Jérémie Bédard-Wien : de la lutte étudiante québécoise à la manifestation pragoise du 17 novembre

Photo: CTK

Le 17 novembre dernier, jour de fête nationale commémorant le début de la révolution de velours, plus de 20 000 manifestants se sont rassemblés à Prague à l’appel de la plate-forme « Stop vládě » (Stop au gouvernement), pour protester contre la politique d’austérité menée dans le pays. Parmi eux se trouvait un Québécois, Jérémie Bédard-Wien, un des militants très actifs au sein du mouvement de protestation étudiante qui a agité la province canadienne tout au long cette année. Au micro de Radio Prague, il est revenu sur sa participation à la manifestation tchèque et nous a tout d’abord présenté cette grève étudiante québécoise, aussi surnommée « le printemps érable ».

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« Cela a commencé il y a deux ans, en 2010, quand notre gouvernement provincial a annoncé son intention d’augmenter les frais de scolarité, une hausse de 1625 dollars (environ 1260 euros). Un montant qui allait devenir symbolique alors que nous mettions un place un grand mouvement de protestation. Par une escalade des moyens de pression, les manifestations ont été de plus en plus importantes jusqu’à une grande manifestation de 130 000 personnes fin 2011 à Montréal. Nous étions alors prêts à partir en grève générale illimitée, le moyen de protestation le plus efficace et cela est alors devenu un vrai mouvement social qui est allé beaucoup plus loin que les frais de scolarité. Surtout alors que la population se radicalisait du fait d’une répression de plus en plus intense, la police a arrêté jusqu’à 3000 étudiants et étudiantes, citoyens et citoyennes du Québec. Tout ça parce qu’ils ont protesté contre une hausse des frais de scolarité injuste et qui s’inscrit dans le cadre de privatisations des services publics et d’une transformation du système d’éducation pour atteindre des objectifs néolibéraux. Quelques mois plus tard, le gouvernement a déclenché des élections hâtives, anticipées, pour mettre fin au conflit. Après la démission d’un ministre, le gouvernement tombe et il offre le choix à la population entre d’un côté la rue et de l’autre l’ordre et la sécurité. C’est finalement la rue qui l’emporte et la hausse des frais de scolarité, la loi 78 (une loi visant à réprimer les manifestations étudiantes, ndlr) et plusieurs autres projets néolibéraux sont annulés suite à la pression sociale. C’est vraiment un mouvement sans précédent dans l’histoire du Québec, une grève de six mois, la plus longue grève générale illimitée de l’histoire du pays. »

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Vous étiez samedi 17 novembre à la manifestation « Stop vládě » pour protester contre la politique d’austérité du gouvernement de Petr Nečas et vous y avez tenu un discours. Comment avez-vous été amené à participer à ce rassemblement ?

« J’ai été invité. En juin, j’avais rencontré deux étudiants tchèques qui étaient en vacances aux Etats-Unis et au Canada et qui se sont dit qu’ils feraient un tour par Montréal pour voir la grève. Je les ai rencontrés à ce moment-là. Ils m’ont interviewé pour le magazine ‘Solidarita’ et c’est eux qui m’ont recontacté, il y a quelques semaines, pour m’inviter à la grande manifestation de ce samedi pour que je puisse faire un discours. Je pense que les syndicats se sont cotisés pour financer mon voyage. »

Qu’est ce que vous avez dit à ces 20 000 manifestants présents samedi à Prague ?

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« Premièrement, je leur ai dit qu’ils ne sont pas tout seuls. Partout dans le monde, il y a en ce moment des mouvements qui mènent une lutte admirable contre les politiques d’austérité, en particulier en Europe, mais aussi au Québec ou aux Etats-Unis avec le mouvement Occupy Wall Street et d’autres mouvements dont on n’entend pas beaucoup parler, en Amérique du Sud par exemple. Les politiques contre lesquelles nous nous battons sont très souvent les mêmes, notamment en matière d’éducation : au Québec on parle de plus en plus d’appliquer un programme de normalisation comme celui du processus de Bologne en Europe (une démarche européenne d’harmonisation des systèmes universitaires qui a souffert de nombreuses critiques, ndlr). Mais la résistance est également globale. »

Comment vous avez ressenti l’atmosphère sociale de cette manifestation ? Il se dit en République tchèque que les jeunes sont plutôt apolitiques…

« Je pense que les gens qui étaient présents à la manifestation était de tout âge, des étudiants et des étudiantes tout comme des gens plus âgés, des travailleurs. J’ai été accueilli ici à Prague par une communauté d’étudiants qui m’ont dit effectivement que les étudiants et étudiantes étaient relativement apolitisés. Mais c’est également le contexte auquel nous avons dû faire face au début du mouvement étudiant québécois contre la hausse des frais de scolarité. Ils sont apolitisés parce qu’on ne leur donne pas l’espace pour pouvoir s’exprimer. La manifestation elle-même m’a semblé être très énergétique avec d’excellents discours que je n’ai pas pu comprendre malheureusement (rires). Mais en ce jour spécial du 17 novembre, il m’a aussi semblé très symbolique de voir l’une des plus grosses manifestations depuis 1989 s’assembler sur la place Venceslas et ça m’a donné beaucoup d’espoir pour la suite des choses. »