Le Centre tchèque de Kyiv provisoirement délocalisé à Prague

Centre tchèque de Kyiv

Avant l’invasion russe de l’Ukraine, Radka Rubilina vivait à Kyiv et occupait le poste de directrice du Centre tchèque local. Quelques jours après le début du conflit, elle a dû quitter le pays mais elle continue de coordonner les activités du Centre tchèque depuis son siège provisoire installé à Prague.

Au micro de la rédaction anglophone de Radio Prague International, Radka Rubilina parle de nouveaux défis du Centre tchèque de Kyiv, en évoquant tout d’abord les conditions de son départ de l’Ukraine.

« Ce fut une décision difficile à prendre puisque nous avons reçu l’ordre de l’ambassade de partir avant même le début de la guerre. Certes, le pays était envahi de Russes et de Biélorusses mais la vie à Kyiv continuait aussi normalement que d’habitude. »

Radka Rubilina | Photo: Kateřina Mátlová,  Centres tchèques

« Soudain le vendredi soir, après trois ou quatre heures de réunions et un déjeuner professionnel, j’ai reçu un message de l’ambassadeur tchèque me demandant de quitter le pays dès le lendemain. Je l’ai donc appelé et lui ai demandé si cela était vraiment nécessaire et il m’a assuré que ça l’était et m’a répété : ‘S’il vous plait, quittez le pays’. »

« Nous avons décidé de ne pas faire nos valises mais plutôt d’aller rendre visite à nos amis pour leur annoncer notre départ. Nous avons passé la soirée entière en leur compagnie et je pense toujours que c’était la meilleure décision puisque c’est peut-être la dernière fois qu’on les voyait. »

« Au matin, nous nous sommes réveillés à six heures, nous avons rassemblés nos documents et nos passeports dans un sac avant de réveiller les enfants et de prendre le chien et c’est tout. On a pris la voiture et nous sommes partis. »

Tous les employés du Centre tchèque de Kyiv ont-ils rejoint Prague ou bien certains restent encore sur place ?

« Pour ce qui est des citoyens Ukrainiens, car j’étais la seule Tchèque à travailler dans le Centre tchèque de Kyiv, ils ont dû prendre la décision sur leur départ eux-mêmes. Finalement, personne n’a décidé de rester. Tout le monde est parti assez rapidement, au plus tard quelques jours après le début de la guerre. Mais près de la moitié d’entre eux ont décidé de rester dans la partie ouest du pays. Quatre d’entre eux sont venus ici et nous les logeons à Prague, là où se trouve notre centre tchèque de Kyiv provisoire. »

« C’était une décision difficile dans les deux cas. Par ailleurs, le sentiment de soulagement d’avoir traversé la frontière ne s’est manifesté que quatre ou cinq jours plus tard, voire dix jours pour certains d’entre eux. Le choc a été immense car leur esprit restait quelque part dans les abris de Kyiv. Il n’est pas facile de vivre une telle expérience et de laisser tout derrière soi. »

Centre tchèque de Kyiv | Photo: Centre tchèque de Kyiv

Comme vous l’avez dit, vous êtes maintenant responsable du Centre tchèque de Kyiv en exil. Quelles sont vos missions ?

« Lorsque j’ai été évacuée, je pensais que nous pourrions poursuivre notre programme culturel de nouveau en Ukraine, mais évidemment avec la guerre nous avons dû tout changer. Avec mes collègues, nous avons créé un programme de bourses pour les artistes ukrainiens qui partent en direction de la République tchèque et ceux qui sont déjà arrivés dans le pays. »

« Le Centre tchèque a décidé pour environ trente d’entre eux de leur assurer une aide financière pendant trois mois de séjour en République tchèque afin de leur donner l’opportunité de trouver un travail dans le domaine de la culture. Ils sont en cours de production d’un documentaire, nous avons déjà programmé deux concert etc…»

« J’avais donc un tout nouveau portefeuille à constituer, à gérer des questions financières et administratives liées à ce projet. Au début c’était très intense mais au fur et à mesure que mes collègues ukrainiens m’ont rejoint à Prague, le travail est devenu plus calme. La guerre a commencé le 24 février et la première bourse a été déversée le 28 février. »

Des réfugiés d’Ukraine | Photo: René Volfík,  iROZHLAS.cz

Combien d’artistes ukrainiens vivaient en République tchèque avant la guerre ? Combien sont-ils aujourd’hui ?

« Pour être très honnête, je ne sais pas combien d’artistes ukrainiens vivaient ici et c’est surement lié avec les difficultés rencontrées par la minorité ukrainienne en République tchèque en général. Je pense qu’avant la guerre, les Tchèques ne portaient pas vraiment attention aux Ukrainiens et s’ils le faisaient, ils ne les voyaient que comme des ouvriers ou des femmes de ménage. C’est quelque chose qui a vraiment évolué. »

« C’est aussi quelque chose que nous voulions mettre en avant avec notre programme de bourses, les Ukrainiens qui viennent en République tchèque sont aussi des docteurs, des acteurs, des artistes, tout comme nous. Nous voulions rappeler que ces gens sont des professionnels qui ont quitté leur pays en raison de la guerre. »

« Ensuite, nous voulons montrer que les Ukrainiens sont différents. Ils ont quelque chose de particulier dû à leur culture et leur nationalité. C’est important, car tous les Tchèques ne font pas forcément la distinction entre les Russes, les Biélorusses, les Ukrainiens et les Moldaves. »

« Il est important de dire qui sont les Ukrainiens qui vivent en Tchéquie depuis longtemps, mais à qui nous n’apportons que peu de considération. C’est une vraie occasion pour les Tchèques de mieux les connaître, de découvrir leur vie et leur culture. »

Qu’est-ce que les artistes ukrainiens peuvent apporter à la culture tchèque ?

« J’ai été surprise en arrivant en Ukraine de voir à quel point l’art ukrainien se faisait la critique du développement politique et était une vraie source d’activisme. Ce que je veux dire par là, c’est que l’art tchèque est considéré comme un secteur en dehors de la sphère politique. Bien sûr, il peut commenter quelque chose, mais disons avec prudence.

« En Ukraine, l’art était très virulent, et toujours critique de quelque chose. Parfois progressif, parfois agressif, je peux dire que cette intrusion de l’art dans le champ politique pourrait nous inspirer, ici, en République tchèque. »

Comment se déroule l’accueil des artistes ukrainiens ? Est-ce que la majorité d’entre eux considère leur séjour comme provisoire ?

« C’est assez individuel. Certains artistes ukrainiens ont d’excellents contacts en Europe. J’ai déjà mentionné un documentaire en cours de production. Ces gens ont commencé à filmer avant la guerre, ils poursuivent donc leur travail en dehors du pays comme prévu auparavant. »

« D’autres personnes, qui travaillent dans les théâtres par exemple, qui ont construit leur carrière dans un théâtre spécifique ou avec une troupe particulière,  prévoient de revenir à Kyiv ou Kharkiv dès que possible. Ils espèrent pouvoir travailler à nouveau avec les mêmes personnes qu’avant la guerre. »

Photo: Centre tchèque de Kyiv

Aider les artistes ukrainiens n’est pas la seule mission du Centre tchèque de Kyiv. Quelles sont ses autres activités ?

« Nous voulons aider les réfugiés qui rejoignent la République tchèque sans même parler le tchèque. Le Centre tchèque de Kyiv a toujours été actif dans l’offre de cours de tchèque et nous avons développé une méthode pour enseigner le tchèque aux Ukrainiens et Russes de langue maternelle. »

« Nous avons alors conçu un nouveau cours de tchèque étalé sur seulement 12 semaines. Le cours ne se concentre pas sur la grammaire ou la phonétique mais sur du vocabulaire et des phrases à utiliser dans différents contextes. Par exemple comment emprunter les transports en commun, comment s’excuser, comment régler un différend etc… Le premier cours été donné le 21 mars et nous avons déjà à ce jour plus de 20 groupes. »