František Palacký, le monument de l’historiographie tchèque
Un grand monument qui se dresse au bord de la Vltava rappelle aux Pragois l’œuvre et la vie de l’historien František Palacký (1798-1876). Sur le socle on peut lire cette inscription : « A son éveilleur et guide, la nation ressuscitée ». 140 ans se sont écoulés depuis la mort de cet homme qui a jeté les bases de l’historiographie tchèque moderne.
Fils d’un paysan protestant
Le monument créé par le sculpteur Stanislav Sucharda représente František Palacký comme un vieillard vénérable et sévère, comme une personnification de l’histoire. Pour beaucoup, c’est lui qui personnifie également la période qui commence au XVIIIe et finit au début du XXe siècle et que nous appelons le Renouveau ou le Réveil national tchèque.Il est né en 1798 dans une famille protestante dans le village de Hodslavice en Moravie du Nord. Son père est paysan mais aussi maître d’une école protestante dans son village. František Palacký entre d’abord dans une école fondée au château de Kunvald par la comtesse de Waldburg-Zeil, puis poursuit ses études dans les villes de Trenčín et de Bratislava (Presbourg) en Slovaquie. C’est l’abbé Josef Dobrovský, un des premiers éveilleurs nationaux tchèques et fondateur de la slavistique, qui exercera une grande influence sur le jeune homme qui envisage d’abord de se lancer dans la littérature. Josef Dobrovský lui transmet sa méthode d’historiographie critique que František Palacký utilisera et développera pendant toute sa vie. En 1838, donc à l’âge de 40 ans, il devient le premier historien du pays.
Historien et homme politique
A cette époque, František Palacký joue déjà un rôle important dans la vie nationale tchèque. Marié à une riche héritière et débarrassé des soucis matériels, il devient une personnalité publique. Pendant quarante ans, il prend part aux activités de pratiquement toutes les institutions et associations tchèques et finit par s’engager aussi dans la vie politique. L’historienne Pavla Vošahlíková évoque son rôle politique dans la société tchèque cherchant à s’émanciper dans le cadre de l’empire autrichien :« Palacký a toujours été une espèce de solitaire. Il était respecté et la société tchèque le considérait comme un de ses principaux représentants. Cependant, avant 1848, il se tenait à l’écart des grands courants patriotiques qui discutaient souvent de problèmes qui lui étaient étrangers et qu’il considérait peut-être comme un peu provinciaux. Il donnait l’impression d’être au-dessus des partis. La situation a changé après 1848. A partir de cette période, il n’était plus un simple observateur, un arbitre impartial. Son engagement dans les combats politiques de cette époque a été lié avec les activités de son gendre František Ladislav Rieger qui était déjà un véritable homme politique pour lequel la recherche n’était pas l’activité principale. »
Ce sont les droits du peuple tchèque, son identité nationale, le combat pour ses droits et la formulation du programme national qui sont les plus importants pour František Ladislav Rieger. Evidemment, ces thèmes ne laissent pas indifférent son beau-père et František Palacký finit par s’associer à ce combat. Pavla Vošahlíková rappelle que l’engagement politique n’a pas apporté à František Palacký que des succès :« L’itinéraire de František Palacký a été très inégal. Après les grands succès, il a essuyé aussi de grands échecs surtout après 1848 lorsqu’il a été obligé de partir du comité du Musée tchèque, institution très importante pour lui et qui devait devenir plus tard le Musée national. Il a dû partir après un vote dans lequel il n’a obtenu que deux voix. Tous les autres votants, qui étaient des patriotes tchèques, se sont prononcés pour son départ du Musée parce qu’ils craignaient d’être compromis par lui et par le rôle politique qu’il avait joué lors des événements de 1848. C’était une pilule amère pour un homme qui avait fait tant de sacrifices pour son peuple et en a reçu une telle récompense. Evidement c’était dû à la situation politique à cette époque où un régime répressif, un régime absolu, a été instauré dans la monarchie. »
La révolution de 1848
Lors de l’année révolutionnaire 1848, František Palacký élabore un projet de nouvelle constitution autrichienne qu’il cherche à imposer sans succès lors du Congrès constitutionnel convoqué dans la ville de Kroměříž. Il prône le programme d’austro-slavisme, c’est-à-dire la transformation de la monarchie autrichienne en Etat fédéré qui assurerait à tous les peuples les mêmes droits politiques et nationaux. C’est dans ce sens qu’il œuvrera aussi en tant que député du Parlement régional tchèque. Il est également un grand partisan de la coexistence des Tchèques et des Slovaques. Parallèlement, il poursuit ses recherches historiographiques. Il travaille systématiquement dans toutes les archives de Bohême et dans beaucoup d’institutions de ce genre en Europe. Son immense culture lui permet de faire ce travail avec précision et profondeur. Pavla Vošahlíková évoque ses connaissances linguistiques :« Palacký, comme tous les patriotes tchèques, maîtrisait la langue allemande, mais il connaissait aussi les langues des chroniques et des documents d’archives sur l’histoire tchèque, donc naturellement le français, l’italien, le latin, etc., c’est-à-dire tout ce qui lui permettait d’étudier ces documents. »
Le chef d’œuvre de František Palacký
Entre 1848 et 1876 František Palacký rédige en tchèque et en allemand la monumentale « Histoire du peuple tchèque en Bohême et en Moravie », son œuvre majeure qui jouera un grand rôle dans la culture et dans la politique de son pays et servira de base pour l’idéologie du mouvement national tchèque. Le livre en cinq tomes retrace l’histoire de son peuple depuis le début jusqu’à l’avènement au trône tchèque de la dynastie des Habsbourg. Plusieurs générations d’historiens et même ses critiques seront obligés de se situer par rapport à cet ouvrage essentiel et de se confronter avec ses conclusions. Pour František Palacký la ligne principale de ce long processus qu’est l’histoire de son peuple, est un combat incessant entre les éléments germaniques et slaves sur le sol tchèque.Le livre forme un ensemble organique composé d’éléments politiques, étatiques, sociaux, culturels et ne néglige pas non plus l’histoire du quotidien. Palacký conçoit l’histoire comme une polarité des tendances qui s’influencent mutuellement ou entrent en conflit. La confrontation de ces forces peut être exprimée par les polarités entre la liberté et l’autorité, la démocratie et le féodalisme, la science et la foi, etc. Ses forces donnent la dynamique à l’évolution historique et peuvent devenir la source de nouvelles idées. 140 ans après la mort de son auteur, le livre respecté ou critiqué par plusieurs générations d’historiens force toujours l’admiration. Pavla Vošahlíková conclut :
« Palacký a réalisé une synthèse historique, ce qui est le plus difficile et est aussi le plus apprécié dans l’historiographie. Il a réalisé une grande synthèse de l’histoire d’une longue période depuis les temps immémoriaux jusqu’en 1526. Il a basé cette œuvre sur des méthodes de recherches très modernes pour l’époque. Il a été donc le premier à oser un tel exploit et il l’a réalisé par une méthode scientifique. Avant il y avait des chroniques dont les auteurs cherchaient aussi à couvrir de longues périodes d’histoire mais les chroniqueurs ne travaillaient pas avec un tel appareil scientifique, ils n’épuisaient pas toutes les sources, ils ne cherchaient pas tellement à vérifier leurs conclusions. En ce qui concerne l’historiographie scientifique et synthétique chez nous, František Palacký a été donc le premier. »