L'architecture tchèque contemporaine
Depuis 1989 et la Révolution, les architectes tchèques sont incontestablement parvenus à redonner de la couleur au gris des constructions totalitaires. Prague, comme de nombreuses autres villes du pays d'ailleurs, n'a de cesse d'être en rénovation et surtout, plus remarquable, de nouveaux bâtiments à la construction originale ont enfin vu et voient toujours le jour. Certains projets architecturaux sont même devenus le centre d'intérêt de spécialistes et d'un public curieux des nouvelles aspirations en cours suivies dans la branche. Une fois cela précisé, certains n'hésitent toutefois pas non plus à affirmer que l'architecture tchèque contemporaine n'a plus qu'un vague rapport, lointain, avec celle de ses glorieux aînés de la première moitié du vingtième siècle. Alors qu'en est-il vraiment? L'architecture tchèque a-t-elle ou est-elle en train de redorer son blason et de reconquérir ses lettres de noblesse? C'est toute la question de cette Tchéquie au quotidien qu'est une nouvelle fois heureux de vous présenter Guillaume Narguet.
Pendant longtemps, l'évocation de l'architecture tchèque a équivalu à une sorte de référence représentant une certaine idée de l'architecture. Notamment durant toute la première moitié du vingtième siècle, les architectes tchèques se sont rendus célèbres dans le monde entier grâce à leurs projets aux dimensions et aux idées parfois certes culottées, voire hasardeuses, mais le plus souvent couronnées de succès et acclamés à tout rompre au terme de leur réalisation et de leur livraison. Puis, au lendemain de la Deuxième guerre mondiale et avec l'arrivée au pouvoir, en 1948, du Parti communiste, le gris sans vie des immenses cités et de leur immeubles en forme de cubes est venu à dominer très majoritairement. Le tout béton avait alors les faveurs des classes dirigeantes peu soucieuses de l'environnement et du cadre de vie. Le pratique, le rapide et "le pas cher à tout prix" l'emportaient sur tous les autres critères de choix. Mais aujourd'hui que ces temps de disette imaginative sont révolus et que la situation économique semble de nouveau pouvoir laisser la place, de temps à autre, à quelques fantaisies, à quoi peut donc bien ressembler la carte architecturale des Pays tchèques? Les esprits chagrins, critiques, s'empressent de sonner l'alarme: quelques constructions de qualité ont indéniablement été réalisées avec intelligence et savoir-faire, mais le reste ne relèverait que du moyen, voire très moyen. Or, sans forcément vouloir donner raison à ces mauvaises langues, un constat réaliste s'impose effectivement. Trop souvent, la soif de gains financiers rapides et le mauvais goût ont pris le dessus sur des projets proposant une solution plus originale et tout aussi réalisable, tant sur les plans budgétaire que technique. D'un autre côté, il est indéniable que la nation tchèque dans son ensemble reprend goût à une certaine forme de culture. Les possibilités sont de plus en plus fréquemment offertes aux apôtres de la fantaisie, de l'audace, du bon sens et de l'esthétisme de s'exprimer et de laisser libre cours à leur imagination et leur caractère.
Prague et les alentours de son centre historique architectural classé illustrent à merveille ces tendances. Même un architecte de renommée mondiale, un investisseur étranger réputé et un terrain à bâtir attractif ne sont parfois pas des garanties suffisantes pour assurer un résultat de qualité. Le quartier de Smichov ou la Place Charles (Karlovo namesti) en sont les exemples récents parfaits. Bien que l'architecte français Jean Nouvel avait entre les mains tous les ingrédients dont il aurait pu rêver pour que la réalisation de son projet soit à Smichov un succès, il n'en fut rien. Certes, Smichov n'est plus le quartier abandonné de friches industrielles qu'il était. Un centre de vie commercial moderne a poussé comme un champignon, mais son mélange de verre, de ferraille et de béton est au bout du compte loin de ce que l'on était en droit d'en attendre. D'ailleurs, aucun prix, voire même mention d'honneur, n'est venu récompenser le complexe. Et que dire de cette "boîte" hi-tech qui semble venue tout droit d'un autre monde sur la Place Charles, en plein coeur de Prague? Après la Place Venceslas, dont la Place Charles est à proximité, voilà donc un autre quartier, l'un des centres névralgiques de la ville, qui risque de perdre une partie non négligeable de son âme. Car le soir venu, lorsque le dernier employé quittera ce vaisseau de verre, c'est un vide noir et un silence de mort qui se mettront à régner sur les lieux. Malgré donc le fait que l'architecture tchèque se soit, ces derniers temps, émancipée, libérée de l'ennui provoqué par les monstres gris de l'époque totalitaire, les erreurs urbanistes semblent encore inévitables. Et bien que la République tchèque ne fasse pas dans ce domaine figure d'exception ou de dernier de la classe, les questions concernant le projet réalisé sur la Place Charles restent quand même en suspens: où sont passés les appartements, pourtant bien présents à l'origine sur les plans, qui auraient permis de transformer le quartier en un carrefour stratégique, en un lieu d'échanges et de rencontres? Cet ensemble de bureaux ne pouvait-il être qu'un ghetto administratif? N'était-il pas possible de réaliser ces projets avec plus de réflexion et de tact?
La Maison dansante, située le long des quais de la Vltava, malgré les réactions pour le moins controversées qu'elle provoqua lors de son inauguration, apporte la preuve du contraire. Le bâtiment, tout en étant devenu l'un des projets architecturaux contemporains les plus discutés en République tchèque, fait dorénavant l'objet de l'admiration, non seulement du public laïc, mais aussi des critiques experts en la matière. Les touristes ne s'y trompent d'ailleurs pas, la Maison dansante est tout simplement l'une des attractions touristiques les plus courues de la métropole pragoise. Mais les constructions de qualité ne peuvent naître que d'un projet soigneusement réfléchi, tant de la part de l'investisseur que de l'architecte. L'investisseur qui tient à investir avantageusement, sans que ce soit toutefois au préjudice de la ville, se doit de lier un partenariat, de collaborer avec l'architecte et la ville pour que le bâtiment s'intègre ensuite harmonieusement à l'environnement. Mais la réalité courante et actuelle est apparemment éloignée de cette vision idéale. Seuls l'appât financier et les grands bâtiments spacieux avec une surface maximum afin de remplir les objectifs commerciaux semblent importer.
Pour se faire une idée plus juste, complète et concrète de l'architecture tchèque contemporaine, il conviendrait toutefois de se pencher sur d'autres aspects de celle-ci. C'est ce que je vous propose donc de faire dans la prochaine édition de Tchéquie au quotidien. Tout en sortant quelque peu de Prague, nous nous intéresserons aux maisons individuelles, tant dans l'agglomération des villes qu'à la campagne, aux bâtiments destinés à un usage public, comme la bibliothèque de Liberec, ou encore à une construction prestigieuse comme le Pont Mariansky à Usti nad Labem...