La seconde vie des jouets de Libuše Niklová
Le 9 juin s’ouvrira à Paris l’exposition intitulée « Plastique ludique » qui réunit la majorité des oeuvres de la designer tchèque Libuše Niklová. L’exposition parisienne est inspirée d’une monographie de Libuše Niklová parue en 2010 aux éditions Arbor vitae. La monographie a obtenu le prix du « Plus beau livre de l’année » dans la catégorie des livres d’art.
« Libuše Niklová n’était pas très connue jusqu’à l’année dernière lorsque nous avons fait la première exposition de cette designer tchèque à Prague et à Zlín. C’était une créatrice, j’ose dire, phénoménale, dans le domaine des jouets en plastique. C’était une artiste qui était très douée pour inventer les nouvelles façons de créer les jouets. Elle a suivi les nouvelles technologies surtout dans l’usine Fatra de la ville de Napajedla. »
Le livre de Tereza Bruthansová retrace les différentes étapes de la vie et de l’oeuvre de l’artiste, son enfance et sa jeunesse dans la ville de Zlín en Moravie, ses études et ses activités professionnelles dans les entreprises Gumotex Břeclav et Fatra Napajedla. C’est pour ces usines de matières plastiques que Libuše Niklová a conçu la majorité des jouets qui allaient s’imposer dans les jeux des enfants tchèques. Tereza Bruthansová remarque que son œuvre fait encore aujourd’hui partie du paysage culturel tchèque :« En Tchéquie elle est connue aujourd’hui surtout grâce à notre exposition et à mon livre édité en 2010. Elle n’était pas très connue jusqu’à l’année dernière, mais ses jouets, ses créations étaient très connus. Je pense qu’elle a touché plusieurs générations d’enfants. moi-même, j’ai joué avec son buffle gonflable ou avec son chat en accordéon. Je pense que beaucoup de gens aujourd’hui gardent de beaux souvenirs de leur enfance car ils ont joué avec ces objets. »
L’ambition de Libuše Niklová était de donner aux enfants des objets simples qui contribueraient à développer leur fantaisie. Tereza Bruthansová cite le philosophe Roland Barthes. Le penseur critiquait dans son livre Mythologies paru en 1957 les jouets de l’époque qui copiaient fidèlement la réalité et ne stimulaient pas la créativité de l’enfant :
« … devant cet univers d'objets fidèles et compliqués, l'enfant ne peut se constituer qu'en propriétaire, en usager, jamais en créateur ; il n'invente pas le monde, il l'utilise : on lui prépare des gestes sans aventure, sans étonnement et sans joie. On fait de lui un petit propriétaire pantouflard qui n'a même pas à inventer les ressorts de la causalité adulte ; on les lui fournit tout prêts : il n'a qu'à se servir, on ne lui donne jamais rien à parcourir. »
Nous ne savons pas si Libuše Niklová connaissait cette opinion mais elle démontrait par toute son oeuvre qu’elle était du même avis à une exception près. Roland Barthes estime que le matériau le mieux approprié à la fabrication des jouets est le bois et condamne dans son essai les jouets en métal et en plastique. En revanche, Libuše Niklová savait que l’évolution ne pouvait pas s’arrêter et se rendait compte que les matières plastiques seraient bientôt pratiquement indispensables pour la vie de l’homme. Elle concevait le plastique comme le matériau de l’avenir. Elle connaissait les besoins de l’enfance et elle testait les prototypes de ses jouets sur ses propres enfants. Son fils Petr Nikl, lui-même plasticien, se souvient :« Je le prenais comme une chose tout à fait normale et évidente. Les jouets sont apparus soudainement à la maison comme de petits êtres. Je n’ai pas assisté au processus de leur création parce que ce processus se déroulait dans une usine mystérieuse et lointaine quelque part dans la ville de Napajedla. Maman apportait souvent à la maison des prototypes de ces jouets. Et quand j’avais l’âge des enfants pour lesquels ces jouets étaient destinés, je fonctionnais comme un cobaye et maman testait sur moi comme je jouais avec tel ou tel jouet, si le jouet était facilement destructible, s’il était résistant à la pression et à la manipulation. Je me souviens surtout des jouets gonflables avec lesquels on pouvait jouer dans l’eau parce qu’ils faisaient partie de mes jeux de vacances sur un étang. Et c’était beau. »
Les jouets de Libuše Niklová ont donc marqué plusieurs générations d’enfants en Tchécoslovaquie et dans les pays où ils étaient exportés. Ils ont exercé leur pouvoir même sur certains adultes. Parmi ceux quoi ont subi cette influence il y a aussi la designer Zuzana Lednická, auteur de la présentation graphique de la monographie ayant obtenu le prix du Plus beau livre :« J’ai fait le design graphique du livre et le visuel de l’exposition et de tout le projet. C’est grâce à Tereza Bruthansová qui m’a invitée à travailler avec elle sur le livre sur Libuše Niklová que j’ai pu participer à ce projet. Je dois dire que c’était une chose essentielle pour moi. Je ne connaissais que superficiellement le travail de Libuše Niklová. Je ne me doutais pas que c’était une oeuvre d’une telle ampleur, qu’elle pourrait me donner tant d’inspiration et qu’elle me serait si proche. Elle utilisait des éléments graphiques très expressifs, des couleurs très expressives. Le travail sur ce livre a été donc un plaisir pour moi. Nous disposions de beaucoup de documents de grande qualité et je ne craignais que de gâcher ce travail. » La monographie répertorie toute une foule de jouets, chats, chiens, buffles, girafes, animaux et petits bateaux gonflables, clowns, personnages de conte de fées, qui ont fait le bonheur des enfants et qui démontrent que la simplicité et la fantaisie peuvent faire bon ménage. Selon Zuzana Lednická, même les enfants actuels ne sont pas insensibles à leur charme :« J’ai deux enfants, une fillette de trois ans et un fils de huit mois. On nous a fait don d’un buffle et d’une girafe en plastique et ma fille s’est tellement éprise du buffle et a tellement sauté dessus qu’elle a fini par le crever. Elle joue donc déjà avec les jouets de Libuše Niklová. »