La mode des seventies en Tchécoslovaquie, entre nostalgie et histoire

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Le Musée des Arts décoratifs de Prague, situé en face du Rudolfinum et accolé au vieux cimetière juif, propose une exposition intitulée « Kytky v popelnici » ou « Des fleurs dans la poubelle » sur la mode des années 70 en Tchécoslovaquie. Chemises bariolées, larges cravates colorées et chaussures à talons compensés constituent donc le gros de la collection. Mais présenter la mode des années 70, c’est aussi revenir sur une période particulière de l’histoire tchécoslovaque.

Au-delà de l’aspect ludique, la mode est aussi le reflet de la vie quotidienne à une époque donnée et peut nous instruire sur les conditions sociales de cette époque. Konstantina Hlavackova, commissaire de l’exposition, nous a donc offert une visite guidée en nous expliquant quelles histoires se cachent derrière ces vêtements. Première énigme : le titre à la fois évocateur et mystérieux de l’exposition, « Des fleurs dans la poubelle » que nous explique Konstantina Hlavackova :

« Ce titre est le texte du groupe de musiciens les Sex Pistols. J’ai choisi ce titre parce que j’ai pensé que c’est le même sens que les garçons du groupe ont voulu exprimer avec cette chanson. Et ce sont les mêmes idées que l’on peut trouver dans la société tchécoslovaque à cette période. Les musiciens britanniques ont voulu exprimer le désespoir de la génération de leurs parents. Leurs parents étaient des ‘hippies’, mais ils ont perdu leurs idéaux et leurs idées révolutionnaires parce qu’ils ont trouvé de bons emplois. Chez nous, c’était différent. A la fin des années 60, les gens avaient des idées liées avec 1968 et ils ont perdu aussi ces idées. Les idées de 1968 se sont aussi retrouvées à la poubelle comme les idées des mouvements hippies de la fin des années 60 en Europe occidentale. »

La mode en Tchécoslovaquie s’efforçait de suivre les tendances insufflées par les grandes capitales de la mode comme Paris, Londres ou Milan mais les moyens de la population pour se mettre au goût du jour n’étaient évidemment pas les mêmes que ceux de leurs homologues occidentaux. Un seul magasin à Prague pouvait proposer des vêtements en provenance du monde capitaliste, les magasins « Tuzex », où il fallait cependant payer soit en devises étrangères, soit avec des coupons appelés « bony » ; les vêtements étrangers restaient cependant hors de prix. D’où, comme dans la plupart des domaines, le recours au système D :

« Les gens fabriquaient les choses à la maison. IL faut dire que c’était facile d’acheter du tissu. C’était facile de trouver beaucoup de dessins et des choses en laine et en coton. Donc les gens ont beaucoup fabriqué chez eux. Les matériaux étaient très variés. C’était toujours des matériaux synthétiques ; chez nous on a beaucoup utilisé le ‘Crim plane’, c’était d’origine anglaise. C’était un peu difficile à porter parce que la peau ne pouvait pas respirer. Mais ces matériaux étaient très typiques.

On a aussi importé beaucoup les vêtements de l’Inde. Les hippies ont beaucoup utilisé la mode ethnique mais les hippies voulaient soutenir la culture en Inde, en Amérique centrale. Mais quand ces vêtements ont commencé à être très à la mode, cette mode est devenue très commerciale. On peut quelque fois trouver des blousons et des robes créées « made in India ». Mais d’autres fois on peut trouver des choses qui profitent de ces décorations mais qui sont déjà fabriquées en Europe occidentale. »

Dans l’exposition il y a aussi des vêtements qui viennent de l’ouest, de France, d’Italie…

« Oui parce que quand nous avons préparé cette exposition, nous avons choisi de prendre non seulement les choses qui étaient fabriquées en Tchécoslovaquie mais tous les vêtements qui ont été portés en Tchécoslovaquie. Ça veut dire aussi les vêtements achetés dans les Tuzex par exemple mais aussi les vêtements qui ont été rapportés d’Occident. Il était très difficile de voyager et de sortir du pays mais il y a quand même un certain nombre de gens qui ont pu aller faire des voyages de travail et comme ça, presque chacun rapportait quelque chose, quelques vêtements. C’était aussi drôle parfois. Par exemple les vêtements en Occident étaient très chers pour nous. Et donc les gens choisissaient par exemple des petites tailles parce qu’avec les soldes, c’était les prix les plus bas. Parfois les gens rapportaient des chaussures trop petites parce que c’était beau, c’était à la mode. Avec les jeans aussi on a vécu des moments qui paraissent amusants aujourd’hui, mais avant c’était un peu dur. Par exemple, les jeunes filles devaient vraiment être très minces pour porter des jeans très petits. Il s'agissait d’être à la mode, d’être chic, d’être bien, se sentir bien, mais d’un autre côté, c’était un peu dur. »

C’est donc un véritable voyage culturel et un voyage dans le temps que propose l’exposition. Il n’y a d’ailleurs pas que des vêtements, mais toutes sortes d’objets qui se rapportent à cette période. Ainsi, un petit salon a été installé pour que le visiteur puisse se replonger dans l’atmosphère des années 70 ; des magazines de mode, notamment plusieurs numéros de « Zena a moda » (« la femme et la mode » en Français), principal magazine de l’époque, peuvent être feuilletés et surtout une télévision, avec le programme « Attends, j’ai quelque chose à te dire », présentant les nouvelles tendances de la mode tchécoslovaque.

« Nous avons voulu faire un petit coin pour nos visiteurs pour se reposer et aussi s’imaginer qu’ils sont à la maison dans les années 70 et qu’ils regardent la télevision le samedi soir. Nous avons trouvé dans les archives de la télé tchèque un programme qui est consacré à la mode. C’est très drôle aujourd’hui mais à cette époque c’était très célèbre. L’actrice qui était à l’époque très populaire chez nous explique ce qui se passe dans la mode et à l’Institut de mode tchécoslovaque, un Institut très important et très officiel, à préparer les vêtements et ils sont montrés aux gens dans cette émission. Les hommes, aussi des acteurs très populaires, racontent des blagues avec la musique typique de cette époque.

C’est très intéressant de voir comment les gens s’amusaient, ou plutôt on devrait dire, comment les gens devaient s’amuser parce que c’était officiel et ce n’est pas très vivant et il y a beaucoup de couches d’idéologie. Par exemple, quand l’actrice parle avec les mannequins, elle dit ‘camarade’, et ça c’est vraiment drôle. »

Certes, le programme de télévision paraît assez amusant, et l’on peut difficilement s’empêcher de sourire en écoutant la présentatrice féliciter les ouvrières de tel ou tel magasin d’Etat. Pour autant, le régime communiste et surtout la mise en place de la normalisation après l’échec du printemps de Prague a instauré un climat plutôt morose dans les années 70.

Dans la salle d’exposition, les vêtements multicolores contrastent ainsi avec un décor tout peint de gris et de grandes fenêtres qui donnent sur des « panelak » en construction, ces grandes barres d’habitations faites de grands panneaux préfabriqués typiques des banlieues communistes et aujourd’hui post-communistes. Dans ce contexte, même les vêtements pouvaient être sources de tracasseries. Konstantina Hlavackova raconte qu’elle a eu des ennuis, que ce soit à l’Université ou lors de son travail de guide au château de Prague, simplement parce qu’elle portait une petite robe noire, toute simple, achetée au Tuzex, avec une inscription brodée dans le dos « Police de Hawaï ».

Evidemment, les jeans troués et autres accessoires qui ont fait fureur chez les jeunes occidentaux étaient inadmissibles en Tchécoslovaquie. L’exposition présente cependant deux mannequins au look particulier, un Tramp, et un Punk.

« Le mouvement punk a commencé en 1966 en Angleterre mais chez nous aussi les jeunes garçons ont commencé à jouer du punk-rock très vite. Mais voir des vêtements de punks dans la rue, c’était très rare et c’était aussi impossible d’acheter des T-shirt des Sex Pistols et porter des pantalons de kilt. Mais les garçons tchèques ont cherché leur façon parce que les T-shirt c’était facile, les épingles c’était facile, les Doc Martens c’était impossible mais on pouvait trouver quelque chose ensemble à la façon tchécoslovaque. Les Punks ont existé mais c’était vraiment très en dehors de la société normale. Mais nous avons voulu présenter ce phénomène ici. Mais cette figure de Punk présentée ici n’est pas habillée dans les vêtements des années 70. Aucun Punk n’avait ce type de vêtements en Tchécoslovaquie.

Quant aux tramps, il s’agit d’un phénomène qui remonte à la première guerre mondiale mais qui a été particulièrement populaire dans les années 70. Vêtus de tenues que l’on pourrait qualifier de camouflage, les gens se donnaient rendez-vous le week-end à la campagne et avaient ainsi le sentiment de retrouver un peu de liberté.

En octobre dernier, nous vous avions parlé de l’exposition « Le F3 de Husak » (Husakovo 3+1 en tchèque) qui présentait un appartement du type des années 70. Une exposition sur la photographie dans les années 70 a aussi eu lieu dans une galerie de la ville de Klatovy en Bohême du Sud. Les trois expositions ont ainsi décidé de se regrouper pour mettre en place un projet commun intitulé « 3 x 70 ». Des conférences sur la musique, le cinéma, la photo des années 70 se tiennent chaque mardi de janvier et février. Trois films vont aussi être projetés au cinéma Ponrepo, dans le centre de Prague.

L’intérêt pour cette période est manifeste ; les visiteurs sont au rendez-vous et viennent découvrir, ou re-découvrir, ce décor des années 70, comme en témoignent une mère et sa fille.

« Ca me plaît beaucoup ici parce que cela me rappelle le bon vieux temps. J’ai exactement cette même chemise de nuit et je reconnais ce que portaient ma mère et ma grand-mère et c’est merveilleux. »

« Moi je suis plus ici pour m’informer de cette époque parce que je connais de ce qu’on m’en a raconté mais c’est mieux de pouvoir voir tout ça en vrai parce que je n’ai nulle par ailleurs où voir ça. »

Pour conclure, nous allons laisser le mot de la fin à Konstantina Hlavackova qui nous explique le succès de cette exposition :

« Je crois que c’est vraiment une période intéressante et vivante. Elle est aussi intéressante pour les historiens parce que c’est un temps qui touche beaucoup de gens, parce que c’est une période qui a été extrêmement dure, extrêmement mauvaise. Dure aussi pour les gens parce qu’il était nécessaire de choisir un côté pour vivre bien, pour ne pas perdre – on dit en tchèque - son visage et son caractère et sa moralité. Et donc c’est dur pour les gens parce que chacun a pu survivre à cette période avec certaines façons. L’autre raison est que c’est très proche mais pour beaucoup de jeunes gens c’est déjà de l’histoire qui est dans le passé. Et il faut commencer à expliquer pourquoi les choses se passaient comme ci ou comme ça parce que cette période n’a pas été blanche et noire ».