L’Académie de Sablé à Prague : pour une Europe de la culture

Jusqu’au 15 février se déroule à Prague l’Académie de Sablé, fruit d’une collaboration entre le Festival de musique et de danse anciennes de Sablé, l’Institut français de Prague, le Collegium Marianum et de la Faculté de musique. Une équipe pédagogique française vient ainsi compléter la formation des étudiants tchèques par le biais d’ateliers de musique, de danse, de théâtre, d’improvisation, de déclamation. Jean-Bernard Meunier est le directeur du festival de Sablé, il revient sur l’origine de ce projet.

« Les choses se sont faites évidemment à travers l’Institut français. Moi j’avais comme volonté de développer le travail que nous faisons depuis longtemps à Sablé et d’en faire profiter d’autres gens. On a une longue habitude dans ce domaine. On sait qu’à Sablé, pendant les dix jours d’été, on a des gens qui viennent du monde entier tous les ans depuis longtemps, on pense qu’il y a un certain intérêt. Pour des raisons économiques, un certain nombre de personnes ne peut pas venir, parce qu’il y a le transport, l’hébergement, qu’il y a des coûts. On s’est dit qu’on pouvait peut-être se déplacer pour faire ce genre de choses. C’est le cas de l’Académie et il y a tout ce qui concerne la découverte de patrimoines communs et d’échanges.

Moi je crois beaucoup à l’Europe culturelle qui a de fait existé, de façon informelle mais vraie. Dans toutes les cours sont passés des musiciens d’à peu près tous les pays d’Europe. Je crois beaucoup à cette Europe culturelle, que ce ne sont pas les fonctionnaires et les technocrates qui vont pouvoir la faire à coup de décrets. C’est à nous, acteurs de terrain et artistes à la mettre en oeuvre. On travaille sur des échanges et des partenariats. On n’a pas la bonne parole à amener, on a rien à apprendre aux Tchèques : ils ont leurs écoles, un passé culturel extraordinaire, ce sont des musiciens de grand talent, nous on les découvre et dieu sait si on en entend. Il y a une pépinière assez extraordinaire. Tout est réuni. Mais on est simplement là, en collaboration, pour répondre à des attentes et apporter quelque chose qu’ils ne peuvent peut-être pas trouver sur place. Mais ils ont, vous avez aussi tout votre culture locale et on n’a pas de leçons à donner... »

Les ateliers sont consacrés à l’interprétation de musiques anciennes, mais pas seulement, puisqu’une grande place est également accordée à la danse :

« A ses origines, un grand nombre de musiques de répertoires savants, ce qu’on appelle ‘baroque’, est né du répertoire populaire et des danses. Ensuite les danses se sont construites et sont devenues beaucoup plus savantes, mais on retrouve par exemple dans ce qu’on appelle les ‘Suites françaises’ c’est-à-dire avant qu’on ait la construction des concertos qu’on connaît plus maintenant avec un allegro, un adaggio etc, on avait une suite de danses : courantes etc... A Sablé ce qui nous a toujours semblé important, c’est le travail que nous faisons maintenant depuis trente ans, qui est très spécifique, c’est de faire travailler aux musiciens, aux chanteurs, la danse, pour qu’ils comprennent bien ce qu’ils ont à interpréter après. On pense que si on veut bien comprendre une partition écrite pour la danse entre autres ou écrites sur des musiques de danse, même si elle n’est plus dansée. On doit ressentir un jour dans son corps ce qu’est la danse. »

Quelles sont les caractéristiques de la danse baroque ? Quels sont ses grands principes ?

« Ses grands principes, c’est ce qu’on appelait la ‘belle danse’. C’était la spécialité française de cette époque-là. Louis XIV dansait. Il faisait plusieurs heures de danse par jour. Il s’entraînait beaucoup. Je crois qu’il a dansé depuis l’âge de 14 ans. Il était souvent au centre des ballets, très entouré. Tout d’un coup, la danse est devenue un outil de communication : il fallait savoir danser ! Quelques siècles auparavant il fallait savoir se battre, il fallait être chevalier. Et tout d’un coup il fallait savoir danser pour être quelqu’un de respectable. Autant l’opéra est né en Italie à cette époque-là, autant en France on a eu les comédies ballet de Molière où il y avait beaucoup de danses, qu’on a souvent oublié et qu’on retrouve depuis quelques années. C’est l’école française. On oublie souvent cela ou on l’ignore. Tout le langage de la danse dite académique qu’on enseigne dans toutes les grandes écoles de danse au monde il vient de cette époque et est toujours en français. »

C’est pour cela que le vocabulaire du ballet classique, comme ‘pas chassés’ etc., tout est en français ?

« Exactement. On est toujours dans cette école de la ‘belle danse’ qui a conservé le langage français dans le monde entier. Ca a été un élement important de la culture française. Je ne suis pas non plus un grand spécialiste de la danse, mais ce qu’il faut noter qu’est née à cette époque l’écriture des chorégraphies. Ce qu’on appelle l’écriture feuillet. Pour la première fois on a inventé un langage écrit qui permettait de garder une trace de la chorégraphie et qui permettait de la reproduire. Aujourd’hui, une Française, Francine Lancelot, a fait un gros travail de découverte et de reconstitution et a été la première à remettre des ballets sur le devant de la scène. De cette écriture, on peut encore aujourd’hui, dans certains cas, dans des répertoires et dans les bibliothèques à travers l’Europe, retrouver des ‘partitions de danse’ écrites en feuillets et rebâtir des ballets comme ils avaient été construits il y a trois siècles. »

En République tchèque, la période baroque est très riche au niveau architectural, c’est le moins qu’on puisse dire. En France pas vraiment. Par contre, en effet, au niveau musical et de la danse, la France a une certaine prééminence. Est-ce que vous savez si à l’époque il y a eu des échanges. Certes, Louis XIV n’entretenait pas de grandes relations d’amitié avec l’Autriche dont la Bohême faisait partie. Mais le ballet et l’école française qui a eu un grand rayonnement ont eu des répercussions ailleurs en Europe et particulièrement en Bohême ?

« C’est une époque où les musiciens circulaient énormément puisque chaque cour voulait rivaliser de talent. Les musiciens français, italiens, parfois autrichiens allaient de cour en cour. Donc on a un répertoire qui est dans toute l’Europe. Et la Bohême avait des cours à la vie musicale très importante, comme celle de Kroměříž. Nous avons travaillé sur une période un peu antérieure, à l’époque de la cour de Rodolphe II où il y a un répertoire énorme de musique sacrée. Il y a énormément de richesses dans ce domaine qu’on n’exploite pas, qu’on commence, comme ailleurs, à retravailler, les ensembles tchèques s’y emploient. »

Cet entretien a été réalisé en février 2008.