Last Generation : « Pour le climat, de la résistance civile radicale »

Arne Springorum

Les blocages réguliers de la « magistrála », cette grande artère qui traverse Prague, sont devenus une réalité dans la ville, provoquant la colère de certains automobilistes. Ces manifestations visent à promouvoir le principe d’une limitation de vitesse à 30 kilomètres/heure dans la capitale et sont organisées par le groupe activiste de la lutte contre le crise climatique Last Generation (« Dernière Génération »). Radio Prague Int. a parlé à l’un de ses principaux membres, Arne Springorum, qui est originaire d’Allemagne mais vit en Tchéquie depuis une trentaine d’années.

Beaucoup de personnes sont concernées par les questions environnementales mais peu s’y intéressent à temps plein. Quelles étaient vos motivations ?

« C’était un processus étape par étape. Je ne me suis pas retrouvé dans cette situation, dans laquelle je suis maintenant d’un jour à l’autre. Je sais qu’il y a une crise climatique depuis au moins les années 1990 mais je mettais la tête dans le sable, comme tout le monde. Mais quand Extinction Rebellion a été fondé au Royaume-Uni et j’ai vu des images de citoyens ordinaires arrêtés, j’ai réalisé que j’étais un des leurs – alors j’ai fait un pas de plus en avant. »

Vous êtes connu comme étant un des membres principaux de Last Generation. Pourriez-vous expliquer revenir sur ce qu’est cette organisation, et ce qu’elle fait ?

« Nous sommes une organisation de résistance civile au gouvernement : c’est un type d’opposition qui n’est pas inédit. Il existe de nombreux autres exemples dans l’Histoire, comme les suffragettes ou le mouvement des droits civiques. Il y a une différence avec la désobéissance civile où il s’agit d’actes singuliers de désobéissance civile, comme avec Extinction Rebellion, et une grosse rébellion par an.

Mais avec la résistance civile est différente. Vous n’arrêtez jamais. Vous êtes toujours dans la résistance civile et vous êtes toujours prêt à risquer la prison pour ça. »

Mais il y a de nombreuses façons de protester et de faire entendre votre voix. Pourquoi choisir cette approche que beaucoup de gens peuvent trouver trop radicale ?

Arne Springorum | Photo: Ferdinand Hauser,  Radio Prague Int.

« Oh, c’est radical. Absolument, c’est radical. Parce que c’est efficace. Tous les jours à Prague, il y a des manifestations et personne n’en entend parler et ne s’en occupe, spécialement les politiciens.

Mais quand nous perturbons – et c’est une de nos principales méthodes, nous perturbons – tout comme Just Stop Oil en Angleterre ou Letzte Generation en Allemagne, nous perturbons d’une façon qu’il est impossible d’ignorer.

C’est ainsi que c’est devenu un sujet pour les médias, un sujet pour la société. Et pour l’aspect démocratique, c’est devenu un sujet pour les politiciens, parce que la société est sous pression. »

Mais quel est le lien entre entre le fait que ce soit un sujet et vos objectifs à atteindre ?

« Si l’histoire nous dit quelque chose, c’est qu’il y a toujours une promesse. En 1913, les suffragettes ont cassé toutes les fenêtres dans Oxford Street à Londres.

Imaginez la contrariété de la société ! 95 ou 99 % de toutes les autres femmes britanniques ont dit qu’elles n’avaient rien à voir avec ces terribles femmes qui détruisaient des biens ? Et cinq ans plus tard elles ont obtenu le droit de vote et elles sont nos héroïnes d’aujourd’hui. »

Pour les gens qui ne vous connaissent pas, quels sont les modes d’action de votre groupe ?

« Nous avons organisé une marche de protestation sur la grande artère qui traverse Prague, la ‘magistrála’. C’est drôle ce que nous avons fait n’était pas quelque chose d’illégal.

Photo: Martina Kutková,  Radio Prague Int.

Parce que nous le faisons chaque semaine depuis le 1er mars, nous répétons cette protestation, ça créée un impact sur la société tchèque et les politiciens sentent la pression, oui. Ils ressentent cette pression qui doit les inciter à agir, et c’est exactement ce que nous voulons. C’est pourquoi nous avons des politiciens – ils doivent agir. »

Et donc vous avez bloqué la grande artère principale traversant Prague ?

« Non, nous n’avons rien bloqué. Nous avons fait des marches de protestation annoncées de manière tout à fait légale et quand vous marchez, vous ne bloquez pas, n’est-ce pas ? Bloquer, pour moi, c’est quelque chose d’autre. Nous l’avons fait l’an dernier. »

Mais vous ralentissez la circulation à un point où elle peut  être considérée comme bloquée, parce que les gens sont coincés dans leur voiture et essayent de voir ce qui se passe devant eux…

« Mais la ‘magistrala’, comme le savent bien les Praguois, est bloquée la plupart de la journée. Tous les matins, tous les après-midi, il y a des bouchons.

Alors si vous voulez appeler ça ‘bloquer’, d’accord, mais elle est d’abord bloquée par tout le monde. Et puis, quel est notre impact en termes de quantité ? Peut-être 1 %.

L'une des manifestations en faveur d'une limitation de vitesse à 30 km/h à Prague. | Photo: Anna Fodor,  Radio Prague Int.

Ça marche, parce que ça crée le buzz. Mais les problèmes que nous causons aux automobilistes sont négligeables au fond. »

Vous demandez que la limite de vitesse soit réduite à 30 kilomètres/heure dans Prague, n’est-ce pas ?

« Oui, ça fait sens et c’est devenu standard à l’Ouest – il est temps que Prague agisse également. Il n’y a pas d’arguments contre ça, il n’y en pas vraiment. »

Quelle est la réaction de la mairie de Prague ?

« Ils nous diabolise. C’est toujours ce qu’il se passe quand vous faites de la résistance civile ? L’État commence la répression… »

En quoi est-ce un succès pour vous d’être diabolisés ?

Photo: Filip Jandourek,  ČRo

« Ça créée une attention. Ça créée une couverture médiatique. Ce n’est pas pour être populaire. Je ne suis d’ailleurs pas une personne populaire en République tchèque actuellement. Peut-être pour une minorité, mais pour la majorité, je suis ce qu’on pourrait appeler un ‘éco-terroriste ». »

Combien d’actions de ce genre avez-vous menées à ce jour ?

« 17 marches. Et maintenant, nous faisons une pause pendant l’été. »

Est-ce vrai, comme je l’ai lu, que vous vous êtes collé à la route ?

« Oui, je l’ai fait l’an dernier, avec Extinction Rebellion à Prague. Mais je l’ai fait plusieurs fois en Allemagne. Dans le cadre de Letzte Generation, je vais manifester en Allemagne.

Qu’est-ce qu’il se passe quand vous êtes collé… ?

« Eh bien, ça colle… Des milliards de personne vont mourir et vous êtes en train de me poser des questions sur la Superglue. Soyez réaliste. »

Je suis juste curieux…

« Non, non c’est important. Nous avons discuté cinq minutes sur nos marches et maintenant vous êtes en train de me poser des questions sur la colle. Parlons des choses vraiment importantes. Parlons de la situation vers laquelle se dirige tout droit la République tchèque maintenant. »

Quand le trafic est ralenti, les automobilistes sont en colère, et j’ai vu beaucoup de vidéos en ligne montrrant des conducteurs semblant foncer sur les manifestants. Quel est le niveau de danger auquel vous faites face ?

« C’est dangereux. C’est un risque calculé. Quelque chose peut toujours arriver. Mais c’est il y a ce contexte de risque bien plus grand auquel nous sommes tous confrontés, auquel nos enfants, nos petits-enfants sont aussi confrontés. »

Y a-t-il déjà eu des blessés parmi les membres de l’organisation ?

La marche pour une circulation à 30 km/heure à Prague | Photo: Anna Fodor,  Radio Prague Int.

« Oui, je me suis cassé une côte l’année dernière quand un conducteur de l’autoroute m’a donné un coup. J’ai aussi été frappé à Hambourg, plus tôt cette année, par un conducteur. C’est devenu viral. Et j’ai souffert des violences policières en Allemagne et aussi en République tchèque. »

Quelle était la forme de violences policières ici ?

« Ce sont des prises douloureuses, complètement inutiles, parce que nous ne résistons pas. C’est de la résistance passive et, selon la loi, ils doivent utiliser la forme la plus douce pour nous évacuer de la rue.

Je peux comparer cela au Royaume-Uni, où la police est extrêmement professionnelle, d’après mon expérience, en public comme à l’intérieur des bâtiments. Ce n’est pas comme ça en Allemagne et ce n’est pas comme ça en République tchèque. »

Vous pouvez aussi dire que c’est trivial, mais je suis curieux.
En vieillissant, beaucoup de personnes deviennent moins radicales. Ils vont dans la direction opposée et deviennent plus conservateurs. Vous avez la cinquantaine et vous participez à ce genre de manifestations que beaucoup associent avec la jeunesse. Qu’est-ce qui vous conduit à être aussi radical à votre âge ?

« Je suis géologue. Je comprends la planète et la crise que nous traversons et je suis dévasté. J’essaye de ne pas le montrer là, mais j’ai envie de crier tout le temps :  réveillons-nous et faisons quelque chose !

Photo: Anna Fodor,  Radio Prague International

Parce que nous sommes confrontés à une situation exponentielle et les humains ne sont pas bon dans les situations exponentielles. Nous pensons aux tournants de manière linéaire, nous pensons que les températures augmentent et baissent. Mais non, très bientôt, probablement dans quelques mois, plutôt que dans quelques années, nous serons dans une zone où nous ne pourrons plus revenir en arrière. »

Avez-vous un sentiment de progrès ? Ou êtes-vous rempli de désespoir ?

« Non, il y a des progrès. Mais la meilleure image, c’est quand vous êtes dans un escalator, un escalator qui descend. Nous sommes tous sur un escalator qui descend. Le gouvernement essaie de nous faire sortir de cet escalier roulant, dans le sens inverse, mais il y va très lentement – ​​et nous sommes actuellement en train de sombrer.

Ils disent : ‘Mais nous allons dans la bonne direction.’ Et c’est le cas. Ou encore : ‘Nous faisons plus que le gouvernement précédent’. Et c’est le cas.

Mais actuellement, la situation se détériore chaque jour. Et tant que nous ne commencerons pas à courir plus vite que l’escalator qui descend, ce que le gouvernement est en train de faire sera complètement inutile.

D’où la nécessité de notre travail en tant que groupes de pression, pour réveiller la société, car une fois que la société, les électeurs, demandent le changement, alors le changement viendra. Cela n’arrivera pas juste à cause de certaines personnes collées dans la rue.

Que pensez-vous des gens qui vandalisent des SUV ?

« Ce n’est pas quelque chose que je ferais. Parce que nous, au sein de Last Generation, nous pourrions causer des dégâts matériels, mais nous resterions jusqu’à l’arrivée de la police. Nous restons, par intégrité. Nous disons : ‘Nous avons fait cela et nous en portons les conséquences’.

Nous ne menons aucune activité illicite au milieu de la nuit avant de nous enfuir. Ce n’est pas notre façon de faire. Cependant, je comprends que les gens soient de plus en plus désespérés et je pense que cela va se voir de plus en plus.

Parce que c’est vrai, les gens qui achètent de gros SUV ont une plus grande part de responsabilité dans les problèmes, particulièrement les riches. Ils doivent donc être conscients que nous allons bientôt être dans une période incertaine. Et lorsque la société va s’effondrer, et c’est ce vers quoi nous allons à l’heure actuelle les personnes les plus riches seront ciblées en premier. Il y a bien une raison pourquoi ils construisent des bunkers en Nouvelle-Zélande. »

Photo: Anna Fodor,  Radio Prague Int.

Combien de membres compte Last Generation ?

« Oh, nous ne sommes qu’une poignée – peut-être 15 ou 20. Mais ce qui est important, c’est que 15 ou 20 personnes sont absolument nécessaires pour faire trois ou quatre barrages routiers dans Prague, ce qui crée la publicité dont le sujet a besoin. »

Ne craignez-vous pas de desservir la cause que vous défendez par vos actions ? N’y a-t-il pas le danger que les gens ordinaires, automobilistes et non-automobilistes, voient ce que vous faites, et soient plus en colère contre vous que contre le changement climatique ?

« Vous avez raison, il y aura toujours des militants anti-environnementaux, – mais il n’y aura pas de gens opposé à un avenir pour eux-mêmes et leurs enfants.

Ils peuvent très bien ne pas l’admettre. Nous les confrontons à ce sujet et évidemment, ce n’est pas beau à voir. Mais ils finiront par lire des articles et auront une meilleure compréhension. Cela ne veut pas dire qu’ils vont se radicaliser bloquer la rue avec nous. Mais ils feront plus attention à la question et les médias en parleront davantage.

À la fin, il ne s’agira pas de savoir quelle méthode nous avons employée pour coller nos mains sur la route – il s’agira de voir l’échec du gouvernement et l’incapacité de tous les gouvernements à fournir un avenir vivable pour nous et pour de nombreux autres êtres vivants sur la planète. »

Arne Springorum | Photo: Ian Willoughby,  Radio Prague Int.

En fin de compte, quelle est la probabilité que votre groupe parvienne à réaliser quelque chose concrètement ?

« Je pense que c’est peut-être parce que la société est en train de changer d’avis. La nature apporte une aide précieuse : les records de chaleur, les chosesqui  se détériorent, tout cela survient plus rapidement que prévu. Et ce sera encore plus rapide. C’est exponentiel.

Pour moi, ce n’est donc pas une question de ‘si’, c’est une question de ‘quand’. Et mon travail consiste à faire en sorte que le ‘quand’ arrive plus tôt. S’il faut pour cela que j’aille en prison, ou que j’aie des problèmes avec certains des membres de ma famille, ou que je détruise certaines de mes amitiés, c’est pour la bonne cause.

Il s’agit de notre survie. Si vous n’avez pas compris – et je m’adresse maintenant aux auditeurs – vous devriez lire davantage sur le sujet, et alors commencer par agir.

Ce que vous faites n’a pas d’importance. Vous pouvez envoyer de l’argent, vous pouvez faire quelques changements… mais à ce point, il ne s’agit pas d’un changement individuel, il s’agit d’un changement de système – nous avons besoin de fabriquer des changements systémiques pour faire face la crise dans laquelle nous nous trouvons ».

Auteurs: Ian Willoughby , Mathilde Nicolas
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