Le 21 août a marqué le destin de beaucoup de Tchèques
Tous ceux qui ont vécu cette journée triste ne l'oublieront jamais. Le 21 août 1968, la Tchécoslovaquie s'est réveillée par un beau jour d'été qui pourtant différait beaucoup des autres. Le calme matinal était perturbé par le grondement des chars, dans les rues on entendait des ordres donnés en langue étrangère - le russe. Les troupes du pacte de Varsovie ont franchi la frontière du pays pour occuper la Tchécoslovaquie qui voulait bâtir le socialisme « à visage humain ». A l'époque, personne ne pouvait savoir que cette occupation allait durer 21 longues années et qu'elle va, ainsi que la normalisation politique qui suivait, détruire la vie de milliers de Tchèques qui ont refusé de s'y résigner. Parmi ceux qui ont payé cher leur protestation contre l'occupation, il y avait Milan Kazda, enfant terrible du film amateur des années soixante. Voici donc son destin après le 21 août 1968.
« Ce matin, un collègue m'a téléphoné pour me dire qu'il y avait des chars russes dans les rues de Plzen. Il m'a dit, Milan, c'est la guerre ! J'ai eu peur que ma génération vive quelque chose d'atroce, comme la génération précédente. Mais, quelques minutes plus tard, mon équipe était déjà sur place devant le bâtiment de la Radio. Nous avons filmé presque 300 mètres de pellicule. Lors du tournage, j'étais toujours avec mon cameraman. Plus d'une fois, je l'ai sauvé au dernier moment devant un char sur le point l'écraser. »
Le documentaire que Milan Kazda a tourné lors de l'occupation de Plzen a reçu le nom « Balade d'un mioche ». Il l'a présenté en première le 30 mars 1969 lors d'un festival du film de Prerov. Le film lui fermera les portes des studios pour vingt ans.
Né en 1931, Milan Kazda fonde en 1956 à Plzen le club des cinéastes amateurs qui devient l'un des meilleurs de Tchécoslovaquie. Deux ans après sa fondation, il gagne déjà le Grand Prix lors du Festival national du film amateur. Suivent d'autres prix gagnés lors de festivals nationaux mais aussi à l'étranger. Avec le diplôme d'ingénieur géomètre, Milan Kazda s'inscrit, en 1964, à la FAMU, école de cinéma de Prague. En 1968, il tourne la « Balade du mioche » et la « Normalisation ».
« Le film ne présente que ce qui s'est passé réellement dans les rues de Plzen. Nous n'avons pas parlé avec les gens. On n'en avait pas besoin car même sans parole, ce film dit tout. Donc aucun commentaire, seule une musique dramatique. C'étaient les yeux des gens qui disaient tout. On a filmé la situation devant le bâtiment de la Radio, surtout les habitants de Plzen qui la défendaient pour qu'elle puisse diffuser. En effet, la Radio de Plzen était la dernière à diffuser. »
Les scènes tournées dans les rues alternent avec celles réalisées dans une école maternelle. Les enfants ne savent rien de l'occupation. Insouciants, ils jouent, ils chantent, ils dessinent les coeurs à leurs mères. Les scènes enfantines ainsi qu'une musique dramatique rendent le film très émotionnel.
Lors de l'été 69, Milan Kazda passe ses vacances en Yougoslavie. Ses amis yougoslaves lui proposent le poste de réalisateur à la Télévision de Zagreb lui déconseillant de revenir au pays. Milan Kazda prend à la légère ces avertissements et revient au pays. Le 11 novembre de la même année, il est arrêté par la police secrète et traduit devant le tribunal. Celui-ci l'accuse d'avoir présenté au public le film dans lequel, je cite «...il attaque de façon offensante les relations avec l'Union soviétique et les troupes soviétiques installées en Tchécoslovaquie pour veiller sur le développement socialiste de la république... » (fin de citation). Finalement, Milan Kazda n'a qu'une peine avec sursis. Il doit cette chance à un paradoxe...
« Sur recommandation de mon avocat, j'ai présenté devant le tribunal le montage d'un film que la télévision moscovite avait tourné sur moi, en 1966. Le film m'a présenté comme un cinéaste prometteur. Cette tactique s'est avérée comme juste. Les camarades du parti avaient en effet peur d'envoyer en prison l'homme glorifié par les «frères» soviétiques. »
Néanmoins, Kazda n'échappe pas à son destin. La presse ne cesse de le mettre au pilori et sa liquidation existentielle ne se fait pas attendre. Il peut encore terminer ses études de cinéma, en 1971, mais les portes des studios lui sont fermées. Il gagne modestement sa vie comme géomètre.
Après la chute du communisme, en 1989, à l'âge de 59 ans, Milan Kazda peut reprendre sa profession initiale. A Plzen, il fonde le Studio Video K, dans lequel il réalise plusieurs films encourageant l'effort démocratique dans le pays libéré du communisme. En 1990, le film qui lui a coûté 20 ans de vie est présenté au public. Milan Kazda récapitule sa vie...
« C'était une destruction totale. Non seulement la destruction existentielle mais surtout morale, la destruction de l'âme. Personne ne peut jamais compenser ce temps perdu. Lorsque j'ai pu retourner à mon travail, j'avais 59 ans, un an et demi me séparait donc de ma retraite. Je ne croyais pas que je pourrais encore travailler dans le film. Finalement, j'ai trouvé le courage de recommencer avec le coeur et le cerveau d'un homme d'un certain âge.»