Le 17 novembre, vingt ans après
Mardi, s’est déroulée une marche commémorative en l’honneur des manifestations étudiantes du 17 novembre 1989, qui inaugurèrent la Révolution de velours. Vingt ans après, jour pour jour, une foule de Pragois a emprunté le même chemin que les étudiants, qui partirent d’Albertov, avant d’être bloqués par la police à Národní třída. Ce fut l’occasion de revivre l’atmosphère fiévreuse de ces journées décisives.
C’était mardi, dans la rue Národní, noire de monde mais illuminée des festivités de la célébration du 17 novembre 1989. Le lieu et le chant sont symboliques : « Kde domov můj » (Où est ma patrie), inauguré au Théâtre des Etats en 1834, voit sa première strophe devenir hymne national en 1918, avant de devenir celui la République tchèque à la chute du communisme. Ce chant d’indépendance prend toute sa dimension ici, dans la rue Národní, où le 17 novembre 1989, la manifestation étudiante fut violemment réprimée par la police.
« Kde domov můj » avait été choisi en 1918 en raison de la charge affective qu’il exercait sur la population. En ce mardi 17 novembre 2009, il prenait en plus une dimension symbolique. D’ailleurs, à suivre le cortège qui empruntait le même chemin que les étudiants vingt ans plus tôt, certaines images nous revenaient en tête : aujourd’hui comme hier, ce sont des manifestants recouverts d’un drapeau tchécoslovaque, des centaines de bougies et des cliquetis de clés qui sonnent un peu partout (en 1989, des milliers de manifestants agitaient des trousseaux de clés, symbole de l’ouverture d’une nouvelle période ...). Autre symbole fort vu mardi dans le cortège, une religieuse tenant, avec les participants, un grand drapeau tchécoslovaque tendu à l’horizontal. Sa présence rappelait le rôle des catholiques dans la dissidence. C’est d’ailleurs Václav Havel, qui, en centrant ses réflexions autour du concept de vérité, séduira une frange importante des milieux catholiques, aussi sensibles aux aspects spirituels que démocratiques. Mais mardi, c’est aussi un hommage appuyé à Olga Havlová que l’on a pu entendre lorsque le cortège s’est arrêté au numéro 78 du quai Rašínovo nábřeží :« Dans cette maison, au quatrième étage, vivaient Václav et Olga Havel. Lors du passage des manifestants le 17 novembre 1989, Olga Havlová a salué de la main le cortège. En face, de l’autre côté de la rue, se tenait souvent un véhicule de la Sécurité intérieure, qui surveillait tous les mouvements du couple et tout d’abord qui et pourquoi se rendait en visite chez eux. Olga Havlová n’est pas seulement devenue la première dame. Elle était un membre très actif de la dissidence. Après novembre 1989, elle fut tout aussi active dans ses actions caritatives, dont le Comité de la Bonne Volonté ainsi que dans sa propre fondation. Afin de rendre hommage à votre apport à la démocratie et à la défense des droits de l’homme, madame Havlová, nous vous remercions ! ».
La célébration du 17 novembre 1989 a mobilisé de nombreux Tchèques, vingt ans obligent. Les prémisses de la Révolution de Velours commencent cependant dès 1988 : le 28 octobre éclatent des manifestations, suivies, le 10 décembre, par des manifestations pour la défense des droits de l'homme à Žižkov.
Dès l’hiver 1988 par ailleurs, se crée spontanément toute une multitude d’associations qui fleurissent ensuite tout au long de l’année 1989 : mouvements écologistes, objecteurs de conscience, comités de soutien à des prisonniers politiques... Formées de jeunes gens de 18 à 30 ans, certaines associations redonnent à l’humour son rôle de rempart contre le régime. Ainsi, Les « Enfants de la Bohême » prévoient le rétablissement du royaume de Bohême et la transformation des partis politiques en œuvres de bienfaisance. Bien sûr, l’organe du Parti y verra un complot réactionnaire et royaliste là où il ne s’agit que d’humour, un humour grinçant et typiquement tchèque !
Cette réapparition des associations en 1989 s’inscrit dans une tradition qui remonte en Bohême à l’époque de l’Autriche-Hongrie au XIXe siècle. Lieux traditionnels de sociabilité en Europe centrale, les associations tissent des liens forts entre les individus. Elles se développent comme relais social après la supression des corporations en 1859. En 1876, on compte pas moins de 4 500 associations en Bohême, tchèques ou allemandes et à la veille de la première guerre mondiale, 60 000 Pragois sont répartis en quelques 230 associations.
A cette solide tradition, les associations de 1989 en mêlent d’autres : l’humour... et la pratique du happening, prisé par Milan Knížák dans les années 1960. Ainsi, lors des événements de 1989, l’« Association pour un présent plus gai » envoyait ses propres troupes casquées de pastèques et armées de concombres pour disperser les manifestants, sous l’œil ébahi des policiers.
Ce sens de l’humour, on le retrouvait encore mardi, lors de la marche commémorative vers Národní Třída : jeune enroulé dans un drapeau tchèque et chevauchant un monstre en plastique symbolisant le communisme, effigie en carton de voitures de l’ancienne police du régime. Et quand d’ailleurs des sirènes de police ont sonné, la foule a parfois réagi, tout aussi symboliquement qu’avec humour, par quelques huées ! De la marche commémorative du 17 novembre 2009, on retiendra une grande présence de jeunes d’à peine 20 ans. Un bel exemple de mémoire collective dans un pays où l’histoire n’est pas réputée être la discipline favorite depuis la chute du communisme.