La langue tchèque : affirmation et influences
On l'oublie trop souvent mais, du Moyen-Age jusqu'au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, les Pays tchèques ont formé un ensemble multiethnique et donc multilinguistique. La langue tchèque, qui s'affirme tout au long de l'époque contemporaine, doit tenir compte de ce contexte mais également des contraintes de politique étrangère, qui ne seront pas sans influence sur son évolution.
" Libuše Moníková, qui était une personnalité extraordinaire, m’a littéralement fascinée. Elle a vécu longtemps en Allemagne mais, pour ainsi dire, vécu tout aussi longtemps ici. Et bien qu’elle ait écrit en langue allemande, elle pensait en tchèque. D’ailleurs, les principaux thèmes de ses livres tournent autour des Tchèques et du caractère national. "
Jana Zoubková évoquait sur nos ondes la mémoire de Libuše Moníková, dont elle a traduit le livre Fasáda et qui nous a quittés à Berlin, en 1998. Si nous évoquons cet écrivain tchèque de langue allemande, c’est qu’elle symbolise bien le contexte spécifique de la langue tchèque un siècle plus tôt.
L’Eveil national, qui prend corps tout au long du XIXe siècle, accorde une place centrale à la langue. En Bohême-Moravie peut-être plus qu’ailleurs, la conscience nationale est étroitement liée à la langue tchèque.
Le philologue Josef Jungmann, grand acteur de l’Eveil, fait beaucoup pour la modernisation du tchèque littéraire, en particulier avec sa traduction d’Atala, de Chateaubriand, en 1805. Jungmann se réclame expressément du patriotisme linguistique !En 1830, avec l’historien František Palacký, il forme une association pour la langue et la littérature tchèque, qui passera de trente-cinq membres à ses débuts à plus de 2 300 en 1847. C’est dans ce cadre que Jungmann édite son dictionnaire tchéco-allemand.
Ce dictionnaire est emblématique du contexte particulier des Pays tchèques, qui abritent, depuis longtemps, une importante minorité allemande. Notons que les deux communautés n’ont pas toujours eu des relations conflictuelles, loin de là.
L’affirmation de la langue tchèque dans la seconde moitié du XIXe siècle ne peut se faire indépendamment de l’existence de la langue allemande. De même, dans les années 1880, on assiste à l’introduction de la langue tchèque dans certains passages de la liturgie juive. En un mot, l’histoire de la langue tchèque au XIXe siècle est aussi influencée par le contexte multiethnique des terres tchèques.
En 1840 se tient le premier bal tchèque et, six ans plus tard, quelques grands noms de l’intelligentsia tchèque créent le cercle de la bourgeoisie (Měšťanská Beseda). Ces deux événements sont plus importants qu’il n’y paraît car, désormais, la langue tchèque prend sa place dans la bonne société et ne se limite plus au monde des paysans et des domestiques. D’ailleurs, les classes moyennes s’imposent tout au long du siècle et, dans les années 1880, la prédominance sociale et culturelle des Tchèques s’impose à Prague.
Mais si la langue tchèque constitue, au XIXe siècle, le véhicule de l’affirmation nationale, elle n’est pas pour autant imperméable aux influences étrangères.
« Les armées de Napoléon étaient numériquement beaucoup plus faibles que leurs adversaires russes et autrichiens, et cette retraite d’une position stratégique faisait partie du plan de Napoléon, lequel l’a conduit à la victoire. C’est depuis cette colline qu’i la dirigé l’attaque principale contre l’ennemi. »
La bataille d’Austerlitz ou Slavkov n’a pas seulement donné lieu à un chef-d’œuvre de stratégie militaire, comme le rappelait il y a un instant l’historien Jaroslav Hanák. Elle aurait aussi légué un mot insolite à la langue tchèque : Šumafuk. Ce serait en effet à force d’entendre les soldats français répéter à toute occasion « je m’en fous ! » que les Moraves auraient tchéquisé cette phrase, en « je mi šumafu » : je m’en fous ! C’est, certes, un peu familier mais c’est dans le dictionnaire tchèque...La dictature communiste, à partir de 1948, sera également l’occasion d’influences sur la langue tchèque, mais pas toujours dans le sens qu’on attendrait. Les élèves tchèques apprennent le russe à l’école et collent des petites figurines du Kremlin sur leurs cahiers de classe mais la jeunesse tchèque des années 60 est résolument tournée vers l’Amérique.
Dès 1965, les groupes tchèques de rock commencent à composer leurs propres chansons, ainsi le groupe Synkopa, avec Novák et Wykrent. Mais surtout, ils utilisent de plus en plus la langue tchèque, à l’instar du groupe Olympic, dont le parolier est Pavel Chrastina. C’est alors souvent l’occasion d’un travail sur la langue tchèque, afin de la rendre aussi mélodique, souple et syncopée que la langue anglaise. Aleš Opekar, musicologue, analyse ce phénomène dans son étude sur l’album Želva, d’Olympic, nous le citons :
« L’admiration pour les groupes et la musique anglo-saxonne s’illustre avec les efforts pour imiter la phonétique anglaise. De nombreuses rimes sont ainsi en /-ou/ (jednou, stranou, vanou...). C’est avec la chanson Creeping Memory que cette tendance s’affirme avec netteté, cette fois-ci avec la sonorité en ‘ -a long’ : plíživá, živá, zajímá, spát...(mettre les accents). »