Ladislav Sitenský, photographe de haut vol
Le Centre tchèque de Prague accueille jusqu’au 25 avril une exposition des photographies de Ladislav Sitenský (1919-2009), et ce, à l’occasion des 70 ans de la fin de la Seconde guerre mondiale et des 75 ans de la naissance des escadrons tchécoslovaques de la Royal Air Force en Grande Bretagne. Sur ces photographies en noir et blanc, le visiteur peut découvrir une partie du quotidien de ces aviateurs tchécoslovaques en exil, engagés auprès des Alliés pour lutter contre l’Allemagne hitlérienne. Cette exposition est aussi l’occasion de découvrir un photographe de talent dont le destin est d’ailleurs aussi intimement lié à la France.
« Je pense qu’il y a eu une volonté du côté du gouvernement en exil de présenter les pilotes tchécoslovaques. On lui a ensuite confié cette mission. Il n’a toutefois jamais été photographe officiel car il n’avait pas passé d’examen de photographie. Mais l’inspectorat l’a envoyé avec pour objectif de prendre des photos. »
« Au départ, il était donc membre du personnel au sol du 312e escadron, et là, il prenait des photos pour lui-même, parce que ça a toujours été sa passion. Il le faisait avec ses appareils et pendant son temps libre. Les meilleurs moments de l’exposition sont d’ailleurs de cette période. Peu à peu, il a été remarqué et dès 1941 il a eu sa première exposition à Londres, inaugurée par Edvard Benes en personne. Et c’est en 1942 que l’inspectorat l’a chargé de prendre officiellement des photos des différents escadrons tchécoslovaques. »Car en effet, à l’origine, à la fin des années 1930, pour rassurer ses parents sur son avenir, il s’inscrit à des études d’architecture, compromis acceptable entre l’aspect artistique qu’il sent en lui à travers la photographie et la possibilité d’avoir un emploi stable. Pour Ladislav Sitenský, la photographie est en effet une histoire d’amour qui commence lorsqu’il est très jeune, à 14 ans, comme le rappelle Adéla Kandlová :
« Il a commencé la photographie en 1933 lorsque son père lui a offert son tout premier appareil photo. Il a commencé très tôt à faire de la photo de même qu’à publier. Son premier reportage date du lycée : il a secrètement pris en photo ses professeurs sous les bancs d’école. Il a d’ailleurs reçu un blâme du directeur après que les professeurs se soient vus dans un magazine. Son premier reportage était donc aussi un sacré pépin. Mais il a continué à un niveau quasi professionnel. Il avait des commandes. Par exemple, il a photographié les funérailles du président Tomáš Masaryk ou le grand rassemblement des Sokols. La photographie est devenue pour lui un vrai métier, et pas seulement un hobby. »
Pourtant, donc, il doit tout de même s’inscrire à la Faculté d’architecture pour ne pas s’attirer les foudres familiales. Dans le cadre de ces études il projette de se rendre en France, comme le précise Adéla Kandlová :
« Il s’est retrouvé en France grâce à une bourse d’études. Il était donc inscrit en architecture, et à l’époque, il fréquentait l’Institut Ernest Denis (aujourd’hui, l’Institut français, ndlr). Il a obtenu une bourse de l’Institut pour aller en France. Il a reporté son départ à plusieurs reprises, et n’a fini par y arriver qu’en août 1939. Le 1er septembre, il est entré dans l’atelier d’un architecte et le soir même, c’était la mobilisation générale. Donc il n’y a passé qu’une journée. Ensuite il s’est demandé ce qu’il devait faire. Dès qu’il a appris la formation d’unités tchécoslovaques à l’étranger, il s’est porté volontaire et s’est engagé. Il s’est d’abord retrouvé dans un camp d’entraînement des soldats tchécoslovaques à Agde où il faisait partie de l’infanterie. Ce n’est qu’en juin 1940 qu’il a rejoint les brigades aériennes. C’est avec elle qu’il est parti vers la Grande Bretagne après la défaite de la France. »
Et c’est donc en Grande Bretagne qu’il passera la guerre, servant ainsi les Alliés et immortalisant un moment important de l’histoire de la Tchécoslovaquie. A travers ses photographies, on ressent l’admiration et la volonté de Ladislav Sitenský de fixer pour l’éternité une certaine idée du patriotisme et de l’héroïsme chez les pilotes tchécoslovaques engagés dans la RAF. Une volonté magnifiée par une technique propre à Ladislav Sitenský, comme le détaille Adéla Kandlová :« Il est très caractéristique par son usage du contre-jour. Ça a toujours été un peu son dada depuis le premier jour où il a tenu un appareil photo en mains. On peut voir beaucoup de photos à contre-jour à cette exposition. Il y a toujours des contrastes très forts dans ses photos. C’est typique chez lui. Sinon, en effet, il y a une volonté d’esthétisation chez lui. Il l’a d’ailleurs toujours dit, que ce qui l’intéressait ce n’était pas de faire un reportage. Il voulait qu’il y ait un aspect artistique. La photo devait être belle pour lui. Il ne s’agissait pas seulement de capter une personne avec son appareil, mais de faire une belle photo. C’est vrai que les portraits des pilotes sortent du lot : c’étaient de beaux garçons ! »
A la fin de la guerre, Ladislav Sitenský repasse par la France avant de rentrer en Tchécoslovaquie. C’est là qu’il retrouve une jeune femme qui deviendra ensuite son épouse : Paulette, une Française vivant dans la banlieue parisienne, la grand-mère d’Adéla Kandlová :
« Il a rencontré une jeune Française en 1937, lors de vacances avec ses parents à Quiberon. Lorsqu’il est parti en France, sa première destination n’a pas été l’atelier de l’architecte, mais il est allé voir sa bien-aimée. Malheureusement elle avait déjà rencontré quelqu’un d’autre entretemps. Ensuite, il est donc entré dans l’armée, et est parti en Angleterre. Il n’est retourné en France qu’en 1945 et est retourné voir cette jeune femme, Paulette. Cette fois-ci, le résultat était plus positif puisqu’ils se sont mariés à la cathédrale de Lille. Il est rentré en Tchécoslovaquie en août, six ans pile après son départ. Sa femme ne l’a rejoint là-bas qu’à l’automne. »Mais très vite, les nuages s’amoncellent au-dessus de la petite république tchécoslovaque. Et l’arrivée des communistes au pouvoir va signifier un changement radical vis-à-vis des soldats tchèques qui ont combattu à l’Ouest pendant la guerre. De héros ils deviennent persona non grata pour le nouveau régime. Comment Ladislav Sitenský a-t-il vécu cette période sombre ? Adéla Kandlová :
« Juste après la guerre, il a encore pu organiser une exposition sur ces aviateurs tchécoslovaques. Il avait commencé à préparer la publication d’un livre qui est sorti précisément en février 1948 (date du Coup de Prague, ndlr) donc elle a été tout de suite mise au pilori. Tous ceux qui avaient servi en Grande Bretagne ont eu la vie dure. Il avait quand même la chance de ne pas avoir été un pilote, c’est eux qui étaient la cible privilégiée des communistes. En outre, son concierge s’est porté garant en disant qu’il était digne de confiance. Donc, évidemment il ne pouvait pas présenter publiquement ses photos de la guerre. Mais il a quand même pu rester à Prague et travailler comme photographe. Il a toutefois dû se résoudre à photographier des sujets neutres, comme les montagnes ou Prague. »
Ce n’est qu’après la chute du communisme que Ladislav Sitenský pourra à nouveau exposer ses photos d’aviateurs. Le retour de la démocratie dans le pays remet à l’honneur ces vétérans de la Seconde guerre mondiale qui ont combattu à l’Ouest, et le destin de ces unités de pilotes tchécoslovaques engagés dans la RAF ne cesse de fasciner au point qu’un film les évoquant sera réalisé en 2001 par le cinéaste tchèque Jan Svěrák, et intitulé « Tmavomodrý svět ».L’exposition des photographies de Ladislav Sitenský sera au Centre tchèque de Prague jusqu’au 25 avril, avant de se déplacer à Bratislava.