A Třešť, les familles exposent leurs crèches chez elles
Bien avant que le sapin ne devienne le grand symbole de Noël, les gens suivaient une autre tradition populaire, celle de la fabrication de crèches. Bien que désormais nettement moins répandue qu’elle ne l’était auparavant, cette tradition de la crèche, dont on attribue l’invention au XIIIe siècle à saint François d’Assise, reste bien vivante dans certains endroits de République tchèque. C’est le cas par exemple à Třešť. Surnommé « la ville des crèches » et situé dans la région de Vysočina (Plateau tchéco-morave), dans le centre du pays, Třešť s’est fait une spécialité, depuis plus de 200 ans, de la fabrication de crèches en bois.
« Cette tradition est liée aux réformes de l’empereur Joseph II qui a fait retirer les crèches des églises à la fin du XVIIIe siècle. Ensuite, de nombreux peintres et sculpteurs sur bois ont cherché d’autres applications, et c’est ainsi qu’ils ont commencé à offrir des crèches aux familles. Les premières traces de la fabrication de crèches à Třešť remontent au début du XIXe siècle. Même si Třešť est aujourd’hui connu pour ses crèches en bois, les premières crèches étaient fabriquées en papier par les drapiers qui les vendaient sur les marchés. Influencées par la tradition de Třebíč, une ville voisine, les crèches en papier ont peu à peu été remplacées par les fameuses crèches en bois. Celles-ci sont inspirées de Jihlava, mais aussi du Tyrol ou des figurines traditionnelles de la ville de Králíky. »
Si, au XIXe siècle, la tradition des crèches était beaucoup plus répandue à Jihlava et à Třebíč, deux villes situées elles aussi sur le Plateau tchéco-morave, qu’à Třešť, aujourd’hui elle a complètement disparu. Seules quelques anciennes crèches peuvent encore être admirées dans les musées. A Třešť, en revanche, la situation est différente, et c’est précisément ce qui rend la cité unique en son genre. Les sculpteurs sur bois n’ont jamais cessé de donner naissance à de nouvelles crèches. Et celles-ci grandissant, l’univers du mystère de Noël évolue constamment.Et dans cette petite ville de 6 000 habitants, on tient à garder la tradition bien vivante. De nombreuses familles possèdent leur propre crèche, fruit du travail d’un de leurs membres, mais aussi parfois achetée. Les visiteurs sont les bienvenus. Ils peuvent alors écouter l’histoire de la crèche, comme celle de Marie Roháčková :
« Mon beau-père a acheté la base de la crèche en 1920. Mais son grand-père possédait déjà une crèche, dont il partageait les différentes pièces entre ses enfants. Mon mari recevait régulièrement des figurines pour Noël et son anniversaire. Et après notre mariage, nous en avons achetés aussi, la crèche a ainsi continué à grandir. Dans les années 1970, nous avons commencé à sculpter nos propres figurines que nous avons ajoutées progressivement à la crèche. Nous avons même fait une crèche complète. Il est difficile de dire quelle est la taille de notre crèche parce qu’elle est variable. Dans un premier temps, elle devait mesurer cinq mètres à peu près, mais maintenant, faute de place, elle ne fait plus qu’un peu moins de trois mètres. » Parmi la trentaine de crèches actuellement installées chez les habitants de Třešť, quelques-unes sont mécaniques, comme celles de Josef Bílý ou Mojmír Šťastný, et ce sont elles qui attirent le plus grand nombre de visiteurs. Avec leurs anges et oiseaux volants, leurs étoiles qui scintillent dans le ciel ou la cloche qui sonne, elles aident à créer une atmosphère particulière.A partir du 26 décembre, un jour après que l’on ait placé l’Enfant Jésus à la crèche, tout curieux peut frapper à la porte de l’une des maisons qui font partie du « Chemin de Bethléem », comme s’appelle l’ensemble des familles qui présentent leurs crèches au public. Marie Roháčková se souvient de cette longue tradition des visites chez les habitants :
« Les amis et les voisins viennent voir les crèches familiales depuis toujours. Après la guerre, les visites se sont étendues au public et, maintenant, nous accueillons des cars en provenance de toute la République tchèque, et même de l’étranger. Il arrive que nous recevions cinq ou six cars la même journée. Dans le livre d’or installé par nos enfants à côté de la crèche, j’ai compté plus que 2 000 signatures, ce qui signifie que plus de 2 000 personnes passent dans votre maison ce mois-là. »
La tradition se transmet de père en fils et le nombre de crèches installées chaque année dans les maisons reste plus ou moins stable. Marie Roháčková affirme que même si le nombre de sculpteurs se réduit désormais à une dizaine, la tradition n’est pas perdue pour autant. Selon elle, si la création de crèches n’intéresse pas nécessairement les jeunes générations, celles-ci y reviennent plus tard.Depuis 1997, les propriétaires de crèches sont regroupés au sein de l’Association des amis des crèches. Forte de ses 72 membres, l’association prépare des expositions, des cours de sculpture sur bois pour les enfants et donne naissance à une grande crèche collective. Chaque été, l’association organise également un événement appelé « Dřevořezání » au cours duquel des sculpteurs sur bois de toute la République tchèque et même de l’étranger sont réunis. Les figurines créées lors de ces trois jours sont installées dans la grande crèche.
Les sculpteurs, qui se rencontrent régulièrement, créent ensemble pour trouver d’autres sources d’inspiration et échangent entre eux leurs figurines pour mettre dans leurs crèches quelque chose de nouveau et d’original. Milina Matulová raconte la suite de l’histoire de crèches à Třešť et précise ce que les visiteurs peuvent découvrir à leur arrivée dans la ville :« Auparavant, lorsque les maisons était petites, les crèches étaient placées au-dessus du lit ou dans un coin de la cuisine. Mais leur taille moyenne est de deux à trois mètres et elles contiennent entre cent et deux cents figurines. La crèche la plus grande de Třešť est longue de 30 mètres et contient près de 500 figurines. Une vingtaine de crèches sont accessibles au public au domicile de leurs propriétaires à partir du 26 décembre jusqu’à la Chandeleur. Des dizaines d’autres crèches familiales ne sont pas visitables. Puis, dans notre musée, nous avons quatre grandes crèches et deux miniatures. Enfin, l’Association des amis des crèches présente une exposition permanente où les visiteurs peuvent voir d’anciennes crèches en papier, ainsi que des crèches en bois, et notamment la plus grande fabriquée lors de ‘Dřevořezání’. »
Cette possibilité de visiter les propriétaires des crèches chez eux est unique en République tchèque. Mais il ne s’agit pas là de la seule particularité des crèches de Třešť. Milina Matulová précise que leur construction possède également des traits caractéristiques qui les font distinguer des autres crèches :« La différence repose essentiellement dans l’utilisation de matériaux naturels. La crèche et le paysage sont construits en bois à l’aide de souches et de rameaux et sont décorés avec de la mousse et des fleurs séchées. Le paysage est construit en terrasse devant un fond peint, comme un diorama. La construction de la ville, elle aussi, est singulière. Des ruines avec la crèche au milieu sont entourées d’un côté par une ville orientale et de l’autre côté par des burons et des fermes évoquant le paysage du Plateau tchéco-morave. »
Les familles commencent à penser à l’installation des crèches en septembre ou octobre, période durant laquelle ils doivent ramasser la mousse et cueillir les fleurs pour ensuite les laisser sécher. Compliqué, le montage nécessite beaucoup de temps. Il convient d’abord de construire une base en bois, de peindre le fond de la crèche et d’installer le paysage naturel. Ensuite sont installées les ruines de l’ancien palais de David avec les crèches dedans. Enfin, toute la famille y place les figurines, les anges et les différents bâtiments. Cette dernière étape peut prendre jusqu’à une semaine.Les figurines dans les crèches de Třešť sont de toutes sortes et évoquent souvent la vie quotidienne de la ville, voire du pays. Ainsi, les crèches mélangent traits orientaux et traditions populaires. L’imagination de leurs créateurs, qui ne savaient pas à quoi ressemblait la ville de Bethléem, considérée comme le lieu de la naissance de Jésus, son climat, ses animaux et ses plantes, est sans limites. C’est ainsi qu’on peut y voir des hommes et des femmes riches qui se baladent, des villageois qui travaillent dans les champs, des bergers avec leurs moutons, de nombreux animaux domestiques et exotiques ou aussi, par exemple, des mineurs. Milina Matulová en dit plus :
« La base, c’est-à-dire la Sainte Famille et les Rois mages, reste fidèle à la tradition. Inversement, les habits des villageois et les cadeaux qu’ils apportent au petit Jésus représentent la vie quotidienne de la ville. Nous pouvons voir cela pour la première fois dans la crèche de monsieur Stránský, qui est exposée au musée. Dans sa crèche, les figurines et les bâtiments ressemblent à ceux de la ville. C’est pourquoi y figurent le château ou la brasserie. Par la suite, les autres sculpteurs se sont également inspirés des habitants de la ville ou encore de personnages célèbres comme le président Masaryk. »
Les célèbres crèches de Třešť sont présentées également dans d’autres endroits de la République tchèque, y compris à Prague où une exposition dans la tour Jindřišská constitue depuis quelques années une sorte de prolongement du « Chemin de Bethléem ».
Pour autant, c’est bien une visite de « la ville des crèches » qui permet de vivre l’atmosphère particulière de Noël dans des familles restées fidèles à la tradition. Appréciées des petits comme des grands, les crèches de Třešť permettent d’admirer des paysages merveilleux avec des figurines tout aussi bien récentes que vieilles de plusieurs siècles. Les crèches invitent donc à découvrir leur histoire à une période de l’année où l’on retrouve le sens de certaines valeurs comme celles de la famille et de la tradition.