Le cheval de fer en pays tchèques (I)
Quand on voyage à travers ce beau pays qu’est la République tchèque sans disposer de voiture personnelle, il est bien commode de prendre le train. S’il faut parfois s’armer de patience, au regard de la vétusté de la plupart des machines en circulation sous l’égide de la société des chemins de fer tchèques České drahy, mais également des fréquentes « výluky », ces interminables déviations lors de la fermeture de certains tronçons, rares sont les villages du pays à ne pas être connectés au réseau ferré. Comment s’est développé le cheval de fer en territoires tchèques ? C’est une bonne question et cette rubrique historique va tenter d’y apporter un début de réponse.
Il fallait néanmoins se munir de patience pour réaliser le trajet puisqu’il durait environ quatorze longues heures. En Bohême, une autre ligne hippomobile relie dans la foulée Prague à la commune de Lány. Mais au début du XIXe siècle et sous l’impulsion d’ingénieurs visionnaires, comme notamment le Britannique George Stephenson, se développent une nouvelle machine qui va permettre de raccourcir les distances, la locomotive à vapeur, et la manière de l’exploiter efficacement.
Le train à vapeur fait son apparition dans les années 1830 dans l’Empire d’Autriche. La première locomotive à circuler sur les territoires de la couronne de Bohême est de modèle Moravia, un engin conçu dans les usines Stephenson de Newcastle et monté à Vienne, après quatre mois de voyage entre les deux agglomérations. Sous l’impulsion de Salomon Mayer Rothschild et d’autres camarades banquiers, est inaugurée en 1839 la liaison entre Vienne et Břeclav, ville du sud de la Moravie qui est aujourd’hui encore un important nœud ferroviaire entre la Tchéquie, l’Autriche et la Slovaquie. La voie ferrée est progressivement prolongée jusqu’à Přerov en 1841, puis jusqu’à Olomouc, la capitale historique de la Moravie. Milan Hlavačka commente ces débuts, quelque peu timorés :« Cela commence via des initiatives privées appuyées par l’octroi d’un privilège impérial en 1836, parce que l’Etat ne voulait pas s’impliquer dans une telle entreprise. Cela représentait trop d’argent et un risque trop important car personne ne savait si cela fonctionnerait. Des personnalités comme le chancelier Metternich préféraient donc sous-traiter l’affaire à la famille Rothschild et à ses actionnaires. Néanmoins, en 1841, alors que les Prussiens avaient déjà commencé à essayer de transporter des troupes par le train et que des voies de chemin de fer étaient construites partout en Europe, Vienne a commencé à trouver que le rythme des constructions était trop lent. »
C’est pourquoi l’Etat autrichien décide finalement de sortir de l’argent de sa poche pour accélérer le mouvement et relier Vienne aux principales villes de l’Empire, dont Prague. La Société d’Etat de chemin de fer du nord est notamment créée ; il s’agit de la première société nationale autrichienne sur le territoire tchèque. Elle est propriétaire de la ligne longue de 250 kilomètres qui relie Prague à Olomouc à partir de 1845, gérée d’abord par un exploitant privé puis par l’Etat lui-même. Cent ans plus tard, l’anniversaire de l’ouverture de ce tronçon ferroviaire sera célébré en grande pompe comme marquant le début d’une ère de développement pour le territoire tchèque.En grave difficulté financière en 1854, conséquemment au mouvement révolutionnaire qui a secoué l’Europe en 1848, Vienne va repasser la main à des acteurs privées en se résignant à vendre certains de ses actifs, dont la fameuse Société d’Etat de chemin de fer du nord. Une nouvelle loi est alors promulguée sur les concessions de chemin de fer qui va aboutir à un véritable boom dans le secteur. Un système de garantie est mis en place grâce auquel les entreprises du secteur sont assurées de rentrer dans leur frais, avec un coup de pouce financier de l’Etat si besoin est.
La Bohême est particulièrement concernée par le développement d’un dense réseau de voies de chemin de fer qui donne son visage à celui qui quadrille aujourd’hui la République tchèque. A l’époque, la région est, sous l’effet d’une industrialisation rapide, l’une des plus riches de l’espace austro-hongrois et dans les années 1860 à 1870, plus de 3500 kilomètres de voies y sont construites. L’effervescence du rail se calmera ensuite, durant la Grande dépression.C’est dans cette deuxième moitié du XIXe siècle que les gares sortent du sol à un rythme effréné. Les édifices sont parfois construits assez loin du centre des bourgs, comme par exemple à Kutná Hora, car certaines petites communes, où le bâti en bois domine encore, craignent de possibles incendies. Le développement des voies de chemin de fer se fait par à-coup, tronçon après tronçon, car il faut acquérir les terrains où bientôt passera le train.
A Prague, la première gare, en tous cas pour ce qui est de la machine à vapeur, est celle aujourd’hui appelée gare de Prague-Masaryk, terminus de la ligne reliant la ville à Olomouc. La future capitale tchèque se dote d’une nouvelle gare, plus imposante, à la fin de la l’année 1871. Exploitée en même temps que la ligne reliant Prague à Vienne via Tábor, elle porte d’abord le nom de l’empereur austro-hongrois de l’époque, François- Joseph 1er, avant d’être rebaptisée gare Wilson lors de l’indépendance de la Tchécoslovaquie puis d’obtenir en 1953 son appellation définitive : Praha hlavní nádraží - la Gare centrale de Prague. L’édifice, embelli dans le style Art nouveau lors d’une rénovation menée au début du XXe siècle par l’architecte Josef Fanta, sera témoin du passage d’éminentes personnalités, ainsi que le contait pour Radio Prague la guide touristique Alena Krčalová :« En 1918, le président de la République Tomáš Garrigue Masaryk a été ovationné sur le quai de la gare Wilson par des foules saluant son retour des Etats-Unis. La gare a accueilli le célèbre architecte parisien Le Corbusier, l'inventeur et scientifique américain Thomas Alva Edison, ainsi que Charlie Chaplin, l'un des acteurs d’Hollywood les plus populaires qui a offert aux représentants de la ville de Prague son chapeau melon et ses fameuses chaussures. »Nous voici arrivés au terminus de la première partie de cette rubrique historique. L’électrification partielle et progressive des voies de chemin de fer, le rôle du réseau ferré durant les deux guerres mondiales ou encore ses développements les plus récents feront l’objet d’une prochaine émission qu’il ne faudra manquer à aucun prix.