Robert Fico à Prague : « Nos relations ont été altérées par le temps »

Robert Fico et Petr Fiala

Dans l’histoire des relations entre les deux pays depuis la partition de l’État commun, le 31 décembre 1992, il est rare que la venue à Prague d’un Premier ministre slovaque soit scrutée avec une telle attention. La visite, ce vendredi, du revenant politique Robert Fico, trois jours après que son gouvernement national-populiste a obtenu la confiance du Parlement, a pourtant fait l’objet de méfiance comme encore probablement jamais auparavant. Et ce malgré les déclarations de bonnes intentions.

Robert Fico n’a pas dérogé à la tradition. Comme le veut l’usage dans les relations biléatérales depuis le « divorce de velours » et l’apparition sur la carte de l’Europe, le 1er janvier 1993, de deux nouveaux États indépendants, c’est chez le voisin le plus proche, la Tchéquie, que le nouveau Premier ministre slovaque s’est rendu pour son premier voyage à l’étranger.

Mais alors que les dirigeants des deux pays se félicitaient généralement de l’excellence de leurs relations et qu’ils ont même souvent fait front ensemble ces dernières années lors des réunions du groupe de Visegrád (V4), face à la Pologne de Jaroslaw Kaczynski et de Mateusz Morawiecki et à la Hongrie de Viktor Orban, bien des choses ont changé des deux côtés de la frontière depuis le retour au pouvoir de Robert Fico cet automne après sa victoire aux élections législatives.

Finalement, après quelques hésitations, notamment du premier nommé, tant le président de la République, Petr Pavel, que le Premier ministre, Petr Fiala, la présidente de la Chambre des députés, Markéta Pekarová Adamová, et le président du Sénat, Miloš Vystrčil, ont bien reçu Robert Fico. Entre autres raisons, comme l’a concédé Petr Fiala, parce que « le public s’attend à juste titre à ce que la Tchéquie et la Slovaquie entretiennent des relations étroites au plus haut niveau politique ».

De son côté, lors de la conférence de presse qui a suivi leur rencontre en début d’après-midi, Robert Fico a déclaré qu’il ne s’agissait pas d’une simple visite de « courtoisie », estimant que les relations entre les deux pays, plus de trente ans après la séparation, étaient « quelque peu altérées par ‘la dent du temps’ (sic) ». « Ces derniers temps, il y a eu les crises financières, le covid, il n’y a pas eu le temps de faire l’inventaire [de nos] relations », a-t-il ajouté. Selon lui, les relations ne doivent pas rester bloquées dans une phase « d’optimisme nostalgique », mais avoir « un contenu concret ».

À l’exception de la question de la fourniture d’armes à l’Ukraine, à laquelle est opposé le nouveau gouvernement slovaque, les deux pays ont des positions similaires, a souligné Robert Fico. « Nous disons simplement que nous ne croyons pas en une solution militaire au conflit en Ukraine. »

Le Premier ministre slovaque s’est ensuite félicité que son homologue tchèque soit prêt à organiser une réunion du V4 après la formation du nouveau gouvernement polonais. Néanmoins, toujours selon lui, le format est actuellement bloqué en raison de divers facteurs, tandis que Petr Fiala a estimé que le V4 continuait de « travailler et de fonctionner », rappelant notamment la réunion à Prague des présidents des quatre pays mercredi dernier. «  Il est indéniable que nous avons des points de vue différents sur certaines questions, en particulier sur la situation politique internationale. Mais cela ne signifie pas que nous ne pouvons pas coopérer sur un certain nombre de questions spécifiques », a-t-il insisté. De son côté, Robert Fico a rappelé que la Slovaquieadhérait « pleinement à l’UE et à l’OTAN » et qu’elle entendait « remplir les obligations qui en découlent ».

Prague s’inquiète de l’évolution de la situation en Slovaquie

Après Petr Fiala, Robert Fico s’est rendu au Château de Prague pour y rencontrer Petr Pavel. Ces derniers jours, les médias tchèques ont fait état des hésitations du chef de l’État, avançant même l’idée selon laquelle c’est son homologue Zuzana Čaputová, présente à Prague la semaine dernière pour les cérémonies de commémoration de la révolution de Velours, qui l’aurait finalement convaincu d’accueillir le chef du gouvernement slovaque.

« Je suis venu ici avec les meilleures intentions du monde », a alors précisé Fico, ajoutant qu’il avait souhaité « une visite amicale standard, qui couvrirait également les questions de travail ». « Je n’ai pas besoin de l’intercession de madame la présidente », a-t-il ajouté.

Nommé Premier ministre pour la quatrième fois de sa carrière, Robert Fico a néanmoins critiqué les Tchèques à plusieurs reprises durant une dernière campagne électorale dont le déroulement a été fortement influencée par la désinformation et les déclarations populistes. Récemment, le ministre tchèque des Affaires étrangères, Jan Lipavský, avait publiquement exprimé son inquiétude quant à l’évolution de la situation politique en Slovaquie, une évolution qu’il convient, selon lui, de « suivre attentivement ».

Contraint de démissionner après le meurtre du journaliste d’investigation Ján Kuciak en 2018, événement qui a bouleversé la société slovaque et mis au grand jour un système politique, juridique et policier rongé par la corruption et les pratiques mafieuses, Robert Fico est malgré tout parvenu à revenir son pouvoir. Avec l’aide d’un parti d’extrême droite, la coalition gouvernementale qu’il a formée après sa victoire aux élections, a été nommée par la présidente en octobre dernier. Une Zuzana Čaputová que Robert Fico a traité de « p... américaine » lors d’un meeting l’année dernière et qui, pour sa part, a déjà annoncé qu’elle ne briguerait pas de deuxième mandat l’année prochaine.