« La Pleurante des rues de Prague » au festival d’Avignon
Chaque année, le festival de théâtre d’Avignon, qui se tient dans la cité des Papes en France tous les mois de juillet, propose des centaines de pièces de théâtre parmi lesquelles sont généralement représentés un certain nombre d’auteurs tchèques, comme Kafka, Havel ou Hrabal. Dans cette édition 2009, qui vient de se terminer, la capitale tchèque semble avoir inspiré les metteurs en scènes.
« Prague sous la pluie qui passe et qui sourit » ; c’est un titre éminemment poétique, pour une pièce qui était jouée au théâtre Le Célimène, par le comédien, metteur en scène et auteur Jean Bois. Pour autant, la pièce n’a finalement que peu de lien avec la capitale de la Bohême. Autre joli titre : « la Pleurante des rues de Prague ». Il s’agit d’un roman de Sylvie Germain, adapté et joué par Claire Ruppli:
« La Pleurante des rues de Prague est un roman qui a été écrit par Sylvie Germain, sous forme de chronique, d’apparition. Chaque chapitre nous emmène dans un quartier différent de Prague. Cette Pleurante est une géante et elle se balade dans les rues de Prague et on ne sait pas où elle va apparaître et comment. On ne sait pas quel visage elle a, ou si elle n’a pas de visage. Petit à petit dans l’histoire, on apprend qui elle est. Elle est plurielle, elle boîte entre le visible et l’invisible, entre les vivants et les morts. Elle est la mémoire de la ville. A chaque fois qu’elle passe, soit elle berce la ville, soit elle ramène la mémoire, par exemple celle de Bruno Schulz. A un moment, elle évoque Bruno Schulz en passant dans un quartier de Prague alors que celui-ci a vécu à Drohobycz, pas du tout à Prague. Elle fait appel à d’autres mémoires, à toutes ces mémoires, à quelqu’un qui avait écrit aussi sur sa ville. Elle ramène aussi les enfants de Terezin. Il y a un moment où un enfant lit un poème et on sait que cet enfant a été exterminé à Terezin. Cette pleurante n’est pas pleureuse. Elle ne porte pas du pathos et des larmes mais au contraire elle passe, elle est comme une caresse. Elle prend les larmes et les emmène ailleurs, ou elle vient là pour nous faire reprendre conscience que nous devons profiter du présent mais que la mémoire est elle aussi importante. »
Vous avez fait vous-même l’adaptation de ce texte ? Pourquoi avez-vous choisi ce texte et qu’est-ce qui vous a touché dans ce texte ?
« On m’avait offert un livre de Sylvie Germain qui s’appelle ‘Imensité’ et c’était la première fois que ça m’arrivait avec un livre mais en le lisant, ça m’a ouvert la poitrine, ça m’a donné comme un souffle organique. Et j’ai donc voulu lire tous ses romans. J’en ai lu pas mal et je suis tombée un jour sur cette pleurante des rues de Prague que j’ai trouvée magnifique. Il y a vraiment une langue qui est de l’ordre du souffle, aussi lyrique. Et ça parle de la présence au monde. Et je pense qu’au théâtre, on fait revivre nos fantômes, on est entre le visible et l’invisible, on est entre nos vivants et nos morts. Ça parle de la présence au monde, de l’immatérialité et comment l’amener sur la scène. Comment aussi transcender les larmes sur la scène car on n’est pas là pour pleurer mais pour porter les larmes des spectateurs, ou leurs émotions en tout cas, que ce soit des rires ou des larmes. »
Sylvie Germain était en Avignon le 17 juillet dernier. Elle est venue voir votre spectacle. Elle a vécu à Prague et on sent que cette Pleurante des rues de Prague évoque son rapport avec cette ville. Qu’est-ce que vous avez échangé avec elle à ce sujet ?
« Elle a vécu 7 ans à Prague et dit qu’on ne peut écrire sur une ville que si on y a vécu. Elle s’en est imprégnée. Et c’est une chose qui lui est arrivée. Elle me disait qu’elle s’était mise à écrire ce texte au moment où cette femme qu’elle a vue dans Prague, cette femme ou cette muse de l’écriture – parce que ça parle aussi de l’inconscient, ça parle du fait qu’on a tous un peu nos fantômes, on a des gens qu’on croise et recroise quand on vit dans une ville longtemps qui sont aussi des anonymes – mais une fois que cette femme a disparu pour elle, elle s’est mise à écrire pour la faire revivre. Et je trouve cela bien parce que par rapport à notre relation, au moment où le livre est écrit et fermé, je m’en empare en tant que comédienne, pour la faire revivre, chaque jour. »
Claire Ruppli a déjà donné plusieurs représentations de la Pleurante au Centre tchèque de Paris. Elle espère pouvoir la jouer un jour en République tchèque.