La vie du Père de la Patrie

'Charles IV – Le journal secret', photo: Fortuna Libri
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« Charles IV – Le journal secret » - tel est le titre du premier tome de la trilogie dans laquelle son auteur, Josef Bernard Prokop, évoque la vie et le règne de l’empereur Charles IV, une des grandes figures du Moyen Âge européen. Ce souverain, qui a choisi Prague comme capitale de son empire, est né le 14 mai 1316, il y a donc 700 ans.

Un journal apocryphe

'Charles IV – Le journal secret',  photo: Fortuna Libri
Charles IV a été le premier monarque européen depuis l’empereur Auguste à rédiger son autobiographie. Ce livre latin intitulé « Vita Caroli » conçu notamment pour instruire le prince héritier Venceslas, reste aujourd’hui une source importante d’informations sur la vie de l’empereur. En rédigeant sa trilogie, Josef Bernard Prokop a abondamment puisé dans cette autobiographie mais il voulait montrer l’empereur aussi comme un homme avec ses désirs, ses combats, ses victoires, ses doutes et ses faiblesses. Il a donc ajouté aux documents historiques des éléments de fiction et a donné à son livre la forme d’un journal intime. C’est la confession d’un homme que nous retrouvons au seuil de la dernière étape de sa vie mais qui se souvient des moments importants de toute son existence. Ce journal apocryphe comble donc les vides dans la biographie officielle et devient aussi une espèce de Mémoires permettant au lecteur de connaître la vie de Charles IV dans son ensemble.

Fils du roi Jean de Bohême ou Jean l’Aveugle qui a accédé au trône de Bohême après l’extinction de la ligne masculine de la dynastie des Přemyslides, le futur empereur s’appelle d’abord Venceslas. Sa mère, la reine Elisabeth, est la descendante de plusieurs générations de rois de Bohême et dans les veines du prince héritier de la dynastie des Luxembourg coule aussi le sang slave des Přemyslides. Pour soustraire le jeune prince à l’influence de sa mère et pour parachever son éducation, le roi Jean envoie son héritier à la Cour de France où le prince passera sept ans et prendra lors de sa confirmation le nom de Charles. Les années passées en France auront un impact décisif sur le prince qui deviendra un des souverains les plus cultivés de son temps. Il parle couramment le latin, le français, l’allemand, l’italien et le tchèque. Josef Bernard Prokop remarque que la France a joué un rôle important dans la vie et aussi dans la politique de Charles IV :

Josef Bernard Prokop,  photo: Fortuna Libri
« Il a grandi à la Cour de France et il a donc été empreint de la culture française, parce que, à cette époque-là, et aussi avant et après, la France donnait des impulsions culturelles et politiques à l’Europe. Plus tard cependant le roi de France a manifesté des conceptions politiques un peu différentes de celles de l’empereur germanique et les deux monarques se sont retrouvés dans une espèce d’opposition. Il y a eu donc aussi un peu de rivalité mais les Français respectaient toujours Charles en tant que souverain et en tant qu’homme et l’empereur avait beaucoup d’estime pour les rois de France. »

Le Saint Empire romain germanique

Charles est élu roi des Romains en 1346. Après la mort héroïque de son père Jean durant la bataille de Crécy, il est couronné roi de Bohême et après avoir éliminé l’opposition, il se fait élire en 1349 roi de Germanie et devient souverain de tous les royaumes du Saint Empire romain germanique. En 1356, il promulgue à Metz la Bulle d’or qui donne au Saint Empire germanique sa forme définitive et codifie les élections impériales. Homme politique astucieux et généreux à la fois, Charles arrive progressivement à étendre son empire qui finira par couvrir une grande partie de l’Europe, de la Méditerranée à la mer Baltique. Il est, entre autres, le dernier roi couronné de la Bourgogne. Une telle expansion est possible aussi grâce à quatre mariages dynastiques contractés par Charles. Josef Bernard Prokop évoque dans son livre quatre femmes, quatre princesses européennes, épousées successivement par l’empereur :

« Il a eu une belle union avec Blanche de Valois, sa première épouse. Ils étaient presque du même âge, ils ont grandi à la Cour de France, et dans cette union matrimoniale, il y avait aussi beaucoup d’amitié. Je crois, par contre, que ses rapports avec sa deuxième femme, Anne du Palatinat, étaient plutôt caducs. Je pense qu’il n’y avait pas entre eux beaucoup d’amour et de compréhension. C’est son mariage avec Anne de Schweidnitz qui a été la liaison la plus accomplie et la plus belle de sa vie. D’ailleurs, c’est cette épouse qui lui a donné l’héritier du trône, le futur Venceslas IV. Quant à sa dernière femme, Elisabeth de Poméranie, je pense que ce mariage n’était pas d’abord exempt d’une certaine rivalité. Elle était beaucoup plus jeune que Charles, presque indomptable, mais je pense que vers la fin de la vie de l’empereur, lorsque les deux conjoints ont appris à vivre ensemble et étaient déjà habitués l’un à l’autre, Elisabeth est devenue un grand allié et un grand soutien pour son époux. »

Prague, capitale de l’Europe

Devenu capitale de l’empire, Prague connaît sous le règne de Charles IV un essor sans précédent. Elevée au rang d’archevêché, la ville devient un important centre religieux, politique, économique et culturel. L’empereur fond à Prague la première université du monde germanique, institution qui porte encore aujourd’hui son nom et il fait venir de France l’architecte Mathieu d’Arras pour ériger au-dessus de la ville la cathédrale Saint-Guy. Les rives de la Vltava qui divise la ville en deux parties sont reliées par un pont de pierre qui deviendra le symbole de Prague. La ville est reconstruite dans le style gothique et s’agrandit par de nouveaux quartiers. Les Tchèques appelleront Charles IV « Père de la Patrie ».

Impulsions françaises

Guillaume de Machaut
Dans toute activité, Charles s’inspire beaucoup de la France, de sa culture et de son architecture. Josef Bernard Prokop évoque dans son roman entre autres Guillaume de Machaut, figure emblématique de l’art du Moyen Age, qui était lié d’amitié d’abord avec le père de Charles et puis avec lui-même :

« Guillaume de Machaut a été aumônier et ami de Jean de Luxembourg et je crois qu’il lui prodiguait aussi des services de notaire. Il a parcouru avec le roi Jean une grande partie de l’Europe et il était donc aussi son compagnon de voyage. Pendant le règne de Charles IV, il s’est rendu deux fois à Prague, en 1363 et encore peu de temps avant, preuves à l’appui. Il est arrivé avec une délégation du roi de Chypre, Pierre de Lusignan, et il a décrit les festivités de l’accueil qui leur a été réservé. Charles IV et Guillaume de Machaut ont été amis pendant presque toute leur vie. Bien que Guillaume ait été de seize ans son aîné, Charles et lui sont morts seulement avec deux ans de différence. Ils se sentaient très proches pendant pratiquement toute leur existence et se respectaient. »

Les germes de la révolution hussite

Charles IV et son fils Venceslas
Josef Bernard Prokop ne cache pas cependant non plus les aspects moins positifs du règne de Charles IV. Il constate que certains actes de ce monarque ont approfondi les antagonismes de la société médiévale et ont abouti, sous le règne de ses fils Venceslas et Sigismond à la révolution hussite, mouvement qui allait ravager l’Europe centrale, scinder en deux l’Eglise occidentale et préparer la Réforme :

« Ce n’était pas un hasard si les gens ont commencé à se révolter. Malheureusement, quand Charles avait besoin d’argent, il l’empruntait dans les couvents, telle était sa politique. Ainsi les couvents obtenaient divers privilèges et devenaient très riches. Par conséquent la vie de couvent était assez relâchée, dissolue, et les croyants n’aimaient pas ça. Puis il y a eu aussi des épidémies de peste et la crise pontificale, le schisme qui a divisé la chrétienté occidentale. C’était donc le résultat de plusieurs phénomènes. Il y avait également la dispute concernant les idées du réformateur John Wyclif approuvées par les uns et rejetées par les autres. Les Tchèques, eux, y voyaient clair et désiraient réaliser ce qu’ils considéraient comme juste. Et tout cela a abouti sous le règne affaibli du roi Venceslas IV aux événements que nous connaissons. »

La vie du roi Venceslas IV et de son demi-frère Sigismond, qui a hérité de la couronne du Saint Empire germanique, feront l’objet de deux autres romans que Josef Bernard Prokop est en train d’écrire. La trilogie sur la vie de Charles IV deviendra ainsi une « pentalogie » sur la dynastie des Luxembourg sur le trône tchèque.