Le Festival du film iranien dominé par la nouvelle génération des cinéastes
Le film iranien, aussi exotique qu’il puisse paraître, n’est pas inconnu au public tchèque. 66 films, des productions ou coproductions iraniennes ont été présentés au Festival international du film de Karlovy Vary entre 1992 et 2013. La chaîne de télévision publique proposait en l’an 2000 une rétrospective des meilleurs films persans, y compris le film « Au travers des oliviers » réalisé en 1994 par la légende de la cinématographie iranienne, Abbas Kiarostami. Et pour la troisième fois cette année, les spectateurs ont pu se rendre au Festival du film iranien à Prague.
Sur les sept films en compétition, le jury a choisi, de manière unanime, de décerner le prix à « La Fête chez Kami » du jeune réalisateur Ali Ahmadzadeh. Mani Haghighi en explique les raisons :
« Nous avons choisi ce film car la structure narrative était très courageuse. Le metteur en scène a refusé d’utiliser un ressort scénaristique traditionnel pour raconter l’histoire. En tant que metteur en scène, j’apprécie ce courage. Le film crée une image particulièrement réelle de la jeunesse à Téhéran, et aussi réussit à montrer une histoire pleine de tension autour de la présence d’un cadavre dans le coffre d’une voiture. Le fait qu’aucune information n’est révélée sur ce corps à la fin du film est l’une des idées de narration les plus spectaculaires que j’ai pu voir ces dernières années. »Ce film a été montré dans des festivals à Talin et en Australie. En choisissant ce tout nouveau film, le jury a voulu soutenir un jeune réalisateur qui a montré beaucoup de courage. Eva Zaoralová revient sur la procédure de sélection et complète :
« Nous avons discuté, bien sûr, c’est normal dans tous les jurys. Je dois avouer que ce n’était pas mon film préféré, mais je me suis laissé convaincre par Monsieur Haghighi, membre du jury et réalisateur, que le film, que nous avons finalement choisi à l’unanimité, avait certaines qualités que je n’ai peut-être pas comprises tout de suite. Le film décrit une réalité que nous ici connaissons très peu. Nous connaissons des films très personnels d’Abbas Kiarostami ou de Jafar Panahi. Ces films étaient faits de façon très poétique, tandis que le film que nous avons choisi au final cherche un nouveau langage par rapport à la situation dans un cinéma iranien qui doit compter avec la censure. Il y a des choses qu’on ne peut pas faire. Le réalisateur de ce film a choisi une méthode pour parler de certaines choses et on peut en déduire beaucoup au travers de la conversation de deux jeunes femmes qui partent en voyage pour aller à une fête chez un ami. Certains de leurs dires sont assez choquants, surtout pour le public iranien, parce que ces femmes représentent la couche sociale très aisée. De notre point de vue, il s’agit d’une jeunesse dorée. Elles parlent comme parlaient des jeunes femmes de l’Europe de l’Ouest, mais il y a 30 ans. »
La « Fête chez Kami », c’est une histoire de la jeunesse de la haute société iranienne, mais c’est avant tout une histoire de deux caractères féminins. La capacité du réalisateur à rendre ses personnages réels a particulièrement touché le jury. Mani Haghighi :« Comme nous l’avons affirmé dans notre déclaration, dans le film La Fête chez Kami, nous avons particulièrement apprécié la représentation très fidèle des deux caractères féminins. Il y a des idées fausses extrêmement répandues en Occident quant au statut des femmes dans la société iranienne. Par rapport à ce que l’on pourrait croire du fait de l’image qu’en donnent les médias occidentaux, les femmes ont un rôle beaucoup plus marquant dans la vie quotidienne mais aussi en politique, ou dans le social. Les caractères féminins dans la Fête chez Kami sont très nouveaux pour le public occidental, mais ils sont très habituels pour le public iranien. »
Comment s’inscrit le film d’Ali Ahmadzadeh dans la continuité de la cinématographie iranienne ? Mani Haghighi :
« Les auteurs comme le réalisateur du film la Fête chez Kami représentent l’avenir du cinéma iranien. On peut distinguer dans l’histoire du cinéma iranien différentes générations avec des approches diverses du film. Il y avait donc la vague d’Abbas Kiarostami, suivi par ma génération avec des auteurs comme moi-même, Parviz Shahbazi, le réalisateur de Dar-Band (Enchaîné), et Asghar Farhadi, qui a fait Une Séparation et Le Passé. Et maintenant, un groupe de gens dans la vingtaine arrive avec des idées tout à fait neuves et courageuses, il semble qu’ils vont prendre le dessus. »Mais plus précisément, en quoi diffère les trois générations de réalisateurs ? Et malgré leurs empreintes diverses, qu’ont en commun Parviz Shahbazi, Asghar Farhadi et Mani Haghighi ?
« Si les styles de nos films sont très différents, ma génération de réalisateurs partage le même engagement à raconter l’histoire et à créer du suspens autour de son développement. Ces aspects étaient absents dans la production de la génération de Kiarostami, qui était plus préoccupée à créer une atmosphère et à faire passer des images. Leurs histoires étaient simples, presque minimalistes. Chaque génération essaie en effet de raconter des histoires anciennes d’une manière innovante. La mienne se concentrait sur la vie urbaine avec sa complexité et ses complications. Nos films se passent dans les appartements de la capitale tandis que Kiarostami les situe souvent à la campagne. Maintenant il est encore trop tôt pour dire dans quelle direction se lancera la nouvelle génération mais cela a l’air tout nouveau et excitant. »
Le cinéma iranien a déjà gagné une certaine renommée internationale et cela grâce à une vingtaine de nouveaux films qui voyagent de festival en festival dans le monde chaque année. Mais compte tenu du volume de la production iranienne, il s’agit d’une petite partie seulement. Mani Haghighi explique :« Le public international voit à peu près une vingtaine de films sur plus d’une centaine produits en Iran chaque année. La majorité de ces films sont des productions commerciales destinées au marché local et dont une partie est notamment composée de films financés par l’argent public. Ce sont tout simplement des films de propagande. Ces films n’ont pas forcément un grand intérêt artistique et ne voyagent pas dans les festivals. Les films que voit le public international sont une tranche limitée de la production et ne sont pas forcément les films les plus regardés en Iran. »
En Iran, chaque film doit passer par une procédure d’autorisation. Cette compétence incombe au ministère de la Culture. Mani Haghighi en parle à la lumière de sa propre expérience en tant que réalisateur :
« La censure en Iran se fait officiellement en deux étapes. D’abord on doit présenter le scénario au ministère de la Culture et qu’il soit approuvé. Après la réalisation du film, on doit à nouveau le faire approuver. Le problème est que la première approbation ne garantit pas la deuxième, car ce qui semblait acceptable sur le papier, ne l’est parfois pas en images. Le ministère présente donc la liste des coupures qu’il faut faire. Il y a quand même une bonne chose dans tout cela et c’est qu’on peut négocier sur cette liste. Pour mon film La Réception modeste, les coupures initialement demandées s’étalaient sur 35 minutes dans un film de 100 minutes. J’ai négocié pour les faire baisser à six secondes. C’était un travail dur qui a pris du temps. »Deux des sept films en compétition à Prague sont encore en cours d’approbation. Combien de temps ce processus peut-il encore durer ?
« Cela dépend du film et de problèmes spécifiques concernant tel ou tel film. La Fête chez Kami subit justement actuellement ce processus d’autorisation afin de pouvoir sortir en salle en Iran. On verra comment cela aboutira. Parviz, autre film du festival, est un film plus vieux déjà qui a été coincé quelque part au milieu. Les autorités ne l’ont pas interdit, mais il a seulement eu une seule diffusion et n’a pas pu sortir en salle. Il est jusqu’à présent dans cette sorte de flou. »
Parviz de Majid Barzegar est le second long-métrage de ce réalisateur. Ses films sont parmi les plus appréciés sur la scène internationale, il a notamment été récompensé au festival de San Sebastián. C’est notamment le film préféré d’Eva Zaoralová :
« Mon film préféré c’était Parviz. Un film qui a déjà été à Rotterdam et à San Sébastián où il a obtenu le prix de la mise en scène dans une section consacrée aux nouveaux talents. Le réalisateur du film en a déjà fait un autre avant Parviz, mais celui-ci est très intéressant de mon point de vue. En choisissant une sorte de minimalisme au niveau du style, il m’a fait beaucoup penser au cinéma latino-américain contemporain. Il s’agit d’une histoire concentrée autour d’une personne, avec un entourage très restreint. C’est un homme d’une cinquantaine d’années, qui est très méprisé par son entourage. Déjà physiquement il a un aspect presque répugnant, il n’a rien de beau sur son visage ni dans sa personnalité. Mais à partir d’un certain moment, il découvre qu’il peut attirer l’attention, pas directement sur lui-même mais sur les faits qu’il commet.. »Le personnage principal commence donc à se venger de la société et ses actes s’aggravent. Il éprouve du plaisir à son activité malhonnête, une satisfaction qu’il ne connaissait pas auparavant.
Si le jury a fini par se rallier autour du choix de la Fête chez Kami, le prix du public revient à un autre film, « Ici sans moi » de Bahram Tavakkoli, un drame social de 2011 sur les rêves ainsi que sur les difficultés d’une famille modeste. Mani Haghighi commente le choix des spectateurs :« Here Without Me est un film beaucoup plus accessible que la Fête chez Kami. La ligne de narration est très claire. C’est un film mélodramatique. C’est évident qu’il attirera le grand public, c’est un bon film. »
Eva Zaoralová se dit surprise par cet intérêt prononcé du public tchèque quant à la production cinématographique iranienne. Elle, qui connait bien ce milieu de part son expérience à Karlovy Vary, a été agréablement étonnée de constater que les salles obscures étaient pleines. Les films sélectionnés pour cette troisième édition du festival ont mérité cet engouement.