Susan Taslimi à Prague : « Je ne suis jamais retournée en Iran »

Susan Taslimi

Susan Taslimi, invitée d’honneur de la dixième édition du Festival du film iranien, était à Prague la semaine dernière. L’actrice, réalisatrice et scénariste iranienne a répondu aux questions de Radio Prague International.

'La Ballade de Tara'

Susan Taslimi naît en 1950 à Racht, au nord-est de l’Iran. Elle étudie le théâtre et le cinéma à l’université de Téhéran. L’artiste décroche son premier rôle à vingt-neuf ans, comme personnage principal du film de Bahram Beyzai, « La Ballade de Tara ». Elle raconte :

« On a reçu la permission de faire ce film en 1978, un an avant la révolution. Nous avons tourné pendant la révolution, et le film a été achevé après. Dès le début, le régime l’a interdit. Notamment parce que j’étais le personnage principal, une femme forte, belle et sans hijab. Ils étaient incapables d’autoriser ce film, parce que ça allait à l’encontre de leur vision des femmes. Aujourd’hui, ‘La Ballade de Tara’ est toujours interdit. Il n’a été projeté qu’une fois, au Festival de Cannes, en 1980. »

Répression

En effet, la prise de pouvoir de Khomeini en février 1979 perturbe radicalement la société iranienne. Le quotidien de la population est bousculé, le travail des artistes étouffé.

« La répression, les discriminations et la violence ont commencé au lendemain de la révolution. Ça a évidemment affecté notre travail au théâtre. Nous ne pouvions plus faire ce que nous voulions. Il est devenu interdit d’avoir une héroïne à l’écran, de montrer des femmes fortes. Nous avions seulement des seconds rôles, apparaissions dans un coin, jouions la voisine du personnage principal. »

Une situation habilement décrite par Marjane Satrapi dans « Persepolis ». Soudain, « la société a changé de visage, et nous aussi », écrit la dessinatrice. Dans les années 1980, le régime devient despotique et les lois proclamées pour « détruire l’ennemi extérieur » suite au début de la guerre avec l’Irak sont utilisées pour « détruire l’ennemi intérieur » - à savoir ses opposants politiques.

« Ils m'ont offert un travail administratif au théâtre mais je l'ai refusé. Je n'étais pas d'accord, je protestais contre les politiques culturelles introduites par le régime. Je voulais dialoguer avec eux, mais ils ne m’écoutaient pas. Donc ils m’ont bannie du théâtre et même du cinéma. De toute façon, je refusais chaque projet - tout ce qui était fait était de la propagande politique. C'était impossible de faire des films indépendants. Je leur disais que ce n’était pas de l’art donc qu’il était hors de question que j’y participe. »

Avec un sourire, Susan Taslimi explique comment les membres du régime s’autoproclamaient critiques de cinéma. Un jour, trois hommes - dont un malvoyant et un malentendant -, ont débattu avec ferveur pour trancher sur l’acceptabilité d'un de ses rôles.

Résistance

« J’avais le rôle principal dans une série télévisée, et les parlementaires ont protesté. Ils disaient que j’exerçais une influence nocive sur les femmes, que je leur montrais la mauvaise voie. Donc toutes mes scènes ont été coupées. La série est passée à la télévision, mais mon personnage n’y était pas. Par exemple, je faisais du cheval. Mais ça, c'est inconcevable pour eux. Vous vous rendez compte, une femme qui guide un cheval ! Inacceptable. Ils ne pouvaient même pas regarder l’image. C’était comme si quelque chose les avait frappés directement à la tête. C’est ça, le pouvoir des femmes et de l’art ! »

Pour continuer de se produire en Iran, les artistes doivent donc user de subterfuges. Sinon, les films sont modifiés ou, dans le pire des cas, interdits. Entre une traduction en tchèque des réponses de Susan Taslimi, l’interprète Mona Khademi explique en anglais les méthodes de censure du régime. Souvent, les Iraniens et Iraniennes se rendent compte, en grandissant, que les histoires qu’ils ont connues dans leur enfance ne reflètent pas le projet initial du cinéaste. Puisque les relations amoureuses sont bannies des écrans, le régime s’organise pour couper les scènes de baisers et faire passer des personnages amants pour des frères et sœurs. Les dialogues qui dérangent sont doublés par des mots plus convenables.

« Fondamentalement, la plupart des artistes utilisent des symboles pour s’exprimer. Si vous dites ouvertement les choses, vous allez directement en prison. Par exemple, les couleurs : le rouge renvoie au communisme, le vert à l'idéologie religieuse. Et l'audience comprend ces symboles. C'est comme cela que les artistes peuvent lui adresser un message. C’est aussi pour cela que beaucoup d'artistes font des films surréalistes ; s'ils étaient réalistes, ils seraient condamnés. »

Exil 

Mais au fil des années, la répression exercée par le régime de Téhéran s’intensifie. Envisager l’exil devient la seule option pour sauver sa vie.

Susan Taslimi | Photo: Taslimisusan,  Wikimedia Commons,  CC BY-SA 4.0 DEED

« Parce que je m’insurgeais, ils ne m’invitaient plus sur les tapis rouges, posaient des questions avec insistance. Moi, je restais fidèle à mes convictions. Je leur disais que leurs idées allaient à l’encontre de mes principes, que j’étais une artiste et que, par conséquent, je ne ferai jamais le jeu de la propagande.

C’est là que la répression a débuté. Ils ont impliqué ma famille. Ma fille de six ans a été interrogée à l’école. Ils lui ont demandé ce que je faisais, si nous avions des discussions politiques à la maison, si nous buvions de l’alcool. Je ne me sentais plus en sécurité. Le danger était constant et de plus en plus proche. J’avais peur pour mes enfants et moi. Même mes collègues me disaient que je devais partir. J’ai donc décidé de sauver ma peau. »

En 1987, Susan Taslimi s’envole alors pour la Suède.

« Je ne suis jamais retournée en Iran, mais j'ai toujours gardé un lien avec mes collègues et mes amis. Nous regardions nos films respectifs et, s'ils venaient faire du théâtre en Europe, j'allais les voir. Je suis longtemps restée en contact avec le milieu artistique et j’ai toujours conservé de l'intérêt pour l'art iranien.

Maintenant, c'est différent. Je ne peux plus les joindre, parce qu’Internet a été coupé. Je communique difficilement avec ma famille. Quand je demande à mes proches comment ils vont, ils mettent deux jours pour me répondre. D’ailleurs, je n'essaie pas d’entrer directement en contact avec eux, parce que cela pourrait les mettre en danger.

Je ne sais pas ce qu’il se passe dans mon pays. Les seules informations que j’ai proviennent des médias. Internet est la seule chose qui peut nous aider à ne pas rester dans l’ignorance, à savoir quelque chose. »

Ainsi, Susan Taslimi voit le Festival du film iranien de Prague, dont elle était cette année l’invitée d’honneur, comme un bon levier politique.

« Dans leurs vies, les gens entrent toujours en contact avec la politique. Le contraire est impossible. Et les films sont quelque chose comme le miroir de la vie des gens. Donc ils sont nécessairement en rapport avec la politique. Mais nous devons faire la différence entre les films politiques et les films de propagande. Chacun d'entre eux ont leur propre mission, leur propre tâche. »

Le Festival du film iranien se poursuit jusqu’au 19 janvier à Brno.