La vérité de Jan Hus

Photo: Melantrich
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« …cherche la vérité, écoute la vérité, apprends la vérité, défends la vérité jusqu’à la mort, car la vérité te sauvera… » C’est par ce célèbre appel que s’ouvre le livre que son auteur Eva Kantůrková a intitulé tout simplement « Jan Hus ». A l’heure où nous commémorons le martyre de Jan Hus sur le bûcher à Constance, le 6 juillet 1415, c’est l’occasion de rouvrir ce livre dont l’auteur cherche à jeter un regard objectif sur ce réformateur de l’Eglise qui est devenu la conscience de son époque.

Un roman publié en samizdat

Photo: Melantrich
Eva Kantůrková commence à écrire son roman, qui est plutôt un livre d’histoire, dans les années 1980, à l’époque où son pays est occupé par l’Armée soviétique. Interdite de publication, l’auteur se lance pourtant dans la rédaction de cet ouvrage qui sortira d’abord en 1986 en samizdat puis, après la chute du régime communiste, à trois reprises aux éditions Melantrich (1991), Hynek (2000) et Ideál (2008). Elle se souvient encore des circonstances de sa décision de s’attaquer à cet immense thème historique :

« J’ai assisté à un séminaire privé, dans le cadre d’une espèce d’université clandestine organisée par des dissidents où l’on disait de telles énormités sur Hus que, revenue à la maison, je me suis mise à étudier les documents historiques, à lire des chroniques, la correspondance et tout ce qui était disponible sur l’œuvre et la vie de Hus. Je me suis rendue compte que c’était un grand thème qu’il fallait exploiter. Et je me suis mise à écrire. »

Eva Kantůrková,  photo: Michal Klajban,  CC BY-SA 3.0 Unported
Pour faire comprendre la vie et l’œuvre de Jan Hus, Eva Kantůrková replace sa personnalité dans le contexte de son époque au tournant des XIVe et XVe siècles. Le pays jadis prospère sous le règne de l’empereur Charles IV de Luxembourg connaît de sérieuses difficultés aggravées encore par la crise pontificale entrée dans les annales sous la dénomination du Grand schisme d’Occident. L’Eglise se trouve d’abord avec deux, puis trois papes rivalisant les uns avec les autres. Le Saint-Siège devient l’objet d’une âpre lutte politique à laquelle se mêlent presque tous les monarques européens. La vie et l’œuvre de Jan Hus sont donc entre autres aussi une sorte de réaction à cet effondrement des autorités suprêmes et à la crise du système féodal qui en résulte. Dans cette Europe où toutes les autorités vacillent, il poursuit passionnément la recherche d’une autorité spirituelle inébranlable. Eva Kantůrkova rappelle encore un autre aspect de la vie de cette époque pleine de tensions:

« Cette tension résidait dans l’attente de la fin du monde. Le trait millénariste qui était caractéristique pour cette période extrêmement tendue, prenait sa source dans le fait que récemment l’Europe avait été ravagée par la peste à laquelle avait succombé presque le quart de la population européenne. Cette situation existentielle, le fait que beaucoup de gens sont morts et qu’il y avait soudainement très peu de main-d’œuvre, cette situation qui a frappé pratiquement tous, a fait jaillir ce désir de vivre une vie très pure, la plus pure possible, pour se débarrasser des lourdeurs terrestres et pouvoir monter finalement au ciel. Tout cela, cette hérésie des masses inférieures, exerçait indubitablement une influence sur Hus, mais ce n’était pas décisif pour lui. »

Une vague d’espoir

Jan Hus au concile de Constance
Le livre s’ouvre par un des moments décisif du concile de l’Eglise catholique qui se tient à Constance entre 1414 et 1418 et dont l’objectif principal est de mettre fin au Grand schisme d’Occident. Le pape Jean XXIII renie sa promesse de renoncer à la tiare pour permettre à l’Eglise de sortir de la crise et s’enfuit de Constance. A ce moment Jan Hus venu dans cette ville pour défendre ses idées devant le concile, est emprisonné comme hérétique. En apprenant la fuite de celui qui l’a fait emprisonner, Jan Hus ressent une vague d’espoir. Il suppose logiquement que les ordres de l’antipape Jean XXIII seront annulés et qu’il sera peut-être libéré et entendu par le concile. Mais bientôt tous ses espoirs se révèlent vains. Ses idées restent inadmissibles pour l’ensemble des grands de l’Eglise qui persistent à le considérer comme hérétique. Pourtant, selon Eva Kantůrková, Hus ne cherchait pas la révolte mais une renaissance de l’Eglise catholique et le retour vers le Christ :

« Hus n’était pas du tout un agitateur, un trublion. C’était un homme réfléchi qui avait créé sa propre conception théologique. Cette conception était influencée par son époque mais en même temps elle était conçue pour résoudre les problèmes et les antagonismes de cette période. »

La vérité de Jan Hus

Jan Hus
Issu d’une famille simple, Jan Hus fait ses études à l’université de Prague. Sa carrière universitaire est rapide et brillante. En 1402 il devient recteur de l’Université et curé de la chapelle des Saints-Innocents, dite communément de Bethléem. Sa prédication en tchèque et sa parole juste attirent bientôt dans la chapelle une foule de fidèles et en font un centre de réveil national. La personnalité du prédicateur attire aussi l’attention du roi Venceslas IV et de la reine Sophie dont il deviendra le confesseur. Il sent que l’Eglise corrompue ne peut pas servir d’exemple au peuple, que le clergé vicieux n’a pas le droit d’exiger que les laïcs mènent une vie vertueuse. Influencé par John Wycliffe, théologien de l’université d’Oxford, Jan Hus prêche non seulement contre le trafic des biens spirituels, la simonie, mais il est logiquement du côté de Wycliffe aussi dans la querelle philosophique entre les nominalistes et les réalistes qui marque profondément le Moyen âge. Il prend position aussi contre le pape Jean XXIII qui promet les indulgences à ceux qui le soutiendront dans sa croisade contre Ladislas de Naples. Frappé d’excommunication, Hus quitte finalement Prague pour poursuivre son œuvre à la campagne.

Jan Hus au concile de Constance,  photo: Eva Hodíková / NK ČR
Lorsque l’Eglise convoque le concile de Constance en 1414, Hus accepte de s’y rendre pour y défendre ses idées. A Constance il se heurte cependant à un mur d’hostilité et d’incompréhension. Les prélats réunis au Concile refusent d’entendre ses arguments, le traitent comme un criminel et le jettent en prison. Ils lui demandent d’abjurer les idées qu’il sait justes, mais il ne peut pas le faire car en abjurant, il trahirait cette vérité qu’il défend depuis des années. En abjurant il sauverait sa vie mais il perdrait son âme. Il accepte donc la mort par les flammes. Le feu de son bûcher allumera l’incendie des guerres hussites qui ébranlera une grande partie de l’Europe et sera la première étape de la Réforme qui scindera l’Eglise occidentale en deux. Hus ne voulait cependant pas et ne préparait pas cette scission. Il cherchait au contraire à donner une nouvelle vie à l’Eglise et voulait raffermir son unité. Depuis le XVe siècle son bûcher fait partie de la mémoire collective des Tchèques comme un défi à la médiocrité et à la lâcheté. Eva Kantůrková conclue :

« L’historien František Palacký a créé pour définir l’héritage de Jan Hus la notion de ‘božnost (déité) ’, ce qui est le sens du contenu spirituel des actes, des idées et des comportements. Le premier président tchécoslovaque Masaryk a repris cette notion pour l’incorporer dans sa conception de l’humanisme et de la philosophie tchèque qui devrait être créée sur cette base. Moi, j’interprète cette notion comme notre rapport vis-à-vis de ce qui est parfait, vis-à-vis de la profondeur et de notre conscience des choses. Ce n’est pas un rapport vis-à-vis des biens matériels, de l’argent, de la réussite dans la vie, c’est une interrogation sur le genre de personnes que nous sommes et quel est notre monde spirituel. »