouvernementale tchèque a décidé de les compromettre uniquement parce qu’elle souhaite soutenir la guerre en Ukraine, alors que le gouvernement slovaque parle ouvertement de paix. Votre décision n’influencera pas la politique étrangère souverraine de la Slovaquie. »
Déjà en novembre dernier, pour ce qui était alors son premier voyage à l’étranger après sa victoire aux législatives quelques semaines plus tôt, le gouvernement tchèque n’avait pas déroulé le tapis rouge pour accueillir Robert Fico. Et ce, essentiellement en raison de son discours prorusse qui avait rythmé une campagne électorale particulièrement nauséabonde.
Mais c’est plus encore la vidéo que le Premier ministre slovaque a mis en ligne, toujours sur son compte Facebook, le 24 février, à l’occasion du deuxième anniversaire du début de la guerre en Ukraine, qui a éteint les dernières illusions tchèques, manquant même de faire s’étrangler quelques ministres du gouvernement Fiala.
Deux jours avant la réunion de soutien à l’Ukraine à Paris et trois jours avant le sommet de Visegrád à Prague, Robert Fico, sans plus aucun garde-fou diplomatique, avait déclaré, entre autres, que « les émeutes des néonazis ukrainiens » avaient été à l’origine de la guerre en 2014 ou encore qu’il était « choquant qu’il n’existe pas de plan de paix, que l’UE ne pèse pas de tout son poids pour obtenir un cessez-le-feu immédiat [et] que le seul plan est de soutenir l’assassinat mutuel des Slaves ».
Autant de faits et de déclarations qui ont donc poussé Petr Fiala et son équipe à mettre enntre parenthèses les réunions entre les ministres des deux gouvernements, estimant que ce type de coopération n’existait qu’entre pays qui entretiennent des rapports privilégiés. Interrogé par la Radio tchèque ce jeudi, le chef de la diplomatie, Jan Lipavský, n’a toutefois pas jugé nécessaire de dire si les relations entre les deux voisins étaient à leur plus bas depuis la partition de la Tchécoslovaquie, rappellant que l’essentiel se trouvait ailleurs :
« Je ne peux pas juger historiquement. Je ne sais même pas si c’est important. Ce qui importe à mes yeux, en tant que ministre des Affaires étrangères, c’est que le gouvernement tchèque a fait comprendre qu’il n'était pas prêt à reculer sur les questions de sécurité. Nous avons clairement indiqué que nous nous sentions membres de la communauté occidentale, car la raison pour laquelle le gouvernement a pris la décision de reporter les consultations intergouvernementales entre la République tchèque et la Slovaquie est que nos points de vue sur l’agression russe contre l’Ukraine sont diamétralement opposés. »
De son côté, la présidente slovaque Zuzana Čaputová, qui quittera prochainement ses fonctions et s’efforce dans la mesure de ses pouvoirs de faire obstacle à la politique de destruction de l’État de droit menée par Robert Fico, s’est dite « navrée » par l’évolution de la situation. « Lorsque nous affaiblissons la politique étrangère en termes de valeurs, nous pouvons perdre des amis », a-t-elle toutefois constaté.