Le festival Cirkopolis, toujours très admiratif des compagnies françaises de cirque (2e partie)

Oktobre, photo: Daniel Michelon / Cirkopolis

La deuxième édition de Cirkopolis, le festival d’un « cirque nouveau » désormais très apprécié du grand public tchèque, a accueilli, mi-février à Prague, plusieurs troupes françaises. Après la compagnie Defracto la semaine dernière, nous vous présentons cette fois l’univers d’Oktobre, une compagnie qui en a étonné plus d’un. Composée d’un champion du monde de la magie, d’un acrobate quasi extra-terrestre et d’une trapéziste vénusienne, la petite troupe d’Oktobre a été acclamée à trois reprises au théâtre Ponec, dans le quartier de Žižkov. Yann Frisch, Jonathan Frau et Eva Ordonez-Benedetto ont présenté leur spectacle sauvage dans une atmosphère très mélancolique, où l’humour noir côtoyait avec fierté la complexité des sentiments liés à la peine, à la faiblesse et à la peur. Radio Prague s’est entretenue avec Eva Ordonez-Benedetto, la trapéziste de la compagnie dont la performance, fascinante, a suscité de nombreuses émotions.

Oktobre,  photo: Daniel Michelon / Cirkopolis
« Nous avons fait l’école de cirque le Lido à Toulouse en France, nous étions dans la même promotion. En deuxième année, on devait monter un projet et c’est à ce moment-là que nous avons choisi de faire quelque chose à trois. Nous avons terminé l’école en 2010. »

Quels sont les différents éléments qui font partie intégrante de votre spectacle ?

« C’est un spectacle de cirque, mais qui mêle une espèce d’ambiance, d’univers, très esthétique, sans forcément dire que l’on fait du théâtre, car nous ne sommes pas comédiens. Mais il y a quand même une charge théâtrale dans le spectacle, à savoir de la magie nouvelle, de l’acrobatie, du trapèze. »

Comment avez-vous intégré tous ces différents domaines artistiques dans un seul spectacle ?

« Nous avions beaucoup d’envie, beaucoup d’énergie, mais justement nous ne savions pas comment faire pour tout mettre en place. C’est alors que l’on a appelé Florent Bergal, notre metteur en scène. Grâce à son aide, nous avons pu mettre tous les éléments à leur place et faire donc une chose dans sa complétude avec un peu de chaque chose. »

Quels sont les thèmes, les sujets que vous mettez en relief ?

« On met en relief les relations humaines, la folie un peu aussi, la solitude. Mais tout ça, se maintient au second plan. On ne parle pas de ça. Les personnages vivent ces sentiments, mais on ne tombe jamais dans l’écriture d’une histoire. On pourrait dire que c’est la caractéristique ou le caractère des trois personnages sur scène, qui vivent des choses entre eux. C’est aussi très surréaliste. On peut mourir, on peut se taper, on peut revivre. On n’oublie jamais le côté rigolo. C’est noir, mystérieux, mais nous rions toujours de cela. Ce n’est pas quelque chose de dramatique. »

Compagnie Oktobre, lauréate du prix européen Circus Next 2012/2013

Oktobre,  photo: Daniel Michelon / Cirkopolis
Vous avez également été récompensé par le prix européen Circus Next 2012/2013. La concurrence est-elle ardue dans ce domaine ?

« Oui, et pour Circus Next spécialement, il y a beaucoup de compagnies qui se présentent car elles ont en entendu parler. En plus, avant ce prix n’était qu’un prix français, et il est désormais européen. Donc oui, c’est assez difficile d’arriver à en faire partie, et aussi on a un peu la pression lors des présentations publiques des fois. »

Comment s’est passée cette sélection, comment en êtes-vous arrivés pour avoir ce prix ?

« Au début, il faut faire un dossier, sur lequel se fait une première sélection. Là nous avions été pris. Puis, il faut faire vingt minutes de spectacle face au jury. Dans cette seconde phase, une trentaine de compagnies sont sélectionnées. Par la suite, cinq ou six compagnies sont sélectionnées. Nous avons donc été choisis. A partir de là, le jury nous a accordé six mois, pour retravailler la représentation des vingt minutes, ainsi que des endroits de résidence et un peu d’argent. Après ces six mois, on a présenté le spectacle devant des professionnels. C’était bien, cela nous a aidés à savoir faire face au public. »

En quoi concrètement, ce prix vous a-t-il aidé ?

« Le prix attribue une certaine somme d’argent. Lorsqu’une compagnie est en train de se monter, l’argent ça aide toujours. Puis il donne une possibilité de ‘résidence’, c’est donc un endroit qui est attribué pour quelques jours, avec une salle pour pouvoir travailler. Et bien évidemment, ce prix donne beaucoup de visibilité internationale. »

Quels sont les pays, les villes, que vous avez parcouru jusqu’à présent ?

« Beaucoup la France, car nous sommes une compagnie basées en France, donc par exemple, Avignon, Auch, Toulouse. Nous avons également fait la Belgique, la République tchèque, l’Allemagne, la Suède, Londres. Et l’année prochaine, nous allons nous rendre en Amérique latine et en Amérique du Nord. »

Sur la passion du cirque contemporain

Oktobre,  photo: Daniel Michelon / Cirkopolis
A propos de ces différentes villes, l’atmosphère au sein du public est-elle différente d’une ville à l’autre ?

« Oui, cela change un peu. Parfois en France, ou à Londres aussi, le public est très habitué à voir des représentations de cirque. Mais parfois, quelques villes, comme la ville tchèque de Trutnov (ville située dans la région de Karlovy Vary, ndlr.), où nous sommes allés et où on trouve moins ces représentations, le public change. Il est beaucoup plus surpris, accueillant, qu’à d’autres endroits, où les gens sont plus habitués à voir des choses, donc moins surpris. »

Là, nous sommes à Prague, suivez-vous ce qui s’y fait artistiquement ou entretenez-vous des liens avec les artistes d’ici ?

« Oui, un peu. Nous sommes très proches de Šárka Maršíková, qui fait bouger le Cirkopolis, ainsi que le Cirqueon, une petite école de cirque. C’est d’ailleurs elle qui nous a fait venir. Je ne peux pas dire que l’on connaît beaucoup d’artistes, mais nous entretenons certains liens. Moi-même, par exemple, j’ai donné un stage de trapèze pour des élèves de l’école du cirque d’ici. »

Quel est votre rapport au terme du « cirque nouveau », « du cirque contemporain » ? Reconnaissez-vous dans une définition du « cirque nouveau » ?

« Je ne crois pas que l’on puisse s’encadrer dedans. Mais en même temps, nous y sommes déjà. Car nous sommes jeunes, nous avons entre 25 et 28 ans, nous venons de sortir de l’école, c’est notre premier spectacle. Puis vu nos références, le fait que l’école de laquelle nous sommes sortis soit en France, où le cirque nouveau est très présent, alors je pense que l’on ne peut pas échapper à entrer dans ce cadre. »

Vous-même, avez-vous une définition du « cirque nouveau » ? Peut-on donner une définition du « cirque nouveau » ?

Oktobre,  photo: Daniel Michelon / Cirkopolis
« Personnellement, je crois que le cirque nouveau essaie de donner un peu plus de sentiments, d’émotions à la technique du cirque, pour qu’elle soit un peu moins démonstrative, ainsi que des différentes couleurs, des émotions comme la tristesse, la peur, la joie, le mystère. De cette façon, le cirque nouveau les attache moins à la façon ‘cabaret’ mais plus aux sentiments, à l’histoire, à un personnage. Je crois que le cirque nouveau essaie de faire sortir le cirque de la performance, sans abaisser la technique. »

Qu’est-ce qui continue de vous fasciner dans ce que vous faîtes ?

« C’est toujours un plaisir. Quand commence le spectacle, et qu’il y a un public devant, cela me fascine. Le public est d’ailleurs une des choses pour laquelle je fais cela. Après, le cirque me passionne tout simplement. S’entraîner, essayer de faire de nouvelles figures, essayer de penser comment les mettre en place, comment écrire avec elles. Je crois que l’écriture du cirque, c’est ce qui me fascine beaucoup. Et rencontrer un public dans différents pays, ça change. Voyager c’est très enrichissant. Je crois que c’est la principale raison pour laquelle je fais cela. »