Jan Hus, de la Bohême du Sud à Constance
Révolté par le commerce des indulgences, le prédicateur, théologien, penseur et réformateur Jan Hus a durablement bouleversé l’histoire de la Bohême en décidant de s’opposer à l’Eglise catholique au début du XVe siècle. Si l’on ne connaît pas sa date de naissance exacte, son nom mais aussi son héritage sont intimement liés à la région de Bohême du Sud d’où il était originaire.
Peu de personnalités ont autant marqué l’histoire tchèque comme celle de Jan Hus – et ce pas seulement parce que sa pensée réformatrice, alors que le catholicisme traverse une vraie crise d’identité avec le Grand schisme d’Occident et les deux papautés, va immédiatement faire des émules dans le royaume de Bohême, tant et si bien que dès les années 1430, les deux tiers de la population ont rallié sa cause. Mais aussi et surtout parce que sa mort en martyre à Constance en 1415 va plonger la région dans le chaos des guerres hussites avec des conséquences en échos constants pendant plusieurs siècles encore.
Lorsqu’il naît entre 1369 et 1372 dans une famille paysanne à Husinec en Bohême du Sud (un autre Husinec se trouve près de Prague, mais l’historiographie penche pour celui en Bohême du Sud), rien ne prédestine a priori Jan Hus à devenir le grand universitaire et théologien que l’on connaît. Jakub Smrčka, directeur du Musée hussite de Tábor :
« Le fait qu’un enfant issu d’une famille pauvre parvienne à faire des études n’était pas totalement exceptionnel. Toutefois, il fallait que les conditions pour ce faire soient rassemblées : il fallait déjà une volonté des parents, un talent particulier de l’enfant pour les études car cela nécessitait aussi un certain investissement financier. Il fallait aussi avoir une école à proximité, où il serait possible d’apprendre les bases. Certains enfants pouvaient bénéficier du financement d’un mécène, d’autres pouvaient se faire un peu d’argent, comme ce fut le cas de Hus, en étant enfant de chœur à l’église. Avoir une éducation était un des rares moyens à l’époque de s’extraire de sa condition, de changer de classe sociale et de se garantir des moyens financiers. Plus tard, Jan Hus a bénéficié des faveurs de personnalités de la cour et a même eu des interactions avec le souverain. »
C’est à l’Université de Prague, une des plus prestigieuses d’Europe, la première d’Europe centrale fondée par l’empereur Charles IV sur le modèle de la Sorbonne, que Jan Hus fait ses classes, obtenant une licence puis une maîtrise en arts libéraux en 1396 avant d’être nommé professeur en 1400. Ordonné prêtre, il commence à prêcher – et notamment à partir de 1402 à la chapelle de Bethléem.
« Jan Hus n’était pas le premier prédicateur de la chapelle mais le plus important évidemment. En prêchant là-bas, il a commencé à diffuser ses idées à d’autres cercles que celui de l’Université de Prague. C’est là que s’est véritablement développée sa pensée réformatrice qui a incité les gens à soutenir le mouvement hussite et utraquiste. A partir de là, la vie de Jan Hus tourne autour de deux pôles : la chapelle où viennent l’écouter les gens, mais aussi ses étudiants qui, souvent, notent et copient ses sermons qui nous sont parvenus, et l’université où il enseigne. »
Marqué par les préceptes de l’Anglais John Wyclif, scandalisé par le commerce des indulgences utilisées notamment par l’antipape Jean XXIII pour financer une croisade, Jan Hus préconise une réforme de l’Eglise : avec d’autres penseurs pragois, il prêche un retour à l’Eglise considérée comme celle d’origine : apostolique, spirituelle et pauvre, et estime que cette réforme doit passer par le pouvoir laïc. Son intransigeance sur ses principes le met très vite en porte-à-faux avec les autorités ecclésiastiques qui viennent de frapper les écrits de Wyclif d’anathème. Jan Hus est excommunié en février 1411, et toute la ville de Prague est frappée d’interdit. Jan Hus décide finalement de quitter volontairement la ville et se réfugie dans sa Bohême méridionale natale, au château de Kozí Hrádek où il rédige des écrits importants, dont son De Ecclesia.
La suite est connue : alors qu’est convoqué le concile de Constance, Jan Hus aspire à s’y rendre afin de défendre publiquement ses thèses. Assuré du sauf-conduit de l’empereur Sigismond qui souhaitait la tenue du concile pour mettre fin au Grand schisme, Jan Hus part donc en octobre 1414 mais, contrairement à Luther un siècle plus tard dont le sauf-conduit sera respecté par l’empereur, le sien ne lui procure ni aide ni sécurité. Emprisonné en décembre, il fait l’objet d’un long procès au cours duquel ses écrits sont condamnés comme hérétiques. Refusant d’abjurer, il est condamné au bûcher le 6 juillet 1415, date devenue un jour férié en Tchéquie.
Jan Hus, récupéré par tous et tout le temps
Et s’il y a quelque chose qui s’avère proprement fascinant avec Jan Hus, c’est véritablement la manière dont son héritage a traversé l’histoire tchèque jusqu’à nos jours. Si l’on excepte le fait qu’évidemment les guerres de religion qui ont suivi ont durablement marqué le visage du royaume dans les siècles suivant, le réformateur bohémien a fait l’objet de toutes les récupérations possibles et imaginables, avec plus ou moins de bonheur, de justesse et de légitimité.
Jan Hus est par exemple devenu aux XIXe et XXe siècles pour les Tchèques le héros et le symbole de la lutte contre l’oppression « allemande ». Celui qui a simplifié l’orthographe tchèque (notamment avec le signe diacritique háček) trouve une place de choix dans le panthéon des « éveilleurs nationaux » qui soutiennent la langue et la littérature tchèques. Dans son cycle symphonique Ma Patrie, Bedřich Smetana reprend dans Tábor, le chant choral hussite « Vous qui êtes les combattants de dieu ». Plus tard, les légionnaires tchécoslovaques combattant en France en 1914-1918 auront recours à l’imagerie hussite pour justifier leur combat côté Alliés.
Le hussitisme a également infusé dans les milieux de gauche européens au XIXe siècle, car il est alors vu comme la première révolution de l’histoire européenne. Même l’écrivaine George Sand s’y est intéressée avec un livre qu’elle consacre au guerrier hussite Jan Žižka !
Les communistes tchécoslovaques arrivés au pouvoir en 1948 ne s’y tromperont pas, avec un cinéma officiel qui, dans les années 1950, glorifie Jan Hus et Jan Žižka dans de grandes fresques et des arts visuels qui mêlent sans vergogne réalisme socialiste et histoire hussite pour mettre en avant l’idée d’un « communisme primitif ». Paradoxe ultime, les autorités communistes feront reconstruire la chapelle de Bethléem au centre de Prague, un projet qui ne manque pas de piquant venant d’un régime se disant athée.
Enfin, l’écrivain, dissident et figure de proue de la révolution de Velours, Václav Havel lui-même, a faite sienne la devise hussite « La vérité vaincra » -qui d’ailleurs figure sur l’étendard présidentiel tchèque –, mais en lui donnant une tonalité bien plus humaniste en proclamant : « L’amour et la vérité doivent triompher de la haine et du mensonge ».
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