La « promoce » ou comment marquer la fin des études supérieures tchèques… en latin dans le texte
En Tchéquie, lorsque les étudiants terminent leurs études, pas de lancer de mortiers comme dans les films américains ! Mais la cérémonie de remise des diplômes n’en est pas moins riche en symboles, et imposante. Qu’on y voie un rite de passage émouvant ou une mise en scène un peu fastidieuse, comment cette cérémonie se déroule-t-elle aujourd’hui à l’Université Charles de Prague, qui a fêté ce 7 avril 2023 son 675e anniversaire ?
Vous avez peut-être déjà croisé, aux environs du Théâtre des Etats et du Carolinum à Prague, des jeunes adultes en costume-cravate et autres tenues formelles, portant un tube de couleur rouge ou bleue. Si vous vous êtes demandé pourquoi eux et leurs familles étaient si endimanchés, sachez qu’il s’agissait d’étudiants de l’Université Charles fraîchement diplômés, qui venaient d’assister à leur « promoce », la cérémonie de remise des diplômes. Un événement peu commun en France, où l’étudiant récupère en général son diplôme au secrétariat de l’université ou se le fait envoyer – souvent à ses frais ! – par la poste. Certes, on a pu voir ces dernières années des établissements d’enseignement supérieur français organiser de telles cérémonies, mais ce sont des cas isolés – et, pour la plupart, des écoles plutôt prestigieuses. En France, il ne s’agit néanmoins pas tant d’une tradition que d’un emprunt au système universitaire anglo-saxon.
Une tradition, pas une mode
En République tchèque, en revanche, les cérémonies de remise des diplômes universitaires sont bel et bien une tradition séculaire, car elles ont été initiées dès la fondation de la toute première université en terres tchèques et en Europe centrale – l’Université Charles, en 1348 – et sont aujourd’hui encore organisées par toutes les universités qui ont été fondées par la suite. Preuve du lien avec cette tradition, le terme tchèque utilisé pour la désigner, « promoce », trouve ses racines dans le latin : « promotio », du verbe « promoveo » (« pousser en avant, faire avancer » ou, au sens figuré, « élever à un grade supérieur », qui a en français donné le verbe « promouvoir ».
Si l’organisation de cette cérémonie a un peu évolué au cours des siècles, le protocole actuel garde une forme et un fond tout à fait traditionnels. Outre les jeunes diplômés, qui jouent le rôle principal, et leurs proches, qui sont donc spectateurs, la cérémonie de remise des diplômes implique obligatoirement la présence de plusieurs représentants universitaires. Archiviste à l’Université Charles et maîtresse de conférences à la faculté des lettres, Milada Sekyrková revient sur l’entrée des acteurs :
« Le groupe des étudiants diplômés fait son entrée en rang deux par deux, et avance jusqu’à la partie de la salle où a lieu la cérémonie. Là, les étudiants s’écartent mais restent debout. A ce moment, c’est au groupe des représentants de l’université de faire son entrée, mené par le bedeau portant le sceptre, suivi du ‘promotor’ qui porte les différents discours prononcés pendant la cérémonie. Le ‘promotor’ est le maître de cérémonie : il invite les différents représentants et étudiants à prendre la parole au moment voulu. Puis viennent les représentants du corps enseignant, et derrière eux, le doyen ou le vice-doyen, qui représente la faculté. Et la dernière personne à entrer est le recteur ou vice-recteur : il représente l’université et donne son accord à la remise des diplômes. »
L’Université Charles de Prague utilise actuellement deux lieux différents pour les « promoce » : les cérémonies de remise des diplômes de licence sont organisées au centre de conférences Profesní dům, un ancien bâtiment jésuite situé dans le quartier du Petit Côté, et qui dépend aujourd’hui de la faculté de mathématiques et de sciences physiques. En revanche, celles de remise des diplômes de master et de doctorat ont lieu au siège historique de l’Université Charles, dans le bâtiment du Carolinum, dans la Vieille-Ville. Appelé Velká aula, l’amphithéâtre dans lequel se déroulent les cérémonies est un lieu empreint d’histoire – ancienne et contemporaine, comme le décrit Milada Sekyrková :
« La Velká aula est un lieu central pour l’Université Charles. Cet amphithéâtre a été rénové à plusieurs reprises. Sa décoration actuelle est cependant traditionnelle, et elle évoque l’histoire et les traditions de l’université : le mur central est orné d’une immense tapisserie représentant Charles IV agenouillé et remettant l’acte fondateur de l’université à saint Venceslas, auquel il demande protection. On peut également voir sur cette tapisserie les symboles des quatre facultés d’origine : celle de théologie, de droit, de médecine et des lettres, par ordre hiérarchique. On y remarque par ailleurs la lettre K, symbole de l’Université Charles [pour Karel, ndlr]. »
Charles IV et Jan Palach
« Dans la salle, il y a également une statue de Charles IV ainsi que plusieurs drapeaux : les drapeaux de la République tchèque, de la ville de Prague et de l’Union européenne. L’un des socles de drapeaux est vide, rappelant le sacrifice de Jan Palach : autrefois, c’est le drapeau tchécoslovaque qui s’y trouvait, mais en 1969, il a été utilisé pour couvrir le cercueil de Jan Palach, et en sa mémoire, le socle est laissé vide. »
Le protocole de la cérémonie des diplômes est parfaitement millimétré, comme l’explique encore Milada Sekyrková :
« La cérémonie est régie par un protocole bien précis. Une fois que les étudiants, les représentants de l’université et les invités sont tous à leur place, l’hymne national est joué. Puis le doyen ou le vice-doyen de la faculté prononce le discours d’ouverture et présente les diplômés en détaillant leurs noms, prénoms et lieu de naissance ainsi que la filière étudiée. Le cas échéant, il précise lesquels des étudiants ont obtenu leur diplôme avec mention. Ensuite, le recteur donne son accord à la cérémonie de remise des diplômes. Puis le ‘promotor‘ prononce le serment des diplômes en latin. Le bedeau se place devant les étudiants qui, un par un, s’avancent et prononcent sur le sceptre le serment ‘Spondeo ac polliceor’, ce qui signifie ‘Je promets et je m’engage’. Le latin est la langue de la tradition, car à l’Université Charles, elle a été la langue de l’enseignement du Moyen Age jusqu’au XVIIIe siècle, avant d’être remplacée par l’allemand. »
« Je promets et je m’engage »
« Ensuite, le ‘promotor’ remet à chacun des étudiants son diplôme, un par un, dans l’ordre dans lequel ils ont été présentés plus tôt. Les diplômes sont présentés dans des tubes rouges pour les étudiants qui ont obtenu une mention, dans des tubes bleus pour les autres. Puis vient le remerciement des diplômés : un étudiant diplômé – avec mention, en général – s’avance jusqu’au pupitre prévu à cet effet et adresse des remerciements à l’université, aux parents et aux amis pour le soutien apporté pendant leurs études. Puis l’orgue joue une musique médiévale, et tous les acteurs repartent dans un ordre précis. »
Un cérémonial réglé comme du papier à musique, plutôt intimidant pour les étudiants, d’autant que la seule et unique répétition générale a lieu… le matin du jour J : attention, donc, aux pieds pris dans le tapis et autres faux pas ! Le moment où ils doivent prononcer le serment en latin, en particulier, donne des sueurs froides à bon nombre de diplômés – c’est qu’avec le trac, on peut facilement oublier les trois mots Spondeo ac polliceor. Et même si le protocole est bien huilé, on n’est jamais à l’abri d’un oubli : la rédaction française de Radio Prague International, qui a pu assister à une cérémonie à l’automne 2022, sait de source sûre qu’au moins un des tubes de diplômes cérémonieusement remis aux étudiants ne contenait en réalité… que du vent ! Heureusement, la cérémonie est suffisamment longue : 90 minutes ont suffi pour réparer en coulisses cette petite boulette – et l’étudiant concerné a pu quitter le Carolinum avec son titre officiel dans le tube rouge qui lui revenait !
Précisons toutefois qu’en République tchèque, la cérémonie de remise des diplômes n’a pas valeur juridique : qu’il soit licence, master ou doctorat, le titre universitaire est obtenu par la réussite d’examens qui ont eu lieu en général plusieurs mois avant l’événement. Celui-ci a donc essentiellement valeur symbolique : c’est un rite de passage qui marque des adieux solennels aux diplômés. Et c’est donc un moment fort en émotion, autant – voire plus – pour la famille que pour les principaux concernés.
« Un côté presque religieux »
Diplômé de la promotion 2022 du master en relations internationales spécialisation Europe centrale de l’Université Charles, l’ancien collaborateur de Radio Prague International Paul-Henri Perrain revient sur son ressenti lors de ce rite de passage :
« C’était une cérémonie très solennelle… En quelque sorte, on a l’impression d’être des artistes qui attendent en coulisses le début de la représentation. Sauf qu’à la différence des comédiens, on entre non pas au son des trois coups, mais au son de l’orgue ! En plus de ce côté très solennel, il y a un côté presque religieux – ce qui est assez paradoxal pour la République tchèque : l’orgue, le doyen de la faculté qui domine l’audience, les habits traditionnels, la procession qui va presque jusqu’à l’autel… C’est assez impressionnant ! Vous êtes dominé d’un côté par la statue de Charles IV, et en face de vous, il y a la figure de saint Venceslas… J’ai vraiment apprécié ce moment. Et, bien sûr, j’ai éprouvé beaucoup de fierté pour tout le parcours que j’ai effectué pendant ces deux années, et aussi beaucoup de reconnaissance envers la République tchèque, qui m’a donné la possibilité d’étudier, de découvrir sa culture et sa langue, de réaliser des stages et même de travailler. Ce sont vraiment de bons souvenirs, et cette cérémonie venait couronner ces deux années de master et cette expérience en République tchèque. »
Gaudeamus igitur
Néanmoins, si notre ancien collègue avait fait ses études de master un siècle plus tôt, il n’aurait pas pu marquer ainsi publiquement la fin de ses études, ni se réjouir avec ses pairs d’être encore jeune, comme l’expriment les paroles de l’hymne des étudiants Gaudeamus igitur, également entendu pendant la cérémonie. En effet, jusqu’aux années 1950, l’apparat était réservé aux doctorants, comme l’explique Milada Sekyrková :
« Cette tradition de cérémonie de remise des diplômes existe en substance depuis la fondation de l’Université Charles. Au Moyen Age, ces adieux étaient un événement public ; néanmoins, pendant longtemps, ces cérémonies qui étaient individuelles n’étaient organisées que pour les doctorants. Pour ce qui est des cérémonies de diplômes de licence et de master, elles n’ont commencé que dans les années 1950, sans doute en raison du nombre plus important de personnes diplômées. C’est alors devenu un rite de passage marquant la fin de la période active des études, mais au cours de la cérémonie, on exprimait toutefois le souhait que le lien entre la personne diplômée et l’université ne soit pas rompu. »
« De nos jours, les étudiants diplômés ont la possibilité de garder un lien avec l’université au moyen d’une association appelée Alumni, qui informe les anciens étudiants des événements organisés pour leur permettre de perpétuer la communauté estudiantine. Et puis, depuis quelques années, sont organisées ce que l’on appelle des ‘zlaté promoce’ (‘cérémonies d’or’) : cinquante ans après sa cérémonie de remise des diplômes, chaque ancien étudiant est invité à une cérémonie qui marque l’anniversaire de la fin de ses études, un demi-siècle plus tôt. »
On ne badine pas avec l’étiquette
A la différence des « graduations » que nous connaissons des films britanniques ou nord-américains, en République tchèque, les étudiants ne portent pas de toges. N’attendez pas non plus de lancer de mortiers libérateur à la fin de la cérémonie ! En revanche, la tenue formelle est de rigueur. Et les représentants de l’université, pour leur part, ne sauraient déroger au code vestimentaire à la riche symbolique. Milada Sekyrková :
« Les toges actuellement utilisées par l’université ont été créées dans les années 1920, après la fondation de la République tchécoslovaque, mais en s’inspirant de toges plus anciennes, remontant au XVIe siècle. Ces toges longues sont de couleur noire pour celles portées par les membres de l’équipe pédagogique, qui portent également un béret noir. Les doyens portent des toges de couleur différente en fonction de la faculté qu’ils représentent. Actuellement, l’Université Charles compte 17 facultés, et chacune des toges de doyen diffère légèrement des autres. Et elles sont également complétées d’un béret spécial. Et le recteur porte également une toge spéciale, rouge avec un col d’hermine, et un béret rouge. »
« Chacune des facultés a pour symbole non seulement un sceptre – qui était à l’origine fait d’un métal précieux, et qui porte le symbole de la faculté à son sommet – mais également une médaille que le doyen ou son représentant porte autour du cou pendant la cérémonie. Par ailleurs, des bagues font également partie des symboles précieux de l’université Charles : elles sont conservées au coffre. »
Une autre, une autre !
Pour les représentants de l’université et des facultés, qui assistent à ce genre de cérémonies plusieurs fois par semestre, le tralala de la remise des diplômes est une routine dont certains confessent hors micro la trouver un peu barbante, la qualifiant de « comédie jouée pour les parents ». La comparaison avec le théâtre n’est d’ailleurs pas totalement absurde, puisqu’après la cérémonie à laquelle a pu assister la rédaction française de Radio Prague International, même la plus jeune des spectatrices avait trouvé, du haut de ses deux ans, une analogie. Paul-Henri Perrain :
« Ma nièce est âgée de deux ans, et nous avions beaucoup d’appréhension sur sa capacité à rester calme pendant l’intégralité de la cérémonie. Finalement, cela a été une bonne surprise : elle a été très calme, et surtout très captivée. Au point qu’elle nous a ensuite dit qu’elle souhaitait absolument ‘retourner au spectacle de l’oncle Paul’ !!! »
Dommage pour elle : pour clore cet événement spectaculaire, la petite nièce a dû se satisfaire d’un déjeuner en famille au Café Impérial. Car pour la « zlatá promoce », il faudra attendre cinquante ans ; et d’ici là, pas de reprise prévue – à moins que « l’oncle Paul » ne se décide pour un doctorat à l’Université Charles ?