La responsabilité du sculpteur sur bois face à l’arbre centenaire
Né à Prostějov, le sculpteur sur bois Václav Lemon vit depuis plusieurs années à Olomouc en Moravie. Ces œuvres, pour la plupart des statues de femmes, se retrouvent partout en République tchèque. Il prépare actuellement sa première exposition à l’étranger, à l’ambassade tchèque à Berlin, pour le début de l'année 2015. Au moment de notre rencontre, à l'automne dernier, Noël était encore loin, mais nous avons tout de même appris que les crèches ne sont pas son motif préféré.
Au moment de notre visite, le sculpteur sur bois travaille sur un lit fait à partir d’un frêne. Sur le front du lit, il y a les visages de deux amoureux en relief entourés d’instruments musicaux. Mais à qui est destiné ce lit ?
« Pour moi et ma chérie. C’est nous deux. Elle joue du violon et moi je joue de la guitare. J’aime beaucoup les motifs musicaux, ce sont les symboles de l’harmonie. C’est une surprise que je lui prépare. »
Václav Lemon n’aime pas particulièrement parler de lui, mais après un second verre de burčák, jeune vin bourru traditionnel, il raconte :
« Cette année, cela fait 21 ans, ce qui est incroyable. J’ai 33 ans. A l’école primaire, nous avions un professeur qui dirigeait des ateliers où on faisait des cuillères, des bols et ce genre de choses. Il s’est avéré qu’il connaissait le père d’un de mes amis et il voulait lui apprendre à sculpter sur le bois. Cet ami ne voulait pas y aller seul et donc il m’a invité. Lui, il s’ennuyait. En revanche, moi, ça m’a donné envie de continuer et à la fin du collège, ils ont ouvert une école d’apprentissage pour les sculpteurs sur bois et cela a été un choix très clair pour moi. »En appréciant ses sculptures faites avec de la précision, de l’attention au détail et avec des contours soignés, peu de ses clients imaginent qu’il a essayé tout type d’emploi avant de revenir à son métier. Pendant sept ans, il travaillait comme vendeur dans un magasin et comme livreur de surgelés.
« Par hasard, toutes ces entreprises ont fait faillite, mais pas à cause de moi quand même. Cela m’a permis de me rendre compte que ce n’est pas un travail que je veux faire. Donc, je suis revenu à mon métier. Même si parfois c’est un peu sombre petit ici, au moins c’est à moi. J’aime beaucoup cet endroit, l’atmosphère y est divine. Le soir, quand ils déplacent les wagons, les vitres de mon atelier tremblent. Une fois, j’ai travaillé ici pendant toute la nuit. Je suis venu le matin et j’ai fini le lendemain à six heures du matin. J’aime beaucoup travailler le soir quand la ville est calme. Mon ancien atelier était situé à Prostějov dans un ensemble industriel qui a été construit au début du XXe siècle. Dans la nuit, j’ouvrais la fenêtre pour voir les bâtiments de style néo-gothique. C’était calme. Le romantisme du travail. »Interrogé sur ses modèles, sur les artistes qu’il respecte, Václav Lemon devient bavard. Il parle de Jiří Netík de Slavonice, un sculpteur dont le style est caractéristique par sa précision. Il apprécie également la technique de Jindřich Jurča, des artistes qui jouissent d'une certaine renommée en Moravie.
« Une fois, Jindřich m’a regardé travailler et il m’a dit de ne pas tout dessiner avec un crayon. Grâce à lui, j’ai compris que je pouvais dessiner directement avec le poinçon. »
Quand on commence à parler de son œuvre, sa modestie revient.
« Beaucoup de gens ont appris leur métier à la sueur de leur front. Je suis l’un d’eux. Parfois, le travail me fait extrêmement souffrir. Je dois faire tellement d’effort pour arriver à mes fins quand d’autres y parviennent comme si de rien n’était. »
C’est en feuilletant les albums de photos de ses œuvres qu’il indique où se trouvent actuellement ses statues : Brno, Prague, Vimperk, Frymburk, Turnov, Olomouc, Stará ves nad Ondřejnicí, un peu partout donc.
« Voici quelques photos des œuvres les plus vieilles. C’est une de mes vieilles sculptures, elle s’appelle L’Humilité. Elle est en possession de quelqu’un de Brno. C’est de la préhistoire. »Pas évident de gagner sa vie en tant que sculpteur sur bois. Cela commence par le souci de se procurer du matériel. Récemment, il a reçu un coup de fil d’une personne qui lui a proposé de venir abattre un arbre de son jardin et en échange de pouvoir le garder pour le bois. Sinon, il est toujours au guet. Quand il y a des travaux d’aménagement urbain, des arbres sont parfois abattus et Václav Lemon arrive souvent à épargner quelques troncs pour les transformer en sculptures.
« Le bois que j’utilise a poussé pendant des centaines d’années. Ce que je sculpte à partir tronc doit être digne de son histoire. Quand je suis face à un tronc qui a une taille de 90 cm, je vois toutes les années de son existence et je sens une énorme responsabilité d’en faire quelque chose de bien. C’est une responsabilité plus grande que de redistribuer des millions. »
Václav Lemon souligne qu’il est aussi important de pouvoir sculpter les thèmes qui lui sont proches.
« Pour réussir quelque chose, il faut avoir des objectifs élevés qu’on peut abaisser si on ne réussit pas, mais il faut avoir de la persévérance. Aujourd’hui, j’ai passé six heures à faire un mouton pour des crèches de Noël. C’est trop long. Je cherchais sa forme et cela a pris du temps. Quand je vais en faire une trentième ou une soixantième, cela sera différent, mais je n’aime pas faire des crèches. Je n’aime pas en général faire des commandes de type commercial. Un couple qui voulait une statue pour son jardin ne cessait de me montrer des images de sirènes. Je peux faire ça. Je savais que je pouvais. Mais pourquoi faire ? Il s’agit de ma carte de visite, je ne veux pas que des gens viennent me demander des commandes de ce type. Je veux faire ce qui me plait. »Ce qui lui plaît comme modèle, ce sont surtout les femmes. En revanche, d’autres thèmes qui sont souvent demandés par des acheteurs potentiels ne s'accordent pas autant avec les aspirations artistiques de Václav Lemon. C'est notamment le cas des thèmes religieux.
« Au départ, on m’a commandé une madone à l’enfant et la même personne voulait aussi un Christ. J’ai utilisé un morceau de bois pour faire une statue de 1,70 m de hauteur et elle se disait que ça serait trop cher pour elle. Et donc j’ai fait une autre statue, cette fois-ci plus petite, mais sans visage. C’est la personne elle-même qui m’a dit que nous ne savons pas quel visage avait le Christ. J’ai repris ce motif de sculpture sans visage pour mon autre œuvre et je l’ai appelée 'Ressemblant au Christ'. »
La bouteille de burčák terminée, nous avons également parlé de l’avenir. Le projet qui attend Václav Lemon au printemps est une exposition à l’ambassade de République tchèque à Berlin. Cet événement participe des commémorations annuelles de la Shoah, en raison de la proximité d'un ancien camp de concentration non loin de la capitale allemande.« Ce sera une exposition thématique au sujet de la Shoah et de la Deuxième Guerre mondiale. C’est un énorme défi pour moi. Je vais uniquement faire des nouvelles statues. Je vais utiliser du bois d’orme et du bois d’if. C’est un choix très symbolique car au cours du XXe siècle, les ormes ont été frappés par une maladie et ont presque tous disparu. Ce sont des arbres très rares. L’if est un arbre venimeux. Je vais sculpter à partir de là des personnes touchées, empoisonnées, par ces horreurs. A cette exposition, il y aura surtout des personnes, surtout des gens. »Quelques vélos traînent dans l’atelier, rempli de morceaux de bois de différentes tailles et de machines à les couper et à les tailler. Il y aussi une guitare. Quand il s'en saisit et commence à jouer, Václav remarque que son chanteur préféré, le randonneur « tramp » Miki Ryvola indiquait toujours que le rythme de ses chansons était celui du train, un tempo opportun à une telle proximité de la voie ferrée.