Le battant brisé de la cloche Sigismond

Cloche Sigismond (Photo: CTK)

Le 15 juin dernier, le battant de la plus grande cloche tchèque, Sigismond, qui sonne du haut de la cathédrale Saint-Guy au Château de Prague depuis déjà 1548, s'est brisé. La masse d'une demi-tonne est tombée à travers le sol du clocher. Si des poutres ne l'avaient pas retenue, elle aurait pu briser la voûte de la cathédrale.

Cloche Sigismond  (Photo: CTK)
Le 15 juin dernier, le battant de la plus grande cloche tchèque, Sigismond, qui sonne du haut de la cathédrale Saint-Guy au Château de Prague depuis déjà 1548, s'est brisé. La masse d'une demi-tonne est tombée à travers le sol du clocher. Si des poutres ne l'avaient pas retenue, elle aurait pu briser la voûte de la cathédrale. Un défaut du matériel a été la raison pour laquelle le battant s'est brisé. Or selon une vieille légende, le battant brisé d'une cloche est un mauvais signe, un présage d'un malheur ou d'une catastrophe. Les inondations qui ont frappé notre pays tout juste deux mois après cet événement comme si elles y donnaient raison. A la fin de la semaine dernière, un nouveau battant a été élevé à la tour de la cathédrale et installé à l'intérieur de la cloche Sigismond. Cette dernière a pu à nouveau sonner, avec un coeur nouveau, le jour de la fête de l'Etat tchèque, le 28 septembre, qui est la fête du patron des Tchèques, saint Venceslas.

La cloche Sigismond est, avec ses 18 tonnes, la plus grande en République tchèque. Elle n'est utilisée qu'à des occasions solennelles, les fêtes religieuses et celles de l'Etat. Il faut 8 sonneurs pour la mettre en branle. Dans l'histoire, la place de cet instrument monumental auquel l'homme a donné une voix spécifique, a toujours été attachée à des événements de première importance: naissance, décès, invitation à la messe. La cloche a été prédestinée par l'homme à exprimer de façon acoustique ses messages et servir ainsi de moyen de communication à grande distance. Est-ce pour cela que les cloches ont revêtu une signification presque symbolique?

L'origine des cloches remonte à la fin du 3e millénaire avant J.C., comme l'ont mis au jour les fouilles à Ninive, ville de l'ancienne Mésopotamie. Dans les pays tchèques, les cloches ont été introduites simultanément avec les premières missions chrétiennes. Hélas, les mentions écrites de cette période sont absentes. Les premiers monuments conservés témoignant du métier de fondeur des cloches datent du 13e siècle. La plus ancienne cloche qui se soit conservée jusqu'à nos jours en bon état se trouve à Havlickuv Brod. Elle date de 1300. Les cloches jouissaient d'un grand respect, de même que le métier de fondeur de cloches, de plus en plus soutenu et répandu avec la construction des couvents, aux 13e-14e siècles. Sous le règne de Charles IV, qui a constitué un nouvel ordre des métiers à Prague, la fonte des cloches était effectuée encore par des potiers d'étain, avant d'être confiée aux fondeurs de cloche qui ont créé à Prague leur corporation. Les premiers ateliers se trouvaient à la rue Zvonarska, actuelle rue Jungmanova. Le plus célèbre fondeur pragois s'appelait Brikci. Il a vécu à la moitié du 16e siècle. Son art lui a valu une grosse fortune, et plusieurs hommages, dont le titre de noblesse. Parmi les cloches pragoises créées par lui, la plus belle est sans doute celle qui reste toujours accrochée dans la tour de l'église Saint-Pierre et Saint-Paul, au château de Vysehrad.

Le secret de la production des cloches était hérité de génération en génération. Depuis les temps de l'empereur Rodolphe II, au 16e siècle, jusqu'à 1920, les cloches à Prague étaient coulées par la famille Diepold. Le métier de fondeur a atteint son apogée au 16e siècle. C'est alors qu'est née la plus grande cloche, Sigismond. Le maître Jaros l'a terminée en 1548. La cloche est ornée de relief sur lequel on voit l'empereur Ferdinand, agenouillé, avec son épouse, Anne, devant un crucifix. D'autres reliefs représentent des patrons tchèques: Venceslas, Guy et Procope. Depuis le 17e siècle, après la bataille de la Montagne Blanche, des familles tchèques de fondeurs commençaient à disparaître. Les cloches étaient importées des ateliers étrangers, notamment allemands, et cette situation a duré pratiquement jusqu'au début du 20e siècle. Un triste chapitre dans l'histoire des cloches s'attache à deux conflits mondiaux, lors desquels des milliers de cloches sont confisquées par l'armée qui se sert de leur métal pour en faire des canons. Le fondeur Rudolf Manousek est convaincu de ce qu'environ 300 cloches tchèques qui n'ont pas servi pour la fabrication d'armes, se trouvent toujours en Allemagne et attendent leur retour en Bohême.

En dépit de la tradition interrompue, deux grands ateliers de fondeur se sont maintenus jusqu'à présent en Bohême et en Moravie: à Brodek, près de Prerov, c'est la famille Dytrych, et à Zbraslav, banlieue de Prague, les cloches sont fondues par la famille Manousek. C'est Rudolf Manousek à qui on a confié la fabrication du nouveau battant de la cloche Sigismond. Nous lui devons aussi la restauration du fameux carillon de la Lorette de Prague et des cloches de Notre-Dame-de-Tyn, pour ne citer que les monuments les plus connus. Beaucoup de légendes s'attachent aux cloches. A part celle sur le battant brisé, présage d'un malheur, la cloche de l'église Saint-Clément, dans la Vieille-Ville de Prague, sonnait en signe d'avertissement à chaque fois que le royaume tchèque était menacée. Selon une autre légende, toutes les cloches de Prague se sont mises, spontanément, à sonner pour accompagner l'empereur Charles IV, fondateur de la corporation des fondeurs de cloches, sur son dernier chemin.